Si l’on écoute le gouvernement, aucun doute possible : il est pro-business. Loin de nous l’idée de nier ce qui a été fait et ce qui est en préparation dans la loi Pacte. Mais doit-on pour autant prendre ce qui dit le gouvernement pour argent comptant ?
Le gouvernement clame haut et fort qu’il fait tout pour permettre aux entreprises de se développer et gagner de l’argent. Ainsi, dans le dossier de presse présentant le projet de loi de finances 2019, les ministres soutiennent qu’ils mettent en œuvre une « accélération sans précédent du soutien au travail et à nos entreprises » et précisent que les entreprises vont bénéficier de 18,8 milliards d’euros de baisse d’impôts et de charges. Ces mesures créeraient 100 000 emplois en trois ans et génèreraient 0,2 point de croissance d’ici 2021.
Par ailleurs, avec la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en discussion au parlement, Bercy explique que les entreprises vont profiter de 470 millions d’euros d’allègement du coût du travail en 2019 avec les dispositions relatives à la hausse des seuils, et de 120 millions d’euros supplémentaires à terme. Une loi Pacte qui devrait générer, toujours selon les experts du Trésor, 0,3 point de croissance d’ici 2025 et même 1 point à long terme.
Bien entendu, il s’agit de rester très prudent face à des chiffres si précis dont la plupart se révèlent souvent fantaisistes au bout du compte. Si l’on considère les prévisions de croissance que les « experts » de Bercy délivrent chaque année au moment de la préparation du budget, on s’aperçoit qu’elles ne sont jamais tenues. Alors des prévisions qui font au-delà de 2025…
Nous n’allons pas examiner ici l’ensemble des mesures en faveur des entreprises, mais plutôt celles qui, dans les lois Pacte ou de finances comme dans les annonces faites ces derniers jours et les décisions prises, nous paraissent remettre en cause l’orientation pro-business affichée par le gouvernement :
– Prélèvement à la source
Après quelques tergiversations, il a finalement été décidé de maintenir le prélèvement à la source. Il entrera donc en vigueur en janvier 2019. Rappelons qu’il s’agit de demander aux entreprises de prélever l’impôt sur le revenu de leurs salariés à la place de l’administration des finances. Selon une étude de Mazars, les coûts de lancement sont estimés de 6 à 8 euros par salarié pour les ETI et les grandes entreprises, et de 26 à 50 euros par salarié pour les PME et TPE. Quant aux coûts récurrents, ils sont de 3 à 4 euros par an et par salarié en moyenne, mais montent jusqu’à 9 euros par an et par salarié pour les entreprises n’externalisant pas leur paye. Multiplié par 19 millions de salariés dans le secteur privé, cela représente donc quelques centaines de millions d’euros. De quoi annuler les effets de la loi Pacte énoncés ci-dessus.
– Taxe d’habitation
La disparition progressive de la taxe d’habitation a été confirmée. Pense-t-on vraiment que les collectivités territoriales vont réduire, du jour au lendemain, leurs dépenses de 26 milliards d’euros ? Communes et intercommunalités réclament d’autres ressources à l’État. Mais comme il est peu probable que ce dernier compense la perte de ressources à l’euro près, il est à craindre que les collectivités augmentent les impôts et taxes sur les deux seules catégories de contribuables qui leur restent désormais : les propriétaires et… les entreprises. Ces dernières ont subi récemment la révision des valeurs locatives des locaux professionnels qui a eu pour résultat une augmentation des impôts locaux pour la grande majorité des entreprises. C’est maintenant à une hausse des taux qu’il faut qu’elles s’attendent.
– Publication des écarts de salaire et de la liste des mauvais payeurs
Plus de 2 000 amendements ont été déposés par les députés sur la loi Pacte. Autant dire que nous ne sommes pas à l’abri de quelques surprises. C’est le cas avec le « name and shame », c’est-à -dire l’obligation pour les entreprises sanctionnées pour retards de paiement de faire publier cette sanction à leurs frais et sous astreinte financière dans la presse. Le risque est grand de jeter l’opprobre sur toute une profession – les patrons – même s’il peut-être répréhensible d’asphyxier ses fournisseurs par des délais de paiement inconsidérés. Les mauvais payeurs vont-ils vraiment changer d’attitude avec cette disposition ? A voir !
