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Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?

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D’après une étude du collectif d’agents publics « Nos services publics » de 2021, une majorité de fonctionnaires est confrontée à un sentiment de malaise dans leur mission. Des pistes de réformes existent.

Entretien de notre chargé d’études Aymeric Belaud par Atlantico

Atlantico : Quelle est la réalité du nombre de fonctionnaires dans notre pays ? Comment se répartissent-ils selon les secteurs ? Quelle part d’entre eux est plus « administrante » qu’autre chose ? Comment se situe la France par rapport à d’autres pays européens sur le sujet ?

Aymeric Belaud : L’ensemble des trois fonctions publiques, étatique, locale et hospitalière, employait, à la fin de l’année 2020, 5,7 millions de personnes, soit 33 700 de plus que l’année précédente. C’est une hausse de 0,6%. Dans la fonction publique d’Etat, l’emploi augmente de 0,8 % en 2020. Le total d’agents dans cette branche de la fonction publique atteint 2 526 800. Le nombre d’agents de la fonction publique hospitalière augmente de 1,8 % en 2020 (+ 21 500 salariés). Après la légère progression observée en 2019 (+ 0,5 %), le nombre d’agents territoriaux diminue de 0,4% en 2020. Le total de personnes employées dans la fonction publique territoriale est de 1,96 millions.

La part la plus administrante se trouve dans chacune des fonctions publiques : c’est celle qui produit les normes qui entravent la vie économique, les libertés individuelles, mais aussi le travail des fonctionnaires de terrain. Je pense ici à l’hôpital. Il faut savoir qu’au sein de l’hôpital français, près de 34 % du personnel n’a aucune tâche médicale. C’est 54 % de plus que les établissements allemands, à équivalent temps plein. Toujours en comparaison avec l’Allemagne, la France comptait 3 millions de fonctionnaires de plus en 2017, soit 93 fonctionnaires pour 1000 habitants en France contre 57 en Allemagne.

Quelles sont les leçons de la sociologie sur la fonction publique, lorsque celle-ci devient trop lourde ? A quel point cela peut-il être nocif ? Les thèses de Michel Crozier sur la fonction publique qui tourne trop sur elle-même sont-elles toujours d’actualité ?

Une lourde fonction publique entrave l’activité économique privée d’un pays. Les réformes de l’Etat du gouvernement Cameron en Grande-Bretagne nous ont livré une donnée intéressante : la suppression d’un poste de fonctionnaire, de la fonction publique d’Etat et/ou des collectivités locales permet la création de quatre emplois dans le privé !

Une autre remarque concerne les fonctionnaires eux-mêmes : une lourde fonction publique provoque une absurdité du travail de ces derniers. Selon une étude du collectif d’agents publics « nos services publics » datant de 2021, 80% des fonctionnaires déclarent être confrontés régulièrement à un sentiment d’absurdité dans l’exercice de leur travail.

C’est ce que relate Zoé Shepard dans ses livres : l’ambiance absurde du travail des fonctionnaires. Non recrutés et non rémunérés en fonction de leur compétence mais de leur niveau scolaire, et protégés par leur statut, la productivité des fonctionnaires est bien souvent faible.

Comment aider la fonction publique française à sortir de sa logique comptable, et notamment l’administration de la santé depuis les ordonnances Juppé ?

Prenons encore ici l’exemple des hôpitaux, qui selon certains meurent d’un manque de moyens et de la logique « comptable ». Or, les moyens alloués aux hôpitaux augmentent. Ce n’est pas la logique comptable qui est à déplorer, mais la manière dont elle est mise en place. A l’hôpital de Valenciennes, par exemple, le budget est excédentaire depuis bientôt 9 ans.

Plus grand hôpital non universitaire de France, situé dans un bassin de population important avec des critères sanitaires et sociaux défavorables, il connaissait nombre de difficultés. La direction a décidé, il y a une dizaine d’années, de réformer son fonctionnement afin de pouvoir les résoudre. Une des principales décisions a été de responsabiliser les soignants, les médecins et les pharmaciens afin d’en faire de véritables managers. La direction a également délégué aux chefs de pôle le droit de signature, ce qui signifie qu’ils peuvent passer des commandes ou embaucher. Le pilotage des pôles est mixte, mêlant personnel administratif et médical. Chacun a son autonomie financière, certes encadrée par des règles de gestion, mais qui permet aux médecins d’intégrer les diverses contraintes économiques et budgétaires dans un souci très responsable d’équilibre. Résultat ? Un budget en excellente santé, des investissements rendus possibles grâce aux fonds propres de la structure, une hausse de l’activité et des soins, du personnel médical et soignant embauché tous les ans et un taux d’absentéisme inférieur à 8%, soit plus bas que la moyenne nationale (entre 9,5 et 11,5 % en 2020).

Il faut aussi revoir le caractère public de l’hôpital. Il est tout à fait envisageable de passer un certain nombre d’hôpitaux en délégation de service public. Dans cette configuration, l’Etat ou les régions confieraient la gestion du service public hospitalier à un opérateur économique privé qui tirerait sa rémunération du résultat d’exploitation. Cela pousserait donc les hôpitaux à bien se gérer. En Allemagne, 90 % des directeurs d’hôpitaux sont des chefs d’entreprise, et le système de soins est l’un des meilleurs d’Europe.

