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Privatiser les routes, une utopie ?

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La privatisation du Groupe ADP (Aéroports de Paris) a relancé les débats sur la manière de gérer au mieux les infrastructures utiles au transport et à l’aménagement du territoire . Récemment, un reportage de France Inter sur l’histoire de la privatisation des concessions autoroutières a révélé une note de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes datant de 2014 qui estime pertinent d’étendre cette logique à l’ensemble du réseau routier national. Enfin, certains articles de presse révèlent que la loi d’orientation des mobilités pourraient ouvrir les voies secondaires au régime de la concession. Les pourfendeurs de cette proposition dénoncent un scandale qui reviendrait à « rendre les routes payantes ». Que faut-il en penser ?

Routes payantes et routes gratuites : le faux débat

Ainsi que nous avons eu l’occasion de le noter sur LCI, poser le débat en opposant la gratuité des routes à leur caractère payant est une erreur. La main d’œuvre et les capitaux nécessaires à l’exploitation des routes ne sont jamais gratuits. La première question à se poser est donc la suivante : faut-il faire supporter le coût de ces installations au contribuable ou à l’usager ? La France se définit sur ce point par un modèle hybride.

En effet, l’État fonde depuis 1955 une grande partie du développement autoroutier sur l’usage de péages administrés par des sociétés concessionnaires d’autoroutes[[George Bruno. Histoire de la concession autoroutière en France : structure financière. In: Revue d’économie financière. Hors-série, 1991. Caisse des dépôts et consignations. pp. 211-226.]]. Aujourd’hui, sur les quelques 21 000 km de routes détenues par l’État central, environ 9 158 km d’autoroutes sont exploités par des sociétés concessionnaires privées qui perçoivent un péage.

Les quelques 12 000 autres kilomètres de routes nationales sont donc financés par les impôts, pour des sommes qui s’élèvent à 666 millions d’euros par an en moyenne si l’on en croit les chiffres d’un avis présenté au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi de finances pour 2019[[http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/budget/plf2019/a1285-tVI.pdf]].

Pour avoir une vision plus complète des infrastructures routières financées par l’impôt, on pourrait ajouter les 379 000 kilomètres de routes gérées par les départements (8 % des budgets départementaux sont consacrés à la voirie) et encore environ 673 000 kilomètres de voies communales. Selon l’avis susmentionné, « l’exploitation, l’entretien, le renouvellement et le développement de la voirie des collectivités représentaient en 2016 un montant de 15 milliards d’euros ».

Un réseau routier non concédé fortement dégradé

Seulement, comme on pouvait s’y attendre, les fonctionnaires à la tête de l’État n’ont pas toujours les incitations à se montrer vigilants quant à l’entretien de routes qui ne leur appartiennent pas personnellement. A l’inverse du propriétaire d’une maison qui a directement intérêt à ce que son patrimoine soit bien entretenu sous peine d’être appauvri, les décideurs publics ont peu d’incitations à veiller rigoureusement à l’entretien du patrimoine routier sous le contrôle de l’administration.

En effet, un audit commandé par le ministère des transports révélait que le réseau routier national non concédé souffrait de sous-investissements et que 29% de celui-ci était en très mauvais état. L’avis susmentionné suggérait que les infrastructures départementales et communales étaient également mal entretenues.

Les routes nécessitent donc des investissements. Mais est-il juste et efficace de faire peser ces investissements sur des contribuables par ailleurs très éprouvés ? La France a recours aux péages depuis plus de 50 ans. Ce recours se fonde sur l’idée que le principe de l’usager-payeur et la tarification à l’usage qui le sous-tend sont plus justes et plus efficaces que le fait de solliciter les contribuables indifféremment de leur consommation d’infrastructures.

Le principe de l’usager-payeur

Le principe de l’usager-payeur n’est pas exclusif à la France. De nombreux pays y recourent. En Suisse et en Autriche, certains tunnels comportent des péages en dépit de la vignette autoroutière. En Suède et au Danemark, le célèbre pont de l’Øresund est financé par un péage.

Cette pratique courante à travers le monde a de nombreux avantages. En liant le financement des infrastructures à leur utilisation, elle réduit les incitations des pouvoirs publics et des concessionnaires au gaspillage.