La loi Pacte prévoit également de modifier l’objet social de l’entreprise, ou encore d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés qui consiste à faire entrer davantage de syndicalistes professionnels dans les conseils d’administration. Est-ce que cela va vraiment aider les entreprises ? Et n’oublions pas l’obligation pour les entreprises cotées en Bourse de publier les écarts de salaires par rapport à leur salaire médian. Il y a fort à parier que cette disposition s’étendra à d’autres tailles d’entreprises dans les années à venir.
– Fiscalité accrue sur les carburants
Gérald Darmanin, le ministre des comptes publics, affirme que les entreprises vont bénéficier d’une nouvelle baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisses de charges. Mais, il oublie de dire que, dans le même projet de budget, la fiscalité sur l’essence et le gasoil va augmenter considérablement, et notamment celle sur le diesel, principal carburant des véhicules d’entreprises, qui va croître de 6,5 centimes par litre (contre 2,9 pour l’essence). Une hausse qui fait suite à celle des années précédentes (7,6 centimes par litre de gasoil en 2018).
Par ailleurs, le taux réduit de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) sur le fuel sera supprimé pour les entreprises industrielles et du BTP.
– Maintien de l’exit tax et projet d’augmentation de l’impôt sur les successions
On a longtemps cru que l’exit tax serait supprimée, comme Emmanuel Macron s’y était engagé. Mais, la promesse aura fait long feu. Finalement, les contribuables qui s’établissent hors de France et qui détiennent des titres dont la valeur est supérieure à 800 000 euros ou qui possèdent 50 % du capital d’une entreprise ne seront pas exonérés de la taxe sur leurs plus-values latentes. Le gouvernement dit vouloir mettre en place un « dispositif anti-abus » qui ciblerait les cessions de patrimoine intervenant jusqu’à deux ans après un départ de France, contre jusqu’à 15 ans à l’heure actuelle. Certes, c’est mieux que rien, mais la taxe est maintenue.
Dans le même temps, Christophe Castaner, secrétaire d’État chargé des relations avec le parlement, mais avant tout délégué général de La République en marche, a déclaré vouloir réformer en profondeur la fiscalité sur les successions. Il faut bien sûr comprendre alourdir puisque qu’il s’agit, pour le patron du parti majoritaire, de « corriger les inégalités de naissance ». Pour l’instant, il a été démenti. Mais jusqu’à quand ? Là encore, les entrepreneurs qui auront réussi et vendu leur entreprise seront dans le collimateur.
– Taxation des contrats courts
Emmanuel Macron avait promis, lors de la campagne électorale, qu’il taxerait davantage les contrats de travail de courte durée. Le sujet est revenu dans l’actualité avant l’été, mais Muriel Pénicaud, ministre du travail, a indiqué qu’elle ne s’emparerait pas du sujet pour l’instant. Elle laisse les partenaires sociaux trouver un accord d’ici la fin de l’année 2018. Si cela n’était pas le cas – ce que l’on peut craindre, car les organisations patronales ne veulent pas en entendre parler – le gouvernement modifiera la législation qui aujourd’hui, selon les dires de la ministre, « encourage la précarité ». Nous avons déjà expliqué pourquoi cette taxation des CDD serait inefficace, mais il semble que nous n’ayons pas été lu par la ministre !
– Vignette poids lourds
On n’en entend plus parler en ce moment, mais il y a fort à parier que l’idée d’une vignette d’autorisation de circulation périodique pour les véhicules utilitaires revienne à la une de l’actualité dans les prochains mois. Il s’agit par là de remplacer l’écotaxe mort-née, et de contraindre les transporteurs routiers à financer les infrastructures. Élisabeth Borne, la ministre des transports en a parlé fin mai 2018. Cela signifie que les services du ministère y travaillent d’arrache-pied, et prennent toutes précautions nécessaires pour éviter le fiasco de l’écotaxe et une nouvelle révolte des Bonnets rouges.
