Dans cet article publié par le quotidien Les Echos (12/08), Jean-Philippe Delsol, président de l’IREF, détaille les arguments en faveur d’un impôt proportionnel qui répondrait aussi aux exigences du Conseil…
Jean-Philippe Delsol
Jean-Philippe Delsol
Docteur en droit et licencié ès lettres, Jean-Philippe Delsol est avocat au Barreau de Lyon spécialisé en droit des sociétés et fiscalité internationale. Fondateur du cabinet Delsol Avocats, il est Président de l’IREF. Auteur de plusieurs livres, dont « A quoi servent les riches », il est un interlocuteur privilégié des médias sur les sujets touchant à la fiscalité, au patrimoine et à l’entreprise. Autres ouvrages publiés : Au risque de la Liberté (FX de Guibert, 2007), Pourquoi je vais quitter la France (Tatamis, 2013), Anti-Piketty (libréchange, 2015), L’Injustice fiscale (Desclée de Brouwer, 2016), Eloge de l'inégalité (Manitoba/les belles lettres, 2019), Civilisation et libre arbitre, Desclée de Brouwer, 2022
Jean-Philippe Delsol, président de l’IREF, a été interviewé (18/08) par Sud Radio sur la fiscalité française et la hausse du chômage.
Monsieur le Ministre, vous voulez libéraliser les professions réglementées et vous avez bien raison. Vous n’imaginez même pas ce qui pèse sur ces corporations d’un autre âge :
La France continue sa chute avec des prévisions de croissance revues à la baisse, soit 0,7%, pour cette année par le FMI, et une dette qui s’envole, proche de 2 000 milliards et bientôt au-delà de 100% du PIB. Le premier ministre veut « sortir la France de ses blocages ». « Mon obsession, dit-il, c’est le mouvement, la réforme… » (Les Echos du 2 juillet). Et il s’engage en effet dans de nombreux chantiers pour soutenir les entreprises et la construction de logements, pour réduire certains impôts, pour redessiner les collectivités locales… Mais l’agitation n’est pas une politique. La réforme n’est pas bonne en soi, elle n’est pas utile si elle n’est pas ordonnée à une vision juste et cohérente, et structurée par des principes d’efficacité. Or tel n’est pas le cas.
Désormais les Etats ne se satisfont plus des impôts de leurs ressortissants. Insatiables, les plus puissants d’entre eux font peser des condamnations parafiscales sur tous ceux qui les approchent, ce qui leur permet aussi de faire mieux rayonner leur pouvoir universel.
Le gouvernement a fait, encore une fois, de la lutte contre la fraude son grand combat. C’est si facile de trouver des boucs émissaires !
La Caisse nationale d’allocations familiales a détecté en 2013 16,5% de fraudes de plus qu’en 2012, ce qui représente la somme totale de 141 millions d’euros ; soit une augmentation de 18,7% en montant, d’une année sur l’autre. Les redressements de l’URSSAF pour travail dissimulé ont progressé de 12% l’an dernier.
Le gouvernement socialiste vient de s’apercevoir que les mesures fiscales qu’il avait instaurées depuis deux ans frappaient aussi les foyers les plus modestes. L’année 2012, en effet, a été la première année depuis cinq ans où plus de 50% des Français ont payé un impôt sur le revenu. Au cours des quatre années précédentes, 53% d’entre eux n’en payaient pas.
La France n’avait pas autant d’ETI[[Entreprises à taille intermédiaire]] que l’Allemagne, mais elle avait de grandes entreprises multinationales. A présent, elle perd également celles-ci, qui se vendent ou se délocalisent.
Il y avait déjà eu l’affaire Pechiney en 2003, après son rachat par Alcan, et l’affaire Arcelor, absorbée par Mittal en 2010, ou encore le rachat de Rhodia par Solvay. En 2014, Publicis profitait de sa fusion avec Omnicom pour s’installer à Amsterdam et à Londres ; tandis que Lafarge déménageait à Zurich en s’associant à Holcim.
