Le style de ce livre a la précision de l’historien et le réalisme du troufion. Pas de temps consacré au lyrisme du poète chrétien auquel il ne reste plus que huit jours  à vivre sur les champs de bataille. Péguy est un petit lieutenant, quadragénaire fluet et myope, mais qui n’a pas peur de faire avancer la 19ème compagnie avec fermeté et douceur. Car il les aime ses hommes, lui qui a connu tant de déceptions. Lui, le dreyfusard, n’a  pas été admis sous la Coupole, Bergson, son maître de la pensée, l’a trahi, sa Librairie  socialiste a fait faillite, son ménage va au plus mal. A tout cela s’ajoute son désaccord avec le pacifisme et l’internationalisme de Jaurès qui lui fait donner sa démission du  parti socialiste. Peu importe, il avance, le lieutenant Péguy dans le sens de la retraite générale,  mais il saura attaquer à temps l’ennemi au péril de sa vie.
La guerre se déroule comme toutes les guerres, rien ne change, les fantassins sont pris de court, la technique est dépassée, le ravitaillement insuffisant. Mais Charles, fils d’une famille laborieuse et  d’un père mort pour la France, non seulement se résigne à la guerre, mais y trouve sa véritable vocation, celle de défendre  le droit, la justice, la liberté. Selon Henri Clavel, le grand mystère de Péguy  c’est l’insertion de l’éternel dans le temporel, du spirituel dans le charnel, c’est l’abîme entre optimisme socialiste utopique  et foi chrétienne…  Jean-Claude Demory termine ce livre par les derniers mots de Péguy blessé, titubant : « Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! » et tombant à terre : «  Ah ! mon Dieu !…Mes enfants !… », mots qui en disent bien plus long que tout discours intellectuel !