À l’inverse, les conducteurs de projets d’infrastructures où le financement est déconnecté des usagers sont moins préoccupés par l’utilité et la rentabilité. Le risque est donc de multiplier des infrastructures fantômes, à l’image des célèbres autoroutes et des aéroports vides en Espagne.

Le principe de l’usager-payeur a aussi l’avantage de révéler aux conducteurs le vrai prix des infrastructures. Ceux qui ont moins recours aux routes (parce qu’ils se déplacent peu ou consomment plus localement) verront leur pouvoir d’achat augmenter. Les distorsions de concurrence entre la route et les autres moyens de transport prennent fin. Tout comme celles entre les grandes agglomérations et les villes moins densément peuplées.

Concession publique, concession privée et privatisation

Par abus de langage, il est courant de parler de la « privatisation » d’autoroutes qui ne sont en réalité que concédées. Il y a pourtant une différence de taille entre le régime de la concession et celui de la privatisation. Dans le premier cas, l’État reste propriétaire du réseau et se contente de déléguer à d’autres organisations le financement et l’exploitation d’ouvrages qui lui reviendront gratuitement et automatiquement à l’issue d’une période définie par contrat.

La privatisation de ces concessions a l’avantage – quand elle ne s’accompagne pas de la garantie souveraine – de privatiser les risques de l’exploitation d’un ouvrage et d’y introduire une plus grande culture de la rentabilité pour inciter à innover et à optimiser sa gestion. Dans le cas des autoroutes, cette optimisation et ces innovations se sont notamment traduites par une plus grande automatisation.

Toutefois, les concessions comportent des inconvénients par rapport aux privatisations. Les concessionnaires voient leurs politiques commerciales limitées par l’État. Les concessions entravent également l’adoption d’une vision de long terme puisque le concessionnaire sait qu’il sera amené à restituer le bien sur lequel il a investi sans contrepartie. Une privatisation aurait l’avantage d’accroître les incitations à investir dans les ouvrages directement possédés par des entreprises.

L’exemple de nombreux aéroports anglais entièrement privatisés atteste qu’il est possible de confier la propriété de larges infrastructures à des entreprises privées au-delà des simples mécanismes de concessions.

La question du « monopole » des autoroutes

Beaucoup arguent que la privatisation des autoroutes est inopportune en ce qu’elle aboutit à des monopoles. Cet argument sous-entend que les sociétés d’autoroute sont totalement affranchies des lois et des risques du marché. Cette assertion est cependant fausse. Dans les années 70, les chocs pétroliers et la baisse de la fréquentation des autoroutes ont mis les sociétés concessionnaires dans une situation de quasi-faillite. N’est-il pas curieux qu’un « monopole » fasse faillite ?

Cet exemple montre que les automobilistes et les conducteurs de poids lourds sont des consommateurs comme les autres. Ils sont sensibles à la variation des prix de la mobilité. Lorsque ce prix augmente, ils utilisent moins leur véhicule, changent d’itinéraire ou empruntent d’autres modes de transport.

Un rapport de l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières suggère l’existence d’un lien entre le prix de l’essence et la dynamique du trafic sur les autoroutes.

Sachant que l’usager de véhiculer n’est pas un client captif et qu’il réagit à l’évolution des prix, la société commerciale dont l’objectif consiste à maximiser le trafic sur ses infrastructures a tout intérêt à pratiquer une politique tarifaire et commerciale compétitive.

La privatisation des routes secondaires : l’exemple suédois

En 2012, un rapport de l’Institute of Economic Affairs de Londres soutenait que deux-tiers des routes suédoises étaient privatisées et appartenaient à 60 000 associations routières privées (ARP). Ces chiffres sont repris dans une étude d’un centre de recherche affilié à l’Institut Royal de Technologie basé à Stockholm[[Sofia Grahn-Voorneveld, Sharing costs in Swedish road ownership associations, CTS Working Paper 2011 : 6]]. Le rapport de l’Institute of Economic Affairs admet que ces routes mineures sont faiblement utilisées. Cependant, « un quart des trajets commence ou finit sur une route privée. Les membres de chaque ARP sont propriétaires le long de la route privée, avec des parts déterminées en fonction de la taille de la propriété et du trafic qu’elles génèrent. La responsabilité financière relève des membres, qui doivent payer des frais pour la maintenance des routes ainsi que d’autres coûts […]

Beaucoup de grandes associations privées routières paient des frais à une association de tutelle, la fédération nationale des ARP, qui gère les questions d’assurance et de représentation politique entre autres choses […] Les ARP gèrent les routes pour un coût plus faible et avec des meilleurs résultats que les routes gérées par l’Etat. En effet le coût est parfois inférieur à la moitié du coût des routes comparables. Cela est dû à l’intérêt porté par les propriétaires-payeurs de ces routes à l’optimisation du rapport coût/état des dites routes reflète une amélioration de la structure des incitations […].