Maintenant, c’est Alstom qui vend l’essentiel de ses activités à General Electric, ou peut être à Siemens …
Il faut compter également avec les futurs départs de grandes sociétés : après Eurofins (biotech) en 2012, on a assisté aux départs dès 2013, des sociétés de services en ingénierie informatique : Sword Group, Solutions 30 et DNXcorp, qui s’installaient au Luxembourg ; sans oublier, la très petite entreprise Global Graphics, partie pour Londres… Amsterdam compte maintenant 2 500 entreprises étrangères, dont 400 à 450 sièges sociaux, parmi lesquels, se trouvent 77 sociétés françaises, avec les sièges sociaux d’Airbus Group NV, de Gemalto, de l’alliance Renault-Nissan, etc.
D’affaires en affaires, de Cahuzac à Aquilino Morelle, l’Etat socialiste a démontré qu’il était pervers en se présentant en modèle de vertu, notamment contre les comptes ouverts à l’étranger (érigés en crime contre l’humanité), ou -les liens incestueux entre le pouvoir et les laboratoires … En réalité, c’est la prégnance de l’Etat qui suscite ou, à tout le moins favorise, la concussion, les conflits d’intérêts, le détournement de fonctions…
Dans son ouvrage, « Le capital au XXIème siècle », aussi imposant que sa précédente somme sur « Les hauts revenus en France au XXème siècle », Thomas Piketty amasse de très nombreuses données sur l’évolution des patrimoines dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Ces informations permettent de mieux connaître le rapport de nos sociétés au capital et la distance entre les plus riches et les plus pauvres. Sauf que l’auteur en fait un usage trompeur, dénaturé à la manière du matérialisme scientifique du XIXème siècle.
A la façon des auteurs marxistes, il élève son discours à la prétention d’une démonstration scientifique. Il ne veut pas seulement convaincre, il veut asséner une vérité, la sienne, dont les formules mathématiques qu’il présente seraient la raison. Certes, il indique « qu’il faut se méfier de tout déterminisme économique en cette matière » (page 47), mais il utilise l’économétrie pour annoncer la répartition des richesses attendue au XXIème siècle comme s’il n’avait guère de risques, voire aucun, de se tromper. Et ce tableau considère que l’écart entre riches et pauvres tendra à s’élargir inéluctablement, quand bien même il reconnaît que ce fut l’inverse au XXème siècle. Il poursuit les courbes comme Malthus au XVIIIème siècle ou le Club de Rome dans les années 1970 le faisaient pour prédire que le monde entier allait mourir de faim ! Il conteste la courbe en cloche des inégalités de Kutznets pour tracer d’autres lignes qui méconnaissent l’humain. Il note que « Marx a totalement négligé la possibilité d’un progrès technique et d’une croissance continue de la productivité » (page 28) dans sa théorie d’une accumulation infinie du capital jusqu’à provoquer la mort du capitalisme, mais il reproduit autrement une théorie de la croissance sans fin des patrimoines.
En synthèse :
– Thomas Piketty propose des courbes statistiques comme Malthus au XVIIIe siècle ou le Club de Rome dans les années 1970
– La théorie de Piketty sur une croissance sans fin des patrimoines ne résiste pas à l’analyse des faits
– Il y a d’abord une confusion entre capital (productif, financier, immobilier) et patrimoine cessible
– Thomas Piketty soutient que, pendant les 20 siècles passés, le taux de rendement du patrimoine se serait situé à 4 points au-dessus de la croissance
– Or, il faut déjà savoir comment il a pu obtenir des données sur 2 000 ans ?? C’est absolument impossible
– Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, en moyenne, le rendement nominal du patrimoine net des ménages ne peut pas être supérieur au taux de croissance économique
– Si les calculs de Piketty étaient justes, les 1 % des plus riches devraient posséder toutes les richesses disponibles d’ici 2016 !
– Les calculs de Piketty sont faux car il méconnait la réalité : l’économie n’est pas figée, le capital est épargné, réinvesti ou même dilapidé ; la mobilité sociale est extrêmement importante et les inégalités ne sont pas rigides