C’est sur cette logique mêlant bonne gestion publique et délégation au privé que de nombreux services publics doivent s’inspirer.

Notre fonction publique a-t-elle tendance à trop chercher à se couvrir contre les risques et à produire de nouvelles normes de contrôle pour pouvoir véritablement aboutir à une possibilité de réforme ?

C’est ce que décrit Chloé Morin dans son livre Les inamovibles de la République. La haute fonction publique française est devenue un système irresponsable, hors des réalités, bloquant toute réforme et cultivant l’entre-soi. Elle impose un langage administratif et technocratique volontairement complexe et colonise les cabinets ministériels qui sont sous la coupe des énarques. Et l’on se doute que ces derniers vont protéger leur caste.

Pour remédier à cela, il faut que le politique retrouve son pouvoir et se libère du lobbying de la fonction publique. Pour réformer cette haute-administration, il faudrait, comme aux Etats-Unis, instaurer le spoil system : chaque directeur d’administration doit pouvoir être renouvelé après une élection.

L’ouverture des postes de direction des administrations à des personnes venant du privé est nécessaire pour engager ne serait-ce que le début d’une réforme ambitieuse, qui aboutirait par la suppression du statut de la fonction publique, hors fonctions régaliennes de l’Etat (police, justice, défense).

Réformer et/ou dégraisser notre fonction publique comme le prévoit Valérie Pécresse est-il impératif pour pouvoir réformer véritablement le pays ? Comment agir ?

Oui, la suppression du nombre de fonctionnaires est absolument nécessaire. Mais madame Pécresse n’est non seulement pas assez ambitieuse, mais elle se trompe dans ses calculs. Elle propose de supprimer 150 000 postes de fonctionnaires pour faire 75 milliards d’euros d’économies. Or, supprimer 450 000 postes de fonctionnaires entrainerait une économie de 100 milliards d’euros. Le calcul de Denis Payre (candidat exclu de la primaire LR), semblait plus juste : 620 000 postes de fonctionnaires en moins pour 145 milliards d’économies. Voilà un bon cap pour les cinq prochaines années.

Pour atteindre cet objectif, il conviendrait, comme je l’ai suggéré plus haut, de supprimer le statut de la fonction publique hors fonctions régaliennes et de multiplier les délégations de service public en donnant plus de place au secteur privé. A long-terme, c’est près de 3 millions de postes de fonctionnaires qu’il faudrait supprimer.

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9 commentaires

JR 6 janvier 2022 - 10:11

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Bonjour, tout le monde connait l’histoire du bienfait parasitaire. Un organisme vivant à besoin de parasite pour vivre. Seulement, le nombre, la quantité et le type de parasite doit être strictement proportionné à ce qui nous nommerons « la bête ». Dépasser le seuil idéal devient mortel, bien entendu, en passant préalablement par la case maladie. Nous en sommes là.
Il est inutile d’avoir fait Polytechnique (mais cela peut servir) pour comprendre ce rudiment, il suffit d’observer la nature (qui est verdit grâce au C02 soit dit en passant, il est toujours nécessaire de la rappeler aux faussaires du climat).
Nous pouvons aussi regarder les faits avec une autre approche, toute civilisation nait grâce à des pionniers (qui font tout avec rien), puis vint le moment de l’équilibre sociétale (bon rapport liberté/administration) et enfin arrive inéluctablement le déclin (suradministration, privation des libertés, taxation de tout ce qui bouge et avec tout on ne fait plus rien). Nous sommes à ce stade.
Vous avez bien compris que la suradministration correspond à la surcharge parasitaire fatale à « la bête ».
La France est en surcharge parasitaire.
Charles au secours ! Merci. Bien à vous

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Tibus 54 7 janvier 2022 - 5:28

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
5.7 M de fonctionnaires actuellement.
3 M de postes à supprimer à terme
Plus d’un poste sur 2 ?
N’est ce pas avec ce genre de caricature qu’on decredibilise une bonne idée ?
Réduire le nombre de fonctionnaires est une évidence mais rien de ce qui est excessif n’est digne d’attention

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VIGNELLO 7 janvier 2022 - 6:04

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Si nous étions en République notre honneur serait de respecter l’article 1 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Le statut public est anti-démocratique et ne devrait être réservé qu’à l’Armée qui seule sert le pays au lieu de se servir ou de l’asservir

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Candide06 7 janvier 2022 - 8:53

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
En réponse à VIGNELLO « Le statut public est anti-démocratique et ne devrait être réservé qu’à l’Armée qui seule sert le pays »:
Je crois même que votre proposition est encore plus pertinente (et évidente), si on prend en compte… la réalité : sauf erreur de ma part, la grande majorité des militaires, justement, sont sous contrat d’engagement à durée déterminée ! Renouvelé en fonction des besoins et de la qualité.
Rien ne s’oppose donc à ce que la myriade de fonctionnaires « non régaliens » soit elle aussi recrutée et géré de la même manière ! On ne sache pas que les militaires français défendent mal la France et répugnent à faire leur métier (jusqu’à donner leur sang et leur vie, tout de même) parce qu’ils ne sont pas embauchés en CDI comme fonctionnaire, non ?

