Les pouvoirs publics confient une part de plus en plus importante de leur travail à des cabinets de consultants privés, et ce à des prix faramineux dont même la Cour des comptes ne parvient pas à établir le montant.
Les étudiants de Science Po déboursent en moyenne 5350€ pour le bachelor et 6750€ pour le master. Les contribuables doivent s’en féliciter car ils versent un salaire à tous les autres étudiants ayant vocation à travailler pour le public : IRA, ENA, ENS, Polytechnique… La raison invoquée est qu’il est normal que la société paye les études de ceux qui vont ensuite consacrer leur vie professionnelle à la bonne marche du pays ; une sorte d’investissement, donc. Or il y a un hic : alors que nos ministères sont remplis de ces diplômés prometteurs, ils sollicitent de plus en plus des cabinets de consultants privés pour effectuer leurs tâches, et ce à des prix qui ne cessent de s’envoler.
Que l’administration française ait besoin de coups de pouce du privé pour acquérir des méthodes plus efficaces et plus souples, on peut le comprendre ; mais que des pans entiers du travail des ministères et des établissements publics soient délégués à des consultants (dont les honoraires s’ajoutent aux salaires des fonctionnaires en place), voilà qui montre une faille du système. Une situation que dénonce la Cour des comptes, laquelle relève des enjeux « qualitatifs et d’ordre stratégique, en matière de gestion des moyens de l’Etat, de définition et de mise en œuvre de ces politiques ». Ces défauts qualitatifs et stratégiques se répercutent directement sur la façon dont les agents publics perçoivent leur travail : pour 80% d’entre eux, il comporte une bonne part d’absurdité.
Depuis les années 80, les consultants sont de plus en plus nombreux dans la sphère publique, et depuis les années 2000, les administrations publiques accaparent 10% du marché du conseil en France, pour un coût total impossible à évaluer : lorsque la sénatrice Valérie Boyer (LR) a posé la question au Gouvernement le 25 février 2021, le Premier ministre l’a éludée. Matignon a évoqué une enveloppe de 65M€ tous ministères confondus, mais c’est sans compter les conseils informatiques, les audits et les recours à des expertises juridiques. La Cour des comptes, quant à elle, table sur plus du double : « Les données transmises par les ministères, dont il est possible de considérer qu’elles donnent une image relativement fidèle des masses financières en jeu, conduisent à estimer les dépenses de conseil extérieur à au moins 150M€ en moyenne entre 2011 et 2013 ». Il s’agit là de données plutôt anciennes dont on sait qu’elles ne font qu’augmenter. Si elle n’a donc aucun coût officiel, la « République des consultants » représente plus de 500 commandes passées ces trois dernières années, et leur nombre est en croissance constante. Ces cabinets sont particulièrement actifs dans le domaine de la santé et dans celui du numérique.
Le système de santé que « tout le monde nous envie » est-il façonné par les consultants ?
La crise sanitaire a montré, très abruptement, à quel point les autorités publiques de santé déléguaient leurs compétences à certains gros cabinets de consultants. Durant la période mars 2020/février 2021, sept de ces cabinets ont reçu 28 commandes de la part du ministère de la Santé pour un montant total de 11,35M€. Entre février/octobre 2021, cinq d’entre eux ont reçu 20 commandes pour un montant total de 13,61M€. En dix-neuf mois, le ministère a donc déboursé près de 25M€ pour que des consultants viennent épauler des fonctionnaires payés à l’année par les contribuables. Le grand gagnant de ce doublon est sans conteste le cabinet McKinsey, leader dans son domaine, qui a empoché 10M€ entre décembre 2020 et mai 2021. Un cabinet qui a fait l’objet d’une enquête de la part de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil pour avoir obtenu un contrat de près de 500 000€ pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ».
Un Etat totalement largué sur la question numérique
Le numérique est l’un des plus gros marchés des cabinets de conseil auprès du secteur public. Les contrats s’y chiffrent en centaines de millions d’euros, tel que celui passé en janvier 2020 par l’Ugap (centrale d’achat de la fonction publique) pour des « prestations intellectuelles informatiques » à 730M€. Et pour cause : moins de 1% des fonctionnaires exercent des métiers spécialisés dans l’informatique ! A l’heure de la dématérialisation de l’administration, ce pourcentage ridicule illustre assez bien l’échec des ambitions gouvernementales. Un cas d’école est fourni par le ministère de la Justice : il n’assure en interne que 8% de ses besoins informatiques et délègue les 92% restants à des cabinets de consultants. Pour aider les 18 000 valeureux fonctionnaires qui doivent se frotter à ces technologies plus si nouvelles, l’administration s’est adressée de plus en plus à des prestataires extérieurs, avec une accélération très nette des coûts sous le quinquennat d’Emmanuel Macron : 650M€ en 2016, 800M€ en 2018.
