Malgré son ambition affichée, le projet de loi alimentation débattue à l’Assemblée nationale est loin de s’attaquer aux racines des problèmes agricoles français. Elle risque au contraire d’aggraver la compétitivité et les revenus des agriculteurs.
Revenus des agriculteurs : une erreur d’analyse
L’agriculture française va mal. Troisième exportatrice mondiale il y a encore 15 ans, elle est passée en sixième position, derrière les Pays-Bas et l’Allemagne. Cette chute de compétitivité s’accompagne d’une baisse drastique des revenus de très nombreux agriculteurs : 40 % d’entre eux ont gagné moins de 360 € en 2016. Le coupable selon leurs syndicats ? Les transformateurs et la grande distribution, puissants et concentrés, qui mèneraient une guerre des prix à leur avantage.
L’IREF a publié plusieurs études sur la perte de compétitivité de certaines filières et sur l’ensemble de la technostructure administrative entourant le secteur. Les agriculteurs français sont enfermés dans des carcans réglementaires et corporatistes. Ils sont légalement limités dans leur capacité de produire en quantité et qualité souhaitées, de vendre ou d’acheter les terres qu’ils veulent et de développer des systèmes de production alternatifs ou plus intégrés. Ces contraintes politiques et protectionnistes sont alimentées par la Politique agricole commune (PAC) qui privilégie les exploitations les plus petites et les maintiennent dans une illusion de richesse alors que ce sont trop souvent les moins compétitives.
Les secteurs de la distribution et de la transformation sont particulièrement concentrés et en position de force pour négocier. Pourtant, l’intégration verticale et horizontale des structures de production agricole est fortement limitée par les pouvoirs publics au nom du dogme de la « petite exploitation familiale ». Soumis au schéma des petites entreprises atomisées, les producteurs français ne peuvent plus faire le poids face à l’aval de la filière et face à la concurrence des autres pays. Plutôt que dénoncer la baisse de revenus, il faudrait s’interroger sur l’incapacité de s’aligner avec les concurrents étrangers alors même que ces derniers sont peu ou pas subventionnés et plus compétitifs.
Le retour de l’économie dirigée ?
Suite aux États généraux de l’alimentation qui se sont déroulés fin 2017, un consensus semblait s’être dégagé parmi les producteurs, les transformateurs et la plupart des distributeurs, à l’exception notable de Leclerc. Mieux rémunérer l’agriculteur est devenu le mot d’ordre de l’ensemble de la classe médiatico-politique sans que personne n’interroge cette affirmation. Plusieurs mesures sont depuis proposées pour augmenter les marges agricoles.
La première concerne un contrôle partiel des prix en interdisant les promotions-chocs. Ces dernières ne pourront pas dépasser 34 % en valeur et 25 % en volumes. Le seuil de revente à perte (niveau en dessous duquel un distributeur ne peut revendre un produit) serait relevé de 10 % sur les produits alimentaires. L’ambition de ces contrôles partiels de prix est officiellement de maintenir des marges suffisantes aux distributeurs pour qu’ils puissent répercuter ces hausses de prix sur leurs fournisseurs, en espérant que ceux-ci les répercutent aussi sur le producteur.
Or rien ne dit que ces marges forcées seront ventilées sur les prix et les marges du producteur. Un prix retranscrit un état de l’offre et de la demande, si cet état n’évolue pas, la contrainte prix s’appliquera seulement entre le distributeur et le consommateur final et favorisera uniquement la marge de la grande distribution au détriment du consommateur. Mais pour Stéphane Travers, le ministre de l’Agriculture, ce n’est pas un problème vu que le consommateur est « prêt à payer quelques centimes de plus dès lors où il sait que le produit qu’il va acheter va mieux rémunérer les agriculteurs ». Si cette affirmation était vraie, une loi ne serait pourtant pas nécessaire, le consommateur le ferait de lui-même.
Chassez les vieux démons, ils reviennent au galop
Le deuxième contrôle de prix envisagé par le projet loi concerne la négociation des prix des denrées entre les producteurs et les centrales d’achat des distributeurs. La loi précise que le producteur ou l’organisation de producteurs auront la primauté dans la négociation des contrats. Les prix devront inclure des indices des coûts de production calculés par les interprofessions.
Cette approche semble irréaliste et ignore les trente ans d’échecs du système européen de prix garantis qui fut éliminé en 1992. Pendant trente ans, l’Union européenne a fixé des prix minimums sur les céréales, la viande ou le lait supérieurs aux cours mondiaux et entraînants des crises de surproduction considérables. Vouloir fixer les prix en fonction des coûts de production reviendrait à appliquer un mécanisme semblable et à ignorer le rôle du signal prix, véritable thermomètre de l’état de l’offre et de la demande. Casser le thermomètre ne résoudra pas la crise de compétitivité, d’autant plus qu’il faudrait réussir à déterminer objectivement ce qu’est le prix de production, qui varie forcément d’un producteur à l’autre. L’omniscience publique devrait aussi être capable de juger du bon niveau de marge pour chacun des maillons. Enfin, les interprofessions, connues pour être de véritables corporations, niant les mécanismes de concurrence, seraient à la manœuvre dans la définition de ces indices, ce qui ne laisse présager rien de bon pour les petits producteurs minoritaires innovants.
Libérer les agriculteurs du joug administratif
Ces mesures auront au mieux un impact limité pour les producteurs et, au pire, continueront de les bercer dans une illusion de compétitivité. Alors qu’ils sont la cible de tous les maux, accusés de produire une nourriture empoisonnée aux pesticides, d’être d’affreux pollueurs et de n’avoir aucune considération pour les animaux qu’ils élèvent, les agriculteurs ont surtout besoin qu’on les laisse travailler, entreprendre et innover.
L’IREF propose de les libérer du joug administratif en les considérant comme de véritables entrepreneurs sur leur exploitation. Pour « défonctionnariser » les agriculteurs, le contrôle des structures et les SAFER pourraient être supprimés sans délai. Les réglementations devraient être éliminées et compensées par une responsabilisation juridique de l’exploitant. Les subventions de la PAC devraient être progressivement réduites et éliminées à moyen terme. Enfin, les organismes publics et parapublics tels que les chambres d’agriculture ou les interprofessions devraient être privatisés et mis en concurrence. Malheureusement, aucune de ces propositions n’est envisagée dans la loi alimentation.