Dans un livre récemment publié, Le Défi de gouverner (Paris, Perrin, 2024), l’ancien président de la République François Hollande revient sur l’histoire de sa « famille politique » ainsi que sur son propre bilan en tant que chef de l’exécutif français, de 2012 à 2017. Le but de cet ouvrage serait, lit-on sur la quatrième de couverture, de « rendre à la gauche sa fierté en exhumant son histoire ». L’auteur multiplie en effet les pages afin d’illustrer ce que notre pays devrait à la gauche (et à lui-même…), mais il oublie ce faisant l’essentiel, à savoir l’échec cuisant du socialisme – échec qui aurait dû l’amener en toute logique à abandonner cette politique une fois devenu président, alors qu’il n’a bien souvent fait, dans la pratique, que nous y enfoncer davantage.
Voici par exemple ce que François Hollande écrit dans l’introduction du livre : « tout compte fait, la gauche au pouvoir, c’est surtout une somme de réformes et de progrès qui ont façonné la France. Sans la gauche, la laïcité, le droit du travail, la protection sociale, les libertés publiques, la place de l’école publique, l’égalité entre les femmes et les hommes, la reconnaissance de l’urgence écologique ne seraient pas d’acquis aujourd’hui reconnus comme fondamentaux » (p. 19). François Hollande oublie ainsi de dire que la gauche en France depuis l’époque mitterrandienne, c’est la croissance ininterrompue des prélèvements obligatoires et des règlementations, qui ont fait de notre pays l’un des plus fiscalisés de la planète. Du fait de ses excès de taxation et de de réglementations en tous genres, la gauche a en réalité puni le travail, pénalisé la création de richesses, détruit les incitations à produire et à innover, ce qui s’est traduit en toute logique par le départ hors de nos frontières d’un nombre croissant de nos compatriotes ne supportant plus la haine fiscale qui s’abattait sur eux.
La fiscalité, point névralgique du socialisme
Disons-le clairement : si François Hollande entendait réellement défendre les intérêts du plus grand nombre, il aurait dû faire au cours de son quinquennat ce que d’autres gouvernants ont eu le courage de faire ailleurs dans le monde : ainsi mener une grande réforme fiscale digne de ce nom, consistant à abaisser substantiellement la progressivité de l’impôt sur le revenu (IR), voire à la supprimer. En effet, dans un pays libéral, ce sont les innovateurs – et certainement pas les ministères qui rendent la croissance possible : plus il y a d’efforts d’innovation et d’investissements privés dans une société et plus la croissance est susceptible d’être forte, avec à terme ses répercussions positives sur l’emploi et le niveau de vie en général. Comme l’a souvent rappelé l’économiste Pascal Salin, il n’y a donc nulle contradiction dans une société libre, bien au contraire, entre l’enrichissement personnel d’un innovateur respectueux du droit – ce qui est la récompense de son travail, de son talent et de sa prise de risques – et l’essor des conditions de vie matérielles du plus grand nombre. Si donc l’on veut encourager ce dernier phénomène, il convient de supprimer tout ce qui nuit à la libre innovation et aux investissements, ainsi la progressivité de l’IR – au profit d’une flat tax ou impôt à taux unique -, de même que les droits de succession ou encore l’ISF. Mais François Hollande est-il capable de comprendre cela quand on sait sa conception de la place et du rôle de la fiscalité dans un pays comme le nôtre ? Ainsi écrit-il dans le même livre de la contribution sociale généralisée (CSG) qu’elle « reste la trace la plus significative laissée par le gouvernement Rocard » (p. 244). « Vouée, poursuit-il, à constituer une étape nouvelle dans l’édification d’une fiscalité efficace et redistributive – je souligne – (après l’instauration de l’impôt sur le revenu au lendemain de la Première Guerre mondiale, de la TVA en 1954 et de l’impôt sur la fortune en 1981), elle élargit le prélèvement social à tous les revenus – et donc à ceux tirés du capital » (ibid.). En lisant ces lignes, on comprend pourquoi il était totalement illusoire de croire que François Hollande pouvait mener la grande réforme fiscale dont la France a tant besoin depuis si longtemps : une réforme qui rendrait enfin la fiscalité juste et modérée, loin de notre système fiscal confiscatoire et redistributif !