Les administrations sont donc gérées par des fonctionnaires payés toute leur vie par les contribuables, certains depuis le début de leurs études, mais incapables d’assurer la totalité de leurs tâches et obligés de faire appel à des aides extérieures. Qui coûtent très cher, on l’a vu. Le collectif de hauts fonctionnaires Nos services publics le confirme d’ailleurs dans une de ses notes : l’Etat consacre 43 milliards d’euros par an à l’achat de prestations intellectuelles, ce qui représente 6% de son budget et de celui des collectivités territoriales réunis. De deux choses l’une : ou les fonctionnaires ont toutes les compétences requises pour assurer la bonne marche des affaires publiques et leur traitement se justifie ; ou ils ne les ont pas, ce qui nécessite le recours à des consultants extérieurs et il faut débattre de ce problème sans faux semblants, sans frilosité sur une possible coopération entre secteur public et secteur privé. Et surtout, sans double facture pour le contribuable.
Il conviendrait sans doute que l’administration diversifie ses recrutements pour acquérir les compétences qu’elle n’a pas. Si elle multiplie les prestations extérieures, et pourquoi pas, il faut alors qu’elle réduise ses effectifs.
8 commentaires
La République la plus taxée au monde, celle qui a le plus grand nombre de politiques et de services publiques doit aussi être celui qui fait appel au plus grand nombre de consultants. Cela montre bien s’il le faut encore la très grande fainéantise et incompétence qui règne dans son milieu dirigeant. Cela dit la fainéantise se limite bien au travail et surtout pas aux billets qui doivent remplir leur panse pour profiter pleinement des bienfaits de la vie et que les contribuables acceptent de leurs offrir.
« des pans entiers du travail des ministères et des établissements publics soient délégués à des consultants (dont les honoraires s’ajoutent aux salaires des fonctionnaires en place), voilà qui montre une faille du système. »
Non. Une faillite.
Excellent papier qui doit être adressé aux différents candidats à l’élection présidentielle avec demande express que celui qui sera élu explique quel sera son plan pour réduire ce coût en réduisant le double impact sur la charge dévolue aux contribuables.
Plus besoin de retranscrire les volontés des lobbies, ils les expriment désormais seuls et sont même payés pour ; n’oubliepas tes pantoufles mon petit.
L’état est largué dans tous les domaines mais parvient à cacher son bilan minable derrière une cacophonie médiatique et une crise sanitaire savamment montée en épingle.
Prochaine étape du progressisme, suppression des politiques et administratifs croupions of course.
Bien à vous
Voilà s’il en fallait une de plus, un bel exemple de la gabegie qui règne dans notre république. Le gouvernement semble incapable de fournir( à dessein) le montant de ces consultations extérieures ou bien – je me pose la question – faudrait il voir dans ces dépenses un moyen de rémunérer quelques sociétés amies ?? La Cour des Comptes elle-même ne s’y retrouverait pas c’est peu de dire que le système est plutôt opaque… Cela étant, ainsi qu’il est dit dans l’excellent article d’Aliénor BARRIERE notre fonction publique pléthorique serait elle si peu compétente qu’elle devrait faire appel à des privés pour accomplir les tâches qui lui sont dévolues ? Encore que si je me réfère au fiasco du logiciel « Louvois » j’ai tendance à penser que les consultants ne seraient pas tous des phénix…
En résumé l’Etat fait appel au secteur privé pour suppléer aux carences de l’Administration depuis plus de 40 ans ce qui donne à réfléchir sur la gestion de ce pays qui ressemble à la fois au Tonneau des Danaïdes et aux Ecuries d’Augias.
Les milliers de fonctionnaires doivent être assistés par des consultants indépendants car ils sont incompétents.
Mais cela nous le savions depuis des lustres !
C’est bien la raison pour laquelle, il faut entièrement privatiser la fonction publique car je rappelle que plus le secteur privé prend en charge la tâche des fonctionnaires plus les fonctionnaires augmentent en nombre…???
Logique implacable…???? Et les Français qui pleurent pour leur pouvoir d’achat ????
Le jour où ils auront compris, il tombera des haricots !!?
C’est à tomber par terre devant un tel niveau de connerie !!?
Là où l’inadaptation et l’incapacité de nos fonctionnaires nantis de toutes origines marquent leurs territoires d’insuffisances et d’incompétences…!
Constat qui optimise nos fonctionnaires, venus des Grands Corps de l’État, dans leurs carrières accréditées par « nos politiques »
Triste constat qui semble satisfaire l’incompétence, là comme ailleurs, aux frais du citoyens, contribuables…
Sans compter que leur papier doivent abonder dans le sens que le politique a choisi…
Effectivement il y a de plus en plus de fonctionnaire avec des titres mirobolants sans fiche de fonction et surtout les moyens mis pour contrôler leur efficacité et comme généralement ils sont incompétents si le consultant sait lui caresser le dos dans le bon sens il peut augmenter sa prestation