Les propositions de loi des Insoumis et des Ecologistes s’accumulent, qui pour encadrer le temps partiel, qui pour interdire le travail de nuit, qui pour réduire la possibilité de licencier.
Il faut croire que le code du travail n’est pas assez fourni aux yeux des députés communistes, Insoumis et Ecologistes puisque les propositions de loi pleuvent depuis le mois de décembre pour les motifs les plus divers. Une sorte de concours Lépine de l’interventionnisme.
Encadrer encore plus le temps partiel
Les Insoumis ont déposé le 21 janvier une proposition de loi (n° 793) visant à « améliorer la vie professionnelle des femmes par l’encadrement du temps partiel contraint ». Elle est fondée sur l’idée selon laquelle le temps partiel est généralement, du moins trop souvent, « contraint », autrement dit subi par les salariés (pardon : les travailleuses et les travailleurs). Et comme le temps partiel concerne essentiellement les femmes, ces dernières seraient victimes d’une discrimination.
L’exposé des motifs renvoie à une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de 2020 qui précise que 34 % des salariés à temps partiel souhaiteraient travailler davantage et même 47 % de ceux qui travaillent moins de 24 heures par semaine. En contrepoint, on comprend que les deux tiers des salariés à temps partiel le sont parce qu’ils le souhaitent, ce qui n’est pas si mal. Mais en réalité, les procédés des Insoumis sont grossiers. En effet, la proposition de loi se garde bien de citer la publication de la Dares de décembre 2024 (n° 76, « Quelle organisation du temps de travail pour les salariés à temps partiel ? ») qui rappelle que :
- 17,4 % des salariés travaillent à temps partiel, dont trois quarts de femmes, ce qui signifie que plus de 4 salariés sur 5 sont à temps complet ;
- 26,4 à 36,7 % des salariés à temps partiel le sont à temps partiel « contraint », ce qui signifie a contrario que deux tiers à trois quarts le sont volontairement, soit pour s’occuper d’un enfant ou d’un proche, soit pour avoir plus de temps libre, soit pour exercer une autre activité professionnelle, soit pour raison de maladie ou de handicap, soit pour suivre des études ou une formation, soit pour disposer d’un revenu d’appoint.
Il en ressort que pour une grande majorité de salariés, le temps partiel n’est nullement subi, encore moins par des femmes discriminées qui devraient toutes s’occuper de leurs enfants et faire le ménage en rentrant à la maison…
L’exposé des motifs se garde bien également de citer le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) du 17 décembre 2024 (« Temps partiel et temps partiel contraint : des inflexions possibles pour un cadre rénové », 92 pages), il est vrai fort mal reçu par beaucoup de syndicats de salariés car il préconisait de plus recourir au travail à temps partiel… L’Igas rappelait que si ce dernier avait fortement progressé depuis un demi-siècle, il restait modeste en France par rapport à beaucoup d’autres pays, l’Allemagne notamment.
Notons d’ailleurs que la part du travail à temps partiel tend à décroître depuis une décennie et que celle du temps partiel « contraint » recule également depuis plusieurs années.
Enfin, l’exposé des motifs de la proposition des Insoumis jure avec la recherche académique. En dépit des billevesées sur les « inégalités entre les femmes et les hommes », qui demeureraient « une réalité structurante du monde du travail », à lire les deux premières lignes dudit exposé, les inégalités hommes/femmes ont très largement diminué ces dernières décennies et la différence de rémunération à travail égal est aujourd’hui très réduite. Telles étaient d’ailleurs les conclusions livrées pour les Etats-Unis par Claude Goldin, qui a obtenu en 2023 le prix de la Banque de Suède en sciences économiques, en quelque sorte le « prix Nobel d’économie » (voir l’article de Pierre Garello, 13 octobre 2023).
Interdire les « licenciements boursiers » et le travail de nuit
Le 12 février 2025, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale n’examinait pas moins de deux propositions pour réglementer de manière encore plus drastique le droit du travail.
La première était la proposition communiste (n° 694) du 3 décembre 2024 visant à « encadrer le recours au licenciement économique et à interdire les possibilités de licenciements dits boursiers ». Il s’agit de réduire les cas de licenciements économiques qui sont pourtant aujourd’hui largement encadrés et, de ce fait, rarement utilisés par les employeurs. Quant à la notion de « licenciement boursier », elle n’a évidemment aucun sens, mais l’idée générale est d’empêcher les entreprises de licencier pour anticiper des difficultés. Une idée brillante s’il en est puisqu’elle reviendrait dans beaucoup de cas à acculer les sociétés à la faillite, soit l’exact contraire de ce que souhaitent les députés (du moins officiellement, car le but ultime est peut-être en réalité de mettre à bas le capitalisme…).
La seconde était la proposition écologiste (n° 770) du 7 janvier 2025 visant à « protéger les travailleuses et les travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour ». Le texte est étrangement rédigé puisqu’il entend interdire le travail de nuit dans les entreprises de propreté, tout en prévoyant de possibles dérogations sous le contrôle de l’Inspection du travail. Autrement dit, les auteurs de la proposition ne croient pas le moins du monde à leur propre texte… Il faut au demeurant être peu versé en droit du travail pour croire que ladite Inspection aurait dans tous les cas la possibilité matérielle d’effectuer des contrôles de manière efficace.
Cette proposition, manifestement inspirée par certains syndicats de salariés de gauche extrême, est surtout irréaliste puisqu’elle reviendrait à empêcher le nettoyage des locaux hors la présence de la clientèle.  Les avocats, soumis par principe au secret professionnel, devraient donc organiser leur agenda en fonction des horaires de passage des agents d’entretien, ou les dentistes glisser leurs rendez-vous entre deux rotations de femmes de ménage. Magnifique ! Nous avions déjà dénoncé ce type de raisonnement dans une pendule qui concernait Franceinfo.
L’inspiration syndicaliste est d’autant plus claire que la proposition de loi parle d’un « premier pas » et qu’elle envisage, pour un futur indéterminé, un « encadrement strict de la sous-traitance » dans le secteur de la propreté. Nous ne voyons pas très bien comment cet « encadrement » serait possible puisque la sous-traitance est évidemment légale. Il s’agit manifestement d’une vieille lune de la CGT et des syndicats anarchistes que nous avons pu connaître en notre qualité d’avocat d’entreprises de propreté et qui avait abouti à une défaite définitive desdits syndicats devant la chambre sociale de la Cour de cassation (pourvoi n° 18-10.636, 4 mars 2020, publié au Bulletin) après une décennie de lutte des communistes et des anarchistes pour empêcher la sous-traitance du nettoyage des hôtels.
Les députés de gauche extrême sont peut-être bien intentionnés (ne désespérons pas de la nature humaine…), mais ils manquent leur cible du fait de leur aveuglement idéologique. En effet, ce n’est certainement pas en aggravant le poids du Code que nous réussirons à résoudre le problème du chômage et des conditions de travail, mais en libérant les énergies.