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Astérix 7 janvier 2022 - 9:02

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
A mon sens, si vous comptez toutes les agences de l’état subventionnées et toutes les associations en tout genre étatiques, c’est plus de 7 millions de fonctionnaires en activité c’est à dire en non fonctionnement….!
Cette charge pour le secteur privé est insupportable et il conviendrait de supprimer le statut sauf pour les fonctions régaliennes de l’état (police, armée).
La privatisation de toute la fonction publique avec inscription dans la constitution permettrait une gestion saine, assurée par le privé, qui lui sait ce qu’est la notion de rentabilité… d’une entreprise…!
Bien évidemment aucun homme politique ne prendra une telle décision pourtant vitale.
Dès lors, la France grèvera sous les dettes sans que nos concitoyens lèvent le petit doigt, aveuglés et endormis par plus de 40 années de socialo communisme !!!
Le Français n’ayant jamais rien compris en économie, les carottes sont cuites…!
Comme le dit JR : « Charles et Georges au secours ».

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REEL 7 janvier 2022 - 9:53

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
PAS LU MAIS français c’est AIMER LA FRANCE POINT A LA LIGNE !!!
un fonctionnaire doit être en mesure de produire son Etat Civil de répondre a un concours pas obligé qu’il soit des sommets intellectuel mais connaître LA LANGUE on doit veiller qu’il ait un toit et a manger !!! un point c’est tout !!!!
fonctionnaire = SERVIR LA FRANCE et pas de se planquer !!!

surtout ne pas jouer avec les mots !!! fonctionnaires territoriaux pour planquer le chômage !!! c’est vrai a CUBA vous avez 3 serviteurs a un musée mais 1 seul militaire pour défendre un lieu CUBAIN

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Aymeric Belaud 7 janvier 2022 - 12:16

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Bonjour,

Pour répondre aux interrogations sur le chiffre à long terme de 3 millions de postes de fonctionnaires supprimés à LONG-TERME :

– Environ 40 % de la fonction publique d’Etat est composée d’enseignants : la mise en place d’un chèque éducation ferait des professeurs des employés du privé comme les autres, et donc plus des fonctionnaires. Environ 800 000 postes.

– Le passage, à long-terme, du personnel hospitalier en contrat privé enlèverait 1 million de postes de fonctionnaires, si ce n’est plus.

– Une réduction du nombre d’échelons territoriaux coupler à une baisse des effectifs dans les échelons restant pourrait supprimer à terme près de 1 million de postes.

Avec une baisse des effectifs dans les ministères et les agences d’Etat, on arrive donc facilement à 3 millions de postes de fonctionnaires en moins, et on rejoindrait le niveau de l’Allemagne.

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Verdun 7 janvier 2022 - 2:36

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Cooptation, idéologie, pantouflage, sabotage, médiocrité, déclassement, cooptation…

Quand ont voit des ministres ou des hauts fonctionnaires qui n’ont aucune formation dans le domaine de compétences qui leur est confié comment voulez vous que l’affaire tourne ? Quelle entreprise privée fonctionne ainsi ?

Pour exemple : avec le privé, on voit bien l’échec des laboratoires avec leur expériences géniques financées par la sécu et les productions délocalisées.

La lutte privée publique comme autrefois les « grands » contre les rois, la politisation et les lobbies sont d’autres parasites. Je ne crois pas au bienfaits des parasites même en nombre restreint comme certains le suggèrent.tout acteur doit apporter sa contribution.

C’est une idée pour faire des économies de supprimer des postes de fonctionnaires mais ensuite on en fait quoi ?

L’IREF a déjà demontré que les chiffres du chômage sont sous estimé de 50%.

Si c’est pour grossir encore le nombre d’inactifs qui pèsent toujours économiquement sur les actifs, je ne vois pas l’intérêt !

C’est la cohérence de l’action publique qui est à revoir. Combien de fonctionnaires s’inventent des activités ou bricolent pour passer le temps quand d’autres sont en burn out ? Dans les deux cas, nous sommes face à un échec et à un gaspillage d’impôts et taxes. La rationalisation des dépenses est également à surveiller.

Fabriqué en France, création d’emplois, patriotisme économique, inversement de la balance commerciale, voilà une autre solution à creuser d’urgence.. (je n’emploie pas volontairement les termes de protectionnisme ou préférences nationales qui sont considérés comme des grossièretés et pourtant..)

Sinon il y a (aura) aussi la guerre comme solution ultime ou le retour au moyen âge c’est mathématique !

Bien à vous

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Obeguyx 8 janvier 2022 - 6:57

Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurrent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Je suis parfaitement en accord avec cet article. Il faut penser aussi à supprimer toutes les subventions aux associations quelles qu’elles soient.

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