Le 27 octobre, un collectif d’associations féministes a publié une tribune dans le journal le Monde. Elles réclament plus de moyens pour faire de la prévention, écouter et accompagner les victimes de violences. Pourtant, de nombreux rapports publics montrent qu’elles reçoivent déjà des subventions colossales, sans le moindre contrôle de leur efficacité.
Il est difficile d’évaluer avec précision le montant total des subventions accordées aux associations féministes, ni la manière dont elles sont dispatchées entre leurs activités. On sait cependant que les violences envers les femmes en prennent une grande part. Selon un rapport de la Fondation des femmes, les aides de l’État dédiées aux violences faites aux femmes s’élèveraient à 184,4 millions d’euros en 2023, soit 37 % de plus que cinq ans auparavant.
C’est encore insuffisant pour la Fondation, car les besoins sont en hausse (+ 83 % de plaintes pour violences conjugales pendant cette période). La Fondation estime qu’entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros seraient nécessaires, que ce soit pour améliorer les dispositifs d’accueil, accompagner les victimes, rembourser des consultations en psychotraumatologie, accroître les places d’hébergement destinées aux victimes de violences…
Opacité de l’attribution et complexité administrative
Faut-il réellement plus de financements publics ? Dans un rapport d’information publié en 2020, le Sénat avait montré que la politique de lutte contre les violences faites aux femmes était largement financée par les collectivités locales, tandis que les financements privés étaient « sous-exploités » (particuliers et mécénat). Par ailleurs, il déplorait l’opacité des critères d’attribution, ainsi que la complexité administrative due à la multiplicité des financements.
Cette observation ne date pas d’hier : dès 1991, la Cour des comptes s’était inquiétée du « laxisme », de la « désinvolture dans l’octroi de subventions » et de « la totale absence de contrôle sur le résultat des actions subventionnées et leur impact réel » en matière d’égalité hommes-femmes. Douze ans plus tard, les choses n’avaient guère évolué : le niveau des crédits alloués aux associations n’était toujours pas subordonné à une évaluation systématique des besoins.
Le service des droits des femmes et de l’égalité ne connaissait même pas le nombre exact d’associations destinataires. À l’époque, le Sénat s’interrogeait déjà sur la pertinence entre l’objet des associations et leur financement. Il semblerait, comme la Cour des comptes l’écrivait en 1991, que « trop souvent la seule justification de l’octroi d’une aide était la mise en avant du mot “femme”, efficace sésame pour l’obtention de crédits ».
En 2023, la Cour des comptes s’est penchée sur l’efficacité des politiques publiques en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le bilan qu’elle dresse est, encore une fois, préoccupant. Premièrement, elle relève que les plans d’action sont nombreux, mais souvent mal coordonnés et insuffisamment suivis. Ces dernières années, plusieurs initiatives se sont succédé, telles que le plan interministériel pour l’égalité professionnelle (2016-2020), le plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019), la convention pour l’égalité entre les sexes dans le système éducatif (2019-2024).
Pour quels résultats ? Le comité interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CIEFH) ne s’est pas réuni deux fois par an, comme il aurait dû le faire. Les administrations préfèrent suivre leurs priorités comme bon leur semble, au lieu de s’appuyer sur une feuille de route. Ce manque de coordination aboutit à une « juxtaposition de plans suivis inégalement ».
Deuxièmement, la Cour constate que les mesures sont souvent trop vagues pour mener à des actions efficaces. Le nouveau plan interministériel pour l’égalité entre les sexes (2023-2027), par exemple, ne comporte ni bilan détaillé des précédentes initiatives ni indicateurs de suivi clairs. Ces plans successifs sans articulation ni objectifs mesurables rendent toute évaluation de leur efficacité impossible, ce qui limite la capacité de l’État à ajuster ses actions en fonction de résultats concrets.
Enfin, la Cour critique l’organisation complexe des services de l’État chargés de la politique d’égalité, qui, selon elle, « peinent à remplir leur fonction ». Le foisonnement de hauts fonctionnaires et de référents dans les directions centrales, dans les services régionaux et dans les services départementaux dilue les responsabilités. Les conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO), qui fixent les engagements respectifs entre une association et l’administration, ne servent pas à grand-chose puisque l’État « n’est pas en mesure de s’assurer de la qualité effective des actions menées ».
Les crédits budgétaires du programme “Égalité entre les femmes et les hommes” sont renouvelés chaque année sans aucun suivi ni évaluation. Au total, les crédits de l’État qui concourent aux politiques d’égalité représentaient 2,4 milliards d’euros en 2023. Cette hausse de 84 % par rapport à 2022 s’explique par une valorisation des crédits du programme Accès et retour à l’emploi… n’ayant aucun lien direct avec ces politiques.
Le féminisme institutionnel : une rente ou un vecteur de progrès social ?
Tout n’est pas négatif : la Cour des comptes reconnaît les progrès réalisés pour mieux protéger les victimes de violences conjugales, notamment la création de places d’hébergement, l’augmentation des téléphones “grave danger” et la formation des agents des forces de l’ordre au contact des victimes. Pour autant, ces efforts restent des exceptions dans un contexte où l’évaluation de l’action publique est quasi inexistante.
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