L’ « héritage » mitterrandien
Sans surprises, François Hollande défend largement le bilan de François Mitterrand : à propos des nationalisations décidées par celui-ci, il écrit : « Des dirigeants sérieux sont placés à la tête de ces groupes et de ces établissements, et le capitalisme français, loin d’être bouleversé par cette large extension du secteur public. L’État se révèle un bien meilleur actionnaire que les propriétaires précédents, et les marges retrouvées par ces entreprises sont essentiellement consacrées aux investissements » (p. 180). Aussi va-t-il jusqu’à écrire sans sourciller (p. 204) que la gauche peut ainsi « s’enorgueillir d’avoir hâté la modernité du pays – y compris sur le plan économique ».
Si la politique économique poursuivie peu après l’accès de Mitterrand à la présidence, en 1981, peut aujourd’hui être critiquée, c’est selon François Hollande non pas parce qu’elle fut en elle-même un échec ni parce qu’elle bafoua sans vergogne les droits de propriété de l’individu… mais parce qu’elle s’accorde mal a posteriori avec la « sobriété » et la « décarbonation » (p. 177) de nos économies que les socialistes appellent de leurs vœux. « Cette politique, écrit en outre François Hollande, reposait sur la recherche de la croissance la plus élevée possible pour assurer la redistribution et l’accès de tous à la consommation » (ibid.). Voilà bien la quintessence même du socialisme : on prétend (à tort) favoriser la croissance économique par l’interventionnisme étatique, pour s’engager ensuite dans une politique de redistribution à tout-va, qui finit par dissuader l’effort et encourager l’assistanat. Il ne faut pas s’étonner avec des conceptions pareilles que la France connaisse depuis si longtemps une croissance aussi molle et un taux de chômage aussi élevé – sur fond de prélèvements obligatoires parmi les plus prohibitifs au monde.
« Résolument productiviste, sincèrement industrialiste et authentiquement keynésienne », voilà comme François Hollande qualifie (à juste titre) la gauche mitterrandienne. Or c’est bien là que réside tout le problème : la gauche a toujours échoué dans notre pays car elle n’est jamais parvenue à s’affranchir de ses préjugés collectivistes, anti-individualistes et keynésiens : pour elle, la croissance et l’emploi « se fabriquent » par des ingénieurs sociaux, censés ensuite pouvoir les traduire dans la réalité grâce à l’action de la grande machine étatique. Par ailleurs, la gauche réduit de la sorte l’individu au rôle de pur consommateur : pour elle, la relance économique n’est possible que par la hausse de la demande globale. Or si la gauche française au pouvoir s’est toujours trompée dans ses politiques économiques, c’est parce que celles-ci ont toujours été guidées à tort par Keynes, alors qu’elles auraient dû l’être par Mises, Hayek ou Milton Friedman. Mais cela aurait-il pu advenir quand on sait que ces deux noms continuent d’incarner à ses yeux le diable en personne ? Si cela avait été le cas, la France ne s’en porterait que mieux aujourd’hui – et la gauche française aurait alors vraiment mérité d’entrer dans l’histoire.
On lira également le livre pour ce qu’il contient sur l’action de Lionel Jospin en tant que Premier ministre – dont le bilan est lui aussi défendu, on ne sera guère surpris de l’apprendre, par François Hollande… -, la mise en place des 35 heures et l’ouverture (bien timide) de la gauche au marché. Quant à François Hollande lui-même, faut-il rappeler qu’il avait envisagé durant la campagne présidentielle de 2012 de taxer les revenus des plus riches à hauteur de… 75% ? François Hollande n’a nullement amené la gauche française à se libéraliser et à se moderniser : il reste bien au contraire, comme son livre en atteste dans un grand nombre de passages, encore prisonnier d’idées toutes faites, qui constituent le substrat idéologique de la gauche française. Quelle différence à cet égard avec un Tony Blair ou un Gerhard Schröder, des hommes de gauche plus ouvert à la pensée libérale.