Bitcoin est le plus connu des moyens de paiement qui circulent sur le net, utilisé par 11 millions d’adhérents à son réseau. Mais les autorités publiques et les banques centrales veulent neutraliser cette concurrence, au prétexte de lutter contre les pratiques illégales, voire criminelles. La réalité est différente.
À l’heure actuelle les banques centrales des pays touchés par la crise s’efforcent de raviver leurs économies et redonner confiance aux acteurs de la vie économique en injectant toujours plus de liquidités. La Banque du Japon se propose de doubler en deux ans la masse de yens en circulation! Les monnaies officielles dont l’usage est prescrit par le pouvoir politique (« fiat money ») risquent donc d’être fortement dévaluées dans les mois à venir. Voilà qui relance le débat sur les moyens de paiement de substitution, Après l’émergence des monnaies locales, indexées sur l’euro ou le dollar, c’est au tour des monnaies virtuelles de connaître une forte phase de développement et un intérêt croissant. Le Bitcoin en est le représentant le plus connu.
Une monnaie électronique ?
Précisons d’entrée de jeu qu’une monnaie électronique est, dans l’état actuel des choses, un moyen de paiement restreint à une communauté de clients adhérents. Elle ne peut prétendre à devenir un pouvoir d’achat généralisé accepté partout dans le monde, elle n’a pas un pouvoir libératoire illimité. Une monnaie électronique est définie comme « une chaine de signatures digitales », définition donnée par le(s) fondateur(s) de Bitcoin dans un document qui circule sur Internet et signé sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto. Cette monnaie correspond à des lignes de code vérifiées, agrégées et partagées entre tous les utilisateurs du réseau. Ces lignes incluent toutes les informations nécessaires pour connaître l’état de tous les comptes. Cela fonctionne sur le même principe que le partage d’un fichier de musique sur Internet où tous les participants contribuent à la reconstitution du fichier. Personne ne joue un rôle privilégié et le système est parfaitement décentralisé.
Un Bitcoin n’est pas non plus créé ex nihilo comme on pourrait le penser. Chaque Bitcoin doit être « extrait » d’une façon bien déterminée. Pour faire un parallèle avec l’or, les mineurs ne sont plus des gens avec des pioches mais des utilisateurs d’ordinateurs puissants capables de résoudre des équations complexes et d’« extraire » ainsi du Bitcoin. À ce jour, il y a un peu plus de 11 millions de Bitcoin en circulation avec une limite fixée à 21 millions qui devrait être atteinte d’ici à 2040.
Quel intérêt ?
Pour le moment, l’utilité de cette monnaie virtuelle reste limitée ; rares sont ceux qui l’acceptent comme moyen de paiement et sa volatilité restreint ses utilisateurs à une dimension spéculative plus qu’à une réserve de valeur. Sur le graphique ci-dessous, vous observerez l’amplitude et la fréquence des variations du cours EUR/Bitcoin des 6 derniers mois sur la plateforme d’échange Mt.Gox.
Sécurité plutôt que confiance
En dépit de sa volatilité, l’intérêt de Bitcoin est à la fois technique et économique. Technique parce qu’il est pour l’instant impossible à falsifier. Chaque Bitcoin est numéroté via une clé électronique, cette clé est vérifiée avant chaque échange. Ce « verrouillage » contraste avec la logique des systèmes fondés sur une monnaie de base émise par une banque centrale. Car le système de banque centrale et de monnaie fiduciaire fonctionne par l’intermédiaire de tiers, et la confiance joue un rôle majeur dans son bon fonctionnement. Avec Bitcoin la confiance et la connaissance personnelle des contractants ne sont plus nécessaires, car l’échange est irréversible et fondé sur une preuve cryptographique. En conséquence, les coûts de transaction sont proches de zéro et c’est là l’un des avantages économiques. C’est l’un des intérêts majeurs qui pousse les groupes de capital-risque à investir dans les plateformes d’échange. Récemment, le fonds qui a investi dans Twitter, Union Square Venture, vient de financer à hauteur de 5 millions de dollars une start-up de San Francisco. Les échanges se multiplient, notamment dans les transactions avec la Chine, et aujourd’hui on peut transformer ses Yuan en Bitcoin. Voilà une vraie révolution pour une monnaie qui n’a pas cours sur le marché des changes internationaux. Bitcoin est donc une expérience grandeur nature et à l’échelle internationale d’une monnaie décentralisée.