Le système suédois d’ARP ne relève toutefois pas d’un marché libre puisque de nombreuses ARP reçoivent des subventions de l’Etat pour couvrir une partie de leurs frais […] Néanmoins, les ARP montrent que la propriété privée à l’échelle d’un voisinage est une solution pratique pour des routes secondaires dénationalisées et suggèrent que la propriété privée apporte avec elle des avantages substantiels en matière d’efficience économique ».[[OLIVER KNIPPING AND RICHARD WELLINGS, Which Road Ahead – Government or Market? Institute for economic affairs, 2012]]

Conclusion

L’extension du rôle du secteur privé dans la gestion des autoroutes et des routes secondaires ne constitue en définitive qu’une application plus rigoureuse d’un principe qui existe déjà en France et dans le monde. La France gagnerait donc à ne plus recourir au contribuable pour financer ses infrastructures vieillissantes. Un audit commandé par le gouvernement estime que le réseau routier national non concédé atteindrait 140 milliards d’euros. En plus de favoriser une offre d’infrastructures de qualité, une privatisation bien ordonnée des routes ouvrirait la voie à une baisse de la fiscalité et au désendettement, au profit de tous les Français. Pour le moins, ça mérite de ne pas dédaigner cette solution pour optimiser la gestion des biens communs et de l’étudier objectivement, d’autant plus qu’aujourd’hui la technique numérique permet d’établir des péages urbains par simple photographie des plaques d’immatriculation des véhicules entrants ou sortants des réseaux routiers concernés. Du moins cette solution pourrait convenir pour certaines routes, comme déjà elle a été utilisée en France pour certains ouvrages d’art.

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4 commentaires

Picot 2 juillet 2019 - 12:26

Mefiance
À mon humble avis, étant donné la boulimie de l’Etat pour taxer encore et encore les citoyens, il n’y aura aucune augmentation de pouvoir d'achat, au contraire. Nous devrons payer des sociétés privées et des impôts tout comme avant. Ceux ci ne diminueront pas d’un seul centime.

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David 2 juillet 2019 - 6:04

Je reste dubitatif
L'idée est intéressante. Mais elle suscite inquiétude peut être non justifiée. En France, une telle proposition (privatisation des routes secondaires) déclencherait une révolution,pire que celle des Gilets Jaunes, sauf si on prouve carte sur table, qu'elle induirait une diminution des impôts pour le contribuable.

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claude 2 juillet 2019 - 6:23

l'A10
Il y a environ 50 à 60 ans, on a fait le remembrement des terres et on nous en a pris une partie pour construire l'autoroute A 10 qui devait être gratuite au terme d'une vingtaine d'années. Mais nous avons toujours payé et Sarkosy l'a concédé à Vinci si bien que je prétends que nous avons été spoliés!
Voici pour l'histoire.
Et nous sommes la vaches à lait du gouvernement, pauvres automobilistes. Et il y a des véhicules qui roulent pour le travail et cela profite à tous les contribuables d'où l'erreur de la taxation !!!
Et toutes ces taxes et impôts diminuent constamment notre pouvoir d'achat. De plus , en Suisse, la vignette annuelle pour circuler sur autoroute coûte le prix d'un péage pour aller de chez moi à Paris.

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AlainD 4 juillet 2019 - 9:08

Où serait l'économie pour le contibuable ?
En "Euphorie du Sud", le système serait parfait or, nous sommes en France il y a fort à parier que nos fonctionnaires "rapetout" laisseraient les concessionnaires percevoir un péage (générateur de tva !) et continueraient de prélever les mêmes impôts qu'avant la mise en concession des routes.
Pigeons, s'il vous reste des plumes prenez garde de ne pas vous les laisser prendre.

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