Dmitry Glukhovsky est un journaliste russe, également romancier à succès, qui a quitté son pays en janvier 2022 et a été condamné par contumace, en 2023, à huit ans de colonie pénitentiaire. Son tort ? Il a osé manifester son opposition à l’invasion de l’Ukraine et il a critiqué Poutine. Crime de lèse-majesté dans une dictature. Son livre est un recueil d’articles d’actualité écrits entre 2012 et 2023 sur le basculement de la Russie vers l’autoritarisme. « Comment un pays qui, récemment encore, se dirigeait vers l’avenir, a-t-il pu y renoncer catégoriquement ? Comment, d’une puissance ayant rompu avec le totalitarisme (…), ce pays est-il redevenu un paria qui en veut au monde entier ? « C’est à ces questions que répond l’auteur en retraçant, étape par étape, une « chute dans un trou noir » : les années où le peuple russe a fini par « revenir de lui-même se placer sous la surveillance de ses gardes-chiourmes ». Avec de nombreux détails historiques, sociologiques et politiques, il analyse la mainmise de l’appareil d’Etat sur un peuple qu’il faut éduquer et transformer à sa main. Staline devient pour Poutine le modèle à suivre, non seulement en matière de répression mais aussi de propagande. La Russie serait entourée d’ennemis, d’où les références incessantes à la Grande Guerre patriotique et à l’héroïsme des soldats soviétiques. Le mensonge idéologique remplace la vérité historique, la répression et la violence sont omniprésentes. Critiquer le régime et ses actions revient à trahir. « Le pouvoir a gagné en divisant, en effrayant, tuant, emprisonnant… » Les voix discordantes sont enfermées dans des colonies pénitentiaires (on estime à plus de 7 000 les prisonniers politiques) ou tuées, comme Navalny et de nombreux journalistes.
A la tête du pays, Poutine et sa clique de mafieux. « C’est sous Poutine que le style mafieux est entré dans la culture politique russe : il a séduit et infecté de plus en plus de représentants de l’establishment. C’est avec lui que le discours mafieux est apparu ». Ils détiennent tous les pouvoirs y compris économiques. Toutes ces années, Poutine a fait le ménage autour de lui. Ceux qui ne lui semblaient pas suffisamment fidèles ont été écartés, le plus souvent avec violence. Ils ont été retrouvés « suicidés » en bas de leur immeuble. Les médias ont petit à petit été mis au pas et sont maintenant à la solde du régime, la moindre velléité d’indépendance faisant d’eux des « antennes de l’étranger ». Les élections sont truquées, les candidats imposés : ceux qui devraient représenter l’opposition sont en fait des marionnettes du pouvoir.
Très intéressantes sont les pages consacrées à la mutinerie de Prigojine, le chef de Wagner qui, le 24 juin 2023 se dirige avec ses soldats vers Moscou avec une étonnante facilité. Personne n’était prêt à les affronter et encore moins à mourir pour Poutine qui, lui, pas si brave qu’il cherche à le paraître habituellement, s’était réfugié à Valdaï. Personne, commente Glukhovsky, « ni l’armée ni la Rosgvardia, dont le seul but et la seule raison d’être sont de protéger les autorités de tout attentat, ni la police ni le FSB. Sans parler des citoyens ordinaires… ».
Comment tout cela va-t-il finir ? « L’Etat poutinien se déshumanise et il veut déshumaniser en même temps tous les sujets de Poutine », écrit l’auteur. Le Kremlin a entraîné le pays dans cette guerre meurtrière qu’il ne peut pas abandonner. Au risque de s’écrouler.
4 commentaires
On aurait mieux fait de faire de Poutine une sorte de “Shah moscovite”, un allié opportuniste et civilisationnel sur nos marges orientales. Il y était disposé au début. La Russie ne deviendra jamais une démocratie libérale. C’est un état “militaro-minier”, dont l’appareil d’état est adossé à la rente des baux de ressources naturelles. Déjà en 1905 et 1917, la bourgeoisie libérale russe n’a pas fait le poids face aux factions étatistes. Et ça continue aujourd’hui. On n’y peut rien. La Moscovie se situe dans un environnement géopolitique hostile au milieu d’une vaste plaine sans obstacle naturel (notamment face au monde musulman au sud). Les Russes ethniques sont à peine 100 millions (70% de la population) et en déclin. Ils sont condamnés au rapport de force. Nous devrions donc accueillir solidairement à l’Ouest les éléments libéraux, tout en maintenant des relations opportunes avec l’autocratie moscovite. Un alliage baroque. Surtout dans une époque multipolaire où la civilisation helléno-chrétienne (à laquelle les Russes appartiennent malgré leur singularité byzantine) devient de plus en plus minoritaire et contestée. Si demain les Balkans, le Caucase, les Plaines Pontiques repassent sous gouvernement turco-musulman, on va commencer à regretter les Russes.
On a invité la Russie de Poutine et on s’est couché devant lui de très nombreuses fois. Avec les résultats que l’on voit.
J’entends ce que vous dites. Mais, à mon sens, Moscou a un pouvoir de nuisance réel mais limité. Et, à mes yeux, nous faisons la guerre à l’Est alors que les défis principaux sont au Sud. Nous luttons pour défendre nos valeurs libérales dans le Donbass, et, dans le même temps, nous devenons incapables de les faire respecter sur notre propre sol européen. Que ferons-nous quand la moitié de nos populations partagerons les opinions de M. Kadyrov ?
Les défis sont au Sud et à l’Est.