Néanmoins, il existe de nombreux risques qu’il ne faut pas négliger. Des cambrioleurs d’un nouveau type vont désormais pirater les plateformes qui permettent d’échanger vos dollars ou vos euros en Bitcoin. Ce fut le cas dernièrement pour une plateforme française. La bonne nouvelle, c’est que les participants n’ont rien perdu et ont récupéré leur mise et leurs Bitcoins à sa valeur précédant l’attaque. Il faudra néanmoins renforcer les systèmes de contrôle pour limiter les pertes.
Contrairement à une monnaie fiduciaire, le Bitcoin n’est pas fondé sur la confiance mais plutôt sur une technique informatique capable d’annihiler le risqué de contrefaçon et de planche à billet.
Les monnaies virtuelles sous contrôle légal
Grâce à son architecture novatrice, les risques techniques intrinsèquement liés au Bitcoin sont donc limités. En revanche, les monnaies virtuelles suscitent un intérêt grandissant des banques centrales, qui se veulent gardiennes de la sécurité monétaire et font pression pour qu’un contrôle légal garantisse la viabilité du système à long terme. Le mois dernier, les autorités américaines ont décidé de fermer l’une des plus grosses plateformes d’échange. Le fonds « Liberty reserve » a été démantelé par la police, qui a démontré qu’il servait essentiellement au blanchiment d’argent, qu’il s’agisse de trafic criminel ou de fraude fiscale. La Commodity Futures Trading Commission étudie à son tour les moyens qu’elle pourrait mettre en œuvre pour réguler ce marché. En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) s’intéresse également à ce phénomène. Une note publiée en octobre 2012 revient sur les fondements techniques et théoriques des monnaies électroniques et en particulier ceux de Bitcoin. La BCE s’interroge aussi sur les moyens légaux à sa disposition pour contrôler les flux et notamment enrayer un risque potentiel de blanchiment d’argent à grande échelle. Puisque toutes les transactions sont anonymes et irréversibles, il est aisé, pour les criminels en tout genre, d’utiliser le Bitcoin pour leurs transactions. Néanmoins, tous les utilisateurs de Bitcoin ne sont pas des criminels et, quand bien même, l’argument ne tient pas ; l’existence d’une monnaie officielle contrôlée par un système de banque centrale n’a jamais empêché l’émergence et le développement d’un marché noir. On ne voit donc pas en quoi Bitcoin serait la cause de la criminalité déjà existante et très bien organisée et devrait être interdit. Mais il est évidemment plus populaire d’alerter l’opinion publique sur les dérives de Mammon et la lutte contre la criminalité que de ddire la vérité : les banques centrales redoutent la concurrence qui réduit l’efficacité de la politique monétaire qu’elles mènent (à l’inspiration des Etats bien sûr. Mais en quoi une banque centrale serait-elle garante du bien commun ?
Milton Friedman appelait de ses vœux la mise sous contrôle de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, pour lui imposer un système de limitation automatique de l’expansion de la masse monétaire à un taux prédéterminé. Il voulait mettre fin à la politique monétaire « discrétionnaire », pour lui substituer un processus d’émission « automatique ». Cela aurait permis, selon lui, de limiter l’inflation en gardant constante la création monétaire. De son côté, Hayek a prôné la privatisation de monnaies émises par des banques concurrentes. Ce rêve n’est-il pas en train de devenir une réalité ?
LL