J’aurais aimé pouvoir approuver le discours tenu par le vice-président américain le 14 février dernier devant l’Europe réunie à la conférence de Munich sur la sécurité. On ne peut pas blâmer l’Amérique de vouloir que « l’Europe prenne des mesures importantes dans les années à venir pour assurer sa propre défense ». C’est même peut-être une chance de réveiller l’Europe qui a abandonné sa défense à d’autres depuis des décennies, ce qui est le signe des nations en perdition. Il a également eu raison de s’inquiéter, plus que de la Chine ou de la Russie, du « recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales. Des valeurs partagées avec les États-Unis ». Car des nations sans repère, sans identité profonde ne sont plus capables de se défendre ni même se développer ainsi qu’en témoigne le triste état de notre pays miné par une éducation autant qu’une justice en déroute tandis que l’Etat-nounou déresponsabilise toute la société.
Avec pertinence il a demandé aux Européens de reconnaître que la question de l’immigration était désormais un problème majeur et que nous ne devions pas craindre d’entendre la voix du peuple qui s’en inquiète à juste titre.
Il a encore eu raison de dénoncer les règlements européens qui limitent abusivement la liberté d’expression sur internet et les propos de Thierry Breton, réagissant à l’intempestif soutien de Musk à l’AFD allemande, semblant donner blanc-seing à l’Europe pour intervenir dans les élections nationales : « On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire si c’est nécessaire en Allemagne. » (BFM TV, 09/01/2025).
 Des propos sans nuance
 Mais sa critique de la décision de la Cour constitutionnelle roumaine d’avoir, le 6 décembre dernier, annulé le premier tour de l’élection présidentielle apparaît très excessive. Certes, cette décision a été prise sur les bases fragiles de la non transparence, voire du mensonge, du candidat improbable Calin Georgescu sur le financement de sa campagne et l’utilisation abusive et trompeuse des réseaux sociaux manipulés depuis l’étranger. Mais il est clair que la Russie a été à la manœuvre, de manière massive, pour faire passer en force « son » candidat et il est difficile de reprocher à la démocratie roumaine en construction d’avoir cherché à se défendre avec les moyens à sa disposition face à une agression inattendue autant que malhonnête.
Et certes, comme JD Vance l’a souligné, le Royaume-Uni a tort d’empêcher ceux qui le désirent de prier silencieusement pour les femmes qui avortent aux abords des cliniques où il a créé des zones de sécurité, de crainte que ces femmes ne subissent l’hostilité des manifestants contre l’avortement. Mais JD Vance fait du complotisme quand il accuse, à tort, l’Ecosse d’interdire aux gens de prier chez eux !
Il a tort aussi de prendre pour un déni de démocratie la condamnation par la Suède, ce 3 février, de Salwan Najem à une amende de 4.000 couronnes suédoises (350 euros) après qu’il a, plusieurs fois au cours de l’été 2023, en public, mis le feu au texte sacré des musulmans, tout en faisant des remarques vindicatives et désobligeantes sur l’islam. Sa condamnation bénigne a été prononcée pour incitation à la haine dans un pays où la liberté d’expression semble mieux garantie qu’ailleurs.
Les atteintes à la démocratie sont partout
M. Vance regrette que les organisateurs de la conférence aient interdit aux parlementaires représentant les partis populistes de droite et de gauche (l’AfD et l’Alliance Sahra Wagenknecht) d’y participer. Mais ces deux partis qui veulent se rapprocher de Poutine, en guerre larvée contre l’Europe, avaient-ils leur place à cette conférence européenne sur la Sécurité ? Et comment JD Vance peut-il utiliser cet argument alors que les Etats-Unis refusent de faire participer l’Ukraine et l’Europe à ses pourparlers préliminaires sur la paix en Ukraine ?
Ne faut-il pas resserrer les rangs occidentaux face à la Russie de Poutine qui a rompu les deux traités de 1994, notamment le Mémorandum de Budapest signé le 5 décembre 1994 par lequel la Russie a réaffirmé son engagement envers l’Ukraine, garanti par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, de respecter son indépendance, sa souveraineté et ses frontières existantes, et de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’usage de la force contre l’Ukraine sauf en cas de légitime défense ? La Russie a ensuite envahi la Crimée tandis que des mouvements insurrectionnels se fomentaient dans le Dombass avec l’aide des Russes. Pour apaiser la situation l’Ukraine accepta les accords signés à Minsk en 2014 et 2015 qui ne furent jamais respectés ni de part ni d’autre avant que la Russie l’envahisse le 22 janvier et y développe une guerre sans nom violant tous les accords internationaux : tortures, agressions de civils, rapts et déportations d’enfants…
Comment les Etats-Unis peuvent-ils faire la leçon à l’Europe en violant eux-mêmes leurs engagements de Budapest et en s’alliant allègrement avec un Poutine sans foi ni loi qui empoisonne et emprisonne ses ennemis politiques ?
L’humanité est imparfaite. Les Etats-Unis sont un pays de liberté, mais aussi celui où le wokisme prospère, où la drogue tue plus qu’ailleurs, où la violence n’est pas en reste… Ils peuvent donner des leçons à l’Europe, mais avec modestie.
Trump, l’imprévisible, met en œuvre une révolution qui a notre sympathie pour lutter contre l’Etat-providence, pour donner un coup de pied rapide et efficace dans la fourmilière de la bureaucratie fédérale et la contre-culture. L’Europe devrait aussi s’inspirer de sa méthode : move fast, break things (va vite et casse les codes).  Mais s’il veut, comme son égo l’y pousse et comme l’ont fait Thatcher et Reagan, convaincre le monde de le suivre et y mettre son empreinte, il faudra qu’il sache respecter ses amis naturels malgré leurs erreurs. Il faudra aussi qu’il soit fidèle à ses principes et correct dans son attitude plutôt que de traiter le courageux Zelensky de dictateur. A défaut il lèvera contre lui tous ses vrais amis possibles, il n’aura que des alliés d’occasion ou d’obligation, sa fausse paix imposée répandra la guerre, sa révolution ne sera qu’un leurre éphémère.