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Écrits monétaires

John Locke

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Lorsqu’on évoque le nom de l’illustre penseur anglais John Locke (1632-1704), on pense généralement au philosophe de l’empirisme (Essai sur l’entendement humain), à l’auteur de la Lettres sur la tolérance, ainsi qu’au théoricien du libéralisme de la première heure (Traité du gouvernement civil). La réédition de 2024 chez Classiques Garnier de ses Écrits monétaires vient nous rappeler que le grand contradicteur de Descartes que fut Locke participa également, et ce de manière active, aux vifs débats économiques de son temps : au point même que l’on peut voir en lui l’un des plus précoces penseurs de ce que l’on appellera plus tard la science économique, avant qu’Adam Smith ne posât les bases de l’économie politique dans son séminal ouvrage, La Richesse des Nations (1776).

Ces Écrits monétaires rassemblent en fait plusieurs textes du philosophe anglais, dont certains parurent initialement à titre anonyme (du fait de l’instabilité politique typique de l’Angleterre de cette époque, qui incitait dès lors les auteurs à la prudence) : Quelques considérations sur les conséquences qu’auraient une baisse de l’intérêt et un rehaussement de la valeur de la monnaie ; Brèves observations sur un mémoire intitulé « Des moyens d’encourager la frappe des monnaies en Angleterre, et ensuite de l’y garder » ; enfin Nouvelles considérations sur le rehaussement de la valeur de la monnaie. Tous parurent au départ séparément, avant d’être regroupés dans un même ouvrage datant de 1696 – soit huit ans après la survenue de la Glorieuse Révolution, en 1688.

L’Angleterre traverse alors une période difficile en ce qui concerne notamment l’état de ses finances publiques, qui fut souvent imputé à une « pénurie de monnaie », c’est-à-dire à une insuffisance de métaux précieux comme l’argent, auquel la Monnaie a recours pour frapper les pièces appelées à circuler à l’intérieur du système économique en place. De nombreux débats font alors rage outre-Manche au sujet de la monnaie, débats auxquels Locke participe pleinement, comme en témoigne l’écriture de ces trois textes. L’un des problèmes souvent débattus à l’époque en Angleterre fut celui du taux d’intérêt. D’aucuns, invoquant à l’appui de leur thèse l’exemple des Pays-Bas économiquement et commercialement prospères, défendirent la baisse du taux d’intérêt, au motif que l’activité économique s’en trouverait par principe stimulée. Locke s’opposera à une baisse arbitrairement décidée de ce taux d’intérêt : pour lui, seul l’accès aux métaux précieux comme l’argent permet de faire circuler de nouvelles pièces dans le système économique. Et à ses yeux, la baisse des taux d’intérêt aux Pays-Bas n’est pas la cause mais bien plutôt la conséquence de sa prospérité. « J’admets, écrit-il, que l’intérêt en Hollande est peu élevé ; mais ce n’est pas là une conséquence des lois, ou de mesures politiques prises par le gouvernement pour promouvoir le commerce. C’est bien plutôt la grande abondance d’espèces disponibles qui a d’abord fait baisser leur taux d’intérêt » (cité dans Florence Briozzo, « Introduction : l’auteur et l’œuvre », in John Locke, Écrits monétaires, Paris, Classiques Garnier, 2024, p. LXIV).

Il semble que pour Locke, l’Angleterre de son temps ait notamment pâti d’un déséquilibre de sa balance commerciale (ibid.), ce qui nous conduit à souligner le paradoxe suivant : souvent considéré, ainsi que nous l’avons rappelé, comme l’un des pères fondateurs du libéralisme, Locke n’en développe pas moins certaines considérations proches de la pensée mercantiliste, dont on peut dire qu’elle est fondée sur ce double principe : 1) la richesse d’une nation est tributaire du stock de métaux précieux accumulés par elle ; 2) une nation doit s’efforcer d’exporter le plus possible et d’importer a minima. On considère généralement que le libéralisme est né au XVIIe et XVIIIe siècle à partir d’une double opposition, tant à l’absolutisme royal qu’au mercantilisme, mais l’on voit ici que le libéralisme de Locke fait toutefois appel à certains aspects de la pensée mercantiliste, ce qui devrait nous dissuader de ranger hâtivement les grands auteurs de la tradition dont il est à l’intérieur de catégories figées et préconçues. Keynes n’a-t-il d’ailleurs pas dit de Locke qu’il avait « un pied dans le monde mercantiliste et l’autre dans le monde classique » ?

Parfois difficiles d’accès, il n’en reste pas moins que les textes dont il est ici question témoignent d’un moment fondateur de l’histoire de la pensée économique, alors en pleine gestation. (Rappelons aussi que l’émergence de « papiers monnaie », qui joueront un rôle de plus en plus important dans les transactions, date véritablement du XVIIIe siècle.) Ils nous rappellent aussi à quel point certains des plus grands philosophes de cette période ont alors largement investi le champ de la réflexion économique, en prenant pour appui les circonstances (politiques, économiques, sociales) qu’ils rencontrèrent et auxquelles ils durent faire face dans leurs pays respectifs. Ils montrent enfin la différence qui les sépare des ouvrages caractéristiques de l’économie autrichienne au XXe siècle (Mises, Hayek), où l’interventionnisme monétaire est rejeté sans concession, dans la mesure où il est perçu comme n’ayant aucune utilité au plan macroéconomique (Dictionnaire du libéralisme, sous la dir. de Mathieu Laine, Paris, Larousse, 2012, p. 426). Il serait à cet égard intéressant de lire les Écrits monétaires de Locke à la lumière d’un ouvrage comme la Théorie de la monnaie et des moyens de circulation (1924) de Mises, ce qui illustrerait une partie de l’apport décisif de l’école autrichienne en économie au libéralisme classique de type lockéen.

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