– Forfait mobilité durable
Le gouvernement entend promouvoir le vélo dans les déplacements domicile-travail et veut instaurer un « forfait mobilité durable » pouvant aller jusqu’à 400 euros, payé par les entreprises. Ce forfait serait facultatif : « On n’est pas dans une logique d’obligation », a dit Édouard Philippe, le premier ministre. Mais comment imaginer qu’il ne deviendra pas un jour obligatoire comme l’est la prise en charge à 50 % des frais de transport en commun ?
Toutes ces mesures en préparation s’ajoutent aux changements intervenus depuis le début de l’année et qui pèsent sur les entreprises comme, par exemple :
– la mise en place du nouveau bulletin de paie : certes, il s’agit de simplifier ce document, mais cela signifie des modifications des logiciels de paie, supportées par les employeurs. Des changements qui sont incessants puisque la fiche de paie a été modifiée à trois reprises en 2018, les 1er janvier, 13 mai et 1er octobre. Avant le grand changement du prélèvement à la source ;
– la baisse du CICE : si le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi sera supprimé en 2019 et remplacé par une baisse des charges, n’oublions pas que son taux a baissé le 1er janvier 2018, passant de 7 à 6 % et que l’impôt sur les sociétés des entreprises augmentera en proportion de l’allègement consenti ;
– la nouvelle réglementation sur les logiciels de caisse : depuis le 1er janvier 2018, les commerçants équipés de logiciels ou systèmes de caisse doivent obtenir une certification de conformité, délivrée par un organisme accrédité ou une attestation individuelle de l’éditeur. Destinée à lutter contre la fraude, cette réglementation a contraint nombre de commerçants à s’équiper d’un nouveau matériel ;
– l’obligation de facturation électronique pour les marchés publics : depuis le 1er janvier 2017, les grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) et les personnes publiques sont obligées de facturer électroniquement le secteur public. Cette obligation s’étend depuis à toutes les entreprises. Les entreprises de moins de 10 salariés seront concernées le 1er janvier 2020. L’administration met en avant les gains que cette disposition apporte. On ne les niera pas, mais on n’oubliera pas le coût de cette mesure pour les entreprises : formation du personnel à l’utilisation de l’interface de l’administration (Chorus Pro), achat d’un certificat électronique permettant d’identifier l’entreprise émettrice de factures (et renouvelable chaque année), probables frais de mise à jour ou d’achat de logiciels adaptés ;
– l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général de protection des données personnelles) le 25 mai 2018 qui renforce les obligations des entreprises et en crée de nouvelles comme celle du DPO (délégué à la protection des données) ;
– l’abaissement du seuil de négociation sur la pénibilité le 1er janvier 2018 : dans les entreprises de plus de 49 salariés, la négociation sur la pénibilité devient obligatoire dès lors que la proportion de salariés exposés au-dessus des seuils réglementaires de pénibilité est de 25 %, contre 50 % auparavant ;
– l’obligation de certification des avis clients en ligne depuis le 1er janvier 2018 : les sites internet diffusant des avis de consommateurs doivent respecter des critères de transparence et de déclaration (procédure de contrôle des avis, affichage des critères de classement, respect de délais de publication et de conservation, etc.) ;
– l’instauration d’un dispositif d’alerte et de recueil de signalement rendu obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés à compter du 1er janvier 2018 ;
– l’extension et augmentation du versement transport le 1er juillet 2018 : nouvelles communes concernées et donc nouvelles entreprises, et augmentation des taux dans des départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le taux augmentera encore en 2019.
Il est probable, malheureusement, que cette liste comporte des oublis.
Sans nier ce que fait le gouvernement à l’encontre des entreprises, force est de constater que tout n’est pas mis en œuvre pour simplifier la vie des entreprises. En la matière, le diable est dans les détails. Des détails qui peuvent coûter très cher, qui alourdissent le coût du travail et pèsent sur la rentabilité et la compétitivité des entreprises, mais auxquels les ministres ne semblent porter aucune attention.