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Thierry Gontier : l’Égoïsme vertueux. Montaigne et la formation de l’esprit libéral (Paris, Les Belles Lettres, 2023)

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Lorsque nous ouvrons en général une anthologie ou un dictionnaire du libéralisme, nous n’y trouvons que rarement, pour ne pas dire jamais, le nom de Montaigne ; leurs auteurs considérant en règle générale que le libéralisme est né au XVIIe siècle avec John Locke et son Second Traité du gouvernement civil, et non avant. Aussi toute l’originalité du livre que Thierry Gontier consacre à Montaigne, à l’excellent titre L’Égoïsme vertueux, tient à ce qu’il entreprend de rattacher l’auteur des Essais à la constitution de ce qu’il appelle l’ « esprit libéral ». (Le livre est d’ailleurs sous-titré : Montaigne et la formation de l’esprit libéral.) Le titre renvoie bien sûr à La vertu d’égoïsme – The Virtue of Selfishness en anglais – d’Ayn Rand, que Thierry Gontier compare d’ailleurs à Montaigne (p. 389-392). Car malgré les évidentes divergences qui existent entre les deux auteurs, un certain nombre de préoccupations communes permettent de les rapprocher : ainsi, l’estime de soi, la critique du conformisme social, la contestation de l’oubli de soi-même au seul bénéfice des autres – ce qu’Ayn Rand appelle l’ « altruisme ». On se réjouit d’ailleurs de voir que l’auteur réhabilite l’égoïsme et l’individualisme – chose qui ne se rencontre hélas que bien trop rarement !  -, notions qu’il ne réduit nullement à un quelconque narcissisme ou repli sur soi, mais qu’il associe bien plutôt à la noble souveraineté du « Je ». C’est justement le primat absolu du « Je » que l’on constate partout dans les Essais, Montaigne se refusant catégoriquement à penser ou sentir autrement que par lui-même, exerçant son jugement en toute liberté et indépendance d’esprit, loin des conformismes dogmatiques et idéologiques en tous genres.

Pour Thierry Gontier, nous le disions, Montaigne inaugure moins le libéralisme proprement dit en tant que doctrine économique et politique, que ce qu’il nomme l’ « esprit libéral » (p. 41) – une disposition d’esprit sans laquelle le libéralisme n’aurait sans doute jamais pu advenir. « Plus qu’une théorie unifiée, écrit-il, cet esprit libéral est fait d’une constellation de traits caractéristiques de l’écriture des Essais : valorisation de l’amour de soi et des vertus qui s’y attachent (authenticité, sincérité, etc.), affirmation du privé, antidogmatisme, relativisme, pluralisme des valeurs, promotion de la curiosité, méfiance vis-à-vis de l’autoritarisme, rejet de la cruauté, etc. » (p. 41-42). Montaigne aurait ainsi joué un rôle central dans la définition d’une véritable éthique libérale, une éthique de l’égoïsme vertueux, fondée sur la conquête par l’individu de sa propre autonomie ; ce qui nous rappelle d’ailleurs que le libéralisme, avant d’être politique ou économique, repose déjà sur une assise d’ordre moral : celle de la souveraineté de l’individu, du respect de ses droits fondamentaux, sur lesquels nulle autorité ne saurait légitimement empiéter.

Le fait d’ailleurs que Montaigne écrive à la première personne participe pleinement de la révolution intellectuelle que constitue dans l’histoire de la pensée occidentale le montanisme. Avec Montaigne, écrit fort justement Thierry Gontier, s’affirme un moi qui se dégage autant de l’idéal aristocratique – fondé sur les valeurs d’honneur, de courage, de magnanimité – que de l’idéal républicain – égalitarisme des citoyens, dévouement à la collectivité (p. 43). (Un idéal républicain qu’incarne notamment la Sienne médiévale du Trecento.)

Autre point tout à fait intéressant dans l’ouvrage de Thierry Gontier : le lien qu’il établit entre la crainte exprimée par Montaigne de vivre en dehors de la protection des lois, et les fondements intellectuels du constitutionnalisme libéral. Être libéral, comme l’écrit justement l’auteur, c’est « revendiquer une liberté privée protégée par les lois » (p. 378). Loin de rejeter l’État, Montaigne voit en lui, poursuit-il, « un instrument de protection de l’individu et de ses choix contre les formes de coercitions, ouvertes ou insidieuses, de la société ». Grand lecteur du Discours sur la servitude volontaire de son ami La Boétie, Montaigne se méfie du collectif peut-être davantage encore que de l’État lui-même. À ce titre, on ne saurait ranger les « anarcho-capitalistes » tels que Murray Rothbard au nombre des lointains disciples de l’auteur des Essais. Montaigne défend bien plutôt « comme Locke, Madison, Tocqueville ou Hayek, un libéralisme constitutionnel, dans lequel les droits des individus sont protégés par un dispositif juridico-politique » (p. 389).

Thierry Gontier signe donc ici à propos de Montaigne un ouvrage riche et fouillé, renouvelant en profondeur et avec originalité la place qu’occupe l’auteur des Essais dans l’émergence de la pensée libérale.

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1 commenter

Martinie 25 février 2023 - 11:31 am

Une présentation qui invite à une lecture posée et critique de cet essai

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