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Bernard Quiriny : Le club des libéraux

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Un club des libéraux, vraiment ? 

A priori nous aurions dû nous réjouir de la publication d’un ouvrage explicitement centré sur le libéralisme et rédigé en langue française. En effet, habituellement, il ressort des seuls titres de livres publiés dans notre pays une appréciation négative au sujet de cette doctrine. Rien de tel ici puisque l’auteur, professeur de droit public et écrivain, parle d’un « club des libéraux ».

Il s’agit, ainsi que Bernard Quiriny le confirme, seulement à la dernière page du texte (p. 293), non pas d’une histoire mais d’une présentation de la doctrine libérale. Au gré de sept chapitres, vaguement agencés, dont un chapitre introductif, qui concernent en fait l’Etat, la propriété, les régimes politiques, l’économie, l’impôt et la liberté, s’égrènent une multitude de thèmes : les définitions du libéralisme (pp. 13-14), l’individualisme (pp. 14 s.), les drogues (pp. 18-19), Locke et le jusnaturalisme (pp. 23 s.), l’utilitarisme (pp. 29 s.), l’Etat, notamment avec Locke et les jusnaturalistes (pp. 37 s.), puis les utilitaristes (pp. 50 s.), la propriété avec la même dichotomie (pp. 86 s.), les riches (p. 122), les régimes politiques et la démocratie (pp. 133 s.), la souveraineté (pp.141 s.), Guizot (pp. 146 s.), la loi (pp. 149 s.), la « séparation des pouvoirs » (pp. 154 s.), la Constitution (pp. 161 s.), le contrôle de constitutionnalité des lois (pp. 171 s.), la décentralisation et le fédéralisme (pp. 181 s.), l’économie (pp. 185 s.), la publicité (pp. 193 s.), la planification et le socialisme (pp. 195 s.), l’interventionnisme (pp. 208 s.), le protectionnisme et le libre-échange (pp. 210-211), l’assurance sociale (pp. 220 s.), l’assistance (pp. 224 s.), la justice sociale (pp. 231 s.), l’impôt (pp. 241 s.), la liberté (pp. 261 s.), Dewey et la social-démocratie (pp. 276 s.), l’anarchisme (pp. 282 s.), le christianisme (pp. 284 s.), le conservatisme (pp. 286 s.) et les intellectuels (pp. 289 s.).

Malheureusement, dès la première page, l’ambigüité du propos saute aux yeux. Parmi les « quelques membres du club » qui animeront les discussions, l’un est admirateur de l’anarcho-capitalisme mais immédiatement qualifié de « libéral extrémiste », un autre est utilitariste et présenté comme un admirateur de Mises, un autre encore de Proudhon, le dernier est un lecteur de Sieyès…  Et effectivement, à la lecture de l’ouvrage, il en ressort constamment des discussions autour –explicitement – d’ « auteurs d’époques différentes, sans souci des anachronismes » (p. 293), ce qui ne pose pas de difficulté, mais aussi et surtout d’auteurs qui ne sont absolument pas libéraux. Pourtant, Bernard Quiriny ne s’en explique jamais, si ce n’est lorsque, en citant Cornelius Castoriadis, il reconnaît que ce dernier « n’était pas libéral », mais qu’il « aimait la liberté » (p. 138)… Certes, quelques auteurs ne sont pas présentés comme libéraux, mais puisque Bernard Quiriny n’en dit mot, le lecteur non averti est fondé à croire que tous les penseurs cités le sont : Berlin (p. 21), Proudhon, on l’a dit (pp. 52-53), Taine (pp. 58 s.), Lippmann (p. 61), Rawls (p. 65), Duguit (p. 111), Chesterton et Debord (p. 219), Hauriou (p. 229), Maurice Allais (p. 147), Dworkin (pp. 266-267), etc. Sans parler de Jaurès et surtout d’un John Stuart Mill évidemment omniprésent. Bernard Quiriny cite comme penseurs explicitement libéraux des écrivains qui n’en sont pas. Les « maîtres » sont annoncés : « Guillaume de Humboldt, l’abbé Sieyès, Royer-Collard » en face de Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Walter Lippmann » (p. 11) ! Libéraux également les Hamilton (p. 165) et autres Lionel Robbins (p. 209) ! On en finit par se demander qui n’est pas libéral…

La présentation du livre n’aide pas, il est vrai, le lecteur. Il s’agit d’une conversation à bâtons rompus sur les thèmes libéraux, parfois intéressante, par exemple autour de la propriété (pp. 86 s.) ou de la démocratie (pp. 133 s.). Mais Bernard Quiriny cite souvent sans donner les références en notes de bas de page. Si bien que le lecteur se trouve dans l’obligation, sauf exceptions, non justifiées au demeurant (pp. 38, 186-187, 203 & 266), de se reporter à la bonne trentaine de pages de notes in fine (pp. 295 s.). Pratique coutumière de l’édition contemporaine dont l’auteur n’est pas forcément responsable, il est vrai, mais pratique ici gênante, d’autant plus qu’il n’existe, de manière inadmissible, aucun index. Là encore, l’édition française aurait bien à apprendre de son homologue anglo-saxonne… Pratique gênante d’autant plus que le livre se conçoit en définitive comme une série de citations et de textes assemblés, sujet par sujet, parfois de manière arbitraire. Une cursive biographie en note de bas de page pour tous les auteurs cités eût été utile pour les non-initiés.

Sur le fond, certains choix apparaissent, au mieux, contestables, nous l’avons déjà relevé entre les lignes. D’abord, un rejet clair de l’anarchisme, qui n’apparaît pas plus en lumière que dans les dernières pages de l’ouvrage, peu reluisantes pour l’anarcho-capitalisme, expression qui n’est presque jamais citée au demeurant (pp. 282 s.). Ensuite, un traitement biaisé du libéralisme autrichien. En effet, Mises est constamment apparié à l’utilitarisme, ce qui méritait au moins une discussion. Cela trouble car la distinction entre les jusnaturalistes et les utilitaristes représente en réalité la distinction majeure des libéraux selon l’auteur. Une distinction qui tourne nettement à l’avantage des premiers car, au total, les utilitaristes se présentent comme bien peu libéraux à l’usage et fort interventionnistes… Quant à Hayek, ses conceptions apparaissent peu compréhensibles car Bernard Quiriny délaisse pour l’essentiel ses dernières œuvres et il en ressort un auteur en définitive très interventionniste.

En contrepoint, les allégations sur Dewey et les sociaux-démocrates (p. 276) sont bien clémentes, comme celles sur la pensée chrétienne – il est vrai que le Club des libéraux est édité chez Cerf…– et le conservatisme. A ce dernier sujet, l’auteur critique la conception hayekienne du conservatisme de manière là encore bien contestable (p. 288). Certains thèmes, malgré la grande variété de ceux traités dans le livre, semblent expédiés ou largement mis de côté malgré leur importance, à commencer par la subsidiarité, enfin citée (p. 284) alors qu’elle aurait dû l’être bien avant, et surtout par l’ordre spontané (pp. 273 & 288).

En substance, Le Club des libéraux laisse songeur. Un lecteur averti n’y trouvera pas grand-chose. Pis : un lecteur non averti sera amené, d’une part, à cerner comme libéraux une multitude d’auteurs qui ne le sont pas, d’autre part, à ne pas saisir clairement les grands principes du libéralisme, réduits à une opposition, parfois profonde, entre différents penseurs plus ou moins interventionnistes. Dans la grande catégorie des associations, le Club des libéraux se présente comme très ouvert aux personnes pas ou peu libérales…

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