A l’heure où, à l’approche d’une échéance électorale majeure que viendra précéder de peu une augmentation aussi dérisoire qu’opportune, il n’est question que du relèvement du point d’indice de la fonction publique (sans d’ailleurs que personne ne sache comment le financer), il nous a paru utile de remettre un certain nombre de choses en place pour tenter de laisser quelque chance à l’émergence de la vérité face à un certain nombre de débats et de déclarations proprement stupéfiants.
On ne cesse de nous rebattre les oreilles que nous avons la meilleure fonction publique du monde, en omettant toutefois de nous rappeler que nous avons surtout et de loin la plus nombreuse (5,64 millions d’agents, contrats aidés inclus en 2014) et la plus onéreuse rapportée aux effectifs des pays européens de taille comparable. On ne cesse également de nous rappeler la supériorité de notre service public qui, lui, ne travaille pas pour de l’argent, mais œuvre assidument pour l’intérêt général et défend des valeurs supérieures, telles que la vérité, l’intégrité, le dévouement, la solidarité et la loyauté, toutes vertus que bien entendu on ne trouve pas ou pas à ce point dans le secteur privé.
Entendons-nous, malgré son ton incisif, ce billet n’est pas un pamphlet contre la fonction publique, dont beaucoup d’agents œuvrent avec dévouement et compétence. Mais on ne peut laisser indéfiniment passer un certain nombre de dérives dolosives, dont le martèlement médiatique n’efface en rien la fausseté. Parmi ces dérives récurrentes, trois exemples notamment, tous d’actualité, viennent ainsi quelque peu troubler l’image édifiante que nous présentent quotidiennement ou presque les thuriféraires patentés du secteur public.
Le premier tient au long blocage (6 ans) du point d’indice, dont on nous dit qu’il aurait fait perdre 7 à 8% de pouvoir d’achat aux fonctionnaires. Pourtant que l’on sache, ce blocage du point ne s’est nullement traduit par un blocage de la carrière et les règles d’avancement et d’ancienneté (notamment glissement-vieillissement-technicité) n’ont pas été abrogées. De même, ce blocage du point d’indice n’a pas eu pour effet de plafonner les primes (certaines mauvaises langues prétendent même que la croissance très vive de certaines d’entre elles, d’ailleurs pointée par la Cour des comptes, aurait utilement acheté une sorte de paix sociale). Il n’a pas eu pour effet non plus de supprimer le jeu de l’indemnité individuelle de garantie du pouvoir d’achat, qui garantit le traitement indiciaire brut contre l’érosion monétaire. Enfin, il ne faut pas oublier que durant toutes ces années la grille de la fonction publique a évolué notamment en 2014 pour les catégories B et C (elle va encore évoluer pour les trois catégories A, B et C dès cette année) et que ces évolutions se traduisent généralement par des majorations de points bien senties. D’ailleurs, si pour éviter l’incidence de l’effet de noria (les nouveaux fonctionnaires qui prennent leur poste sont moins payés que les vieux fonctionnaires qui le quittent), on se réfère à la rémunération moyenne des personnels en place depuis plus de deux ans, on s’aperçoit qu’en 2013, en plein de la période de blocage du point d’indice, la rémunération effective moyenne a encore grimpé de 0,7% en euros constants. Bref pour ameuter l’opinion, les syndicats et les intervenants publics nous demandent de nous apitoyer sur l’exemple d’un fonctionnaire de catégorie A (en effet les autres catégories B et C ont bénéficié d’une révision de leur grille indiciaire ) qui en 6 ans n’aurait franchi aucun échelon, n’aurait bénéficié d’aucune révision de sa grille indiciaire, n’aurait touché aucune prime, aucune indemnité, ni aucun autre complément de salaire. Probablement que de tels cas existent, mais on aura beaucoup de mal à convaincre l’opinion qu’ils représentent le sort ordinaire de tous les fonctionnaires.
Toujours à propos des rémunérations de la fonction publique, le second exemple est encore plus pernicieux. Il se concentre sur la comparaison toujours sensible entre les rémunérations du public et les rémunérations du privé. Que nous dit-on? Que pendant que la valeur du point d’indice était bloquée dans la fonction publique et donc on l’a vu que le pouvoir d’achat des fonctionnaires ne cessait de fléchir, pendant ce temps-là les rémunérations privées continuaient à évoluer normalement en accroissant le pouvoir d’achats de leurs titulaires. Or, et ses auteurs le savent bien, il s’agit d’un argument de parfaite mauvaise foi. Il n’existe pas de point d’indice général dans le secteur privé et les rémunérations sont librement fixées dans le cadre de la réglementation en vigueur entre l’employeur et le salarié et en outre ce dernier se trouve exposé de manière permanente au risque de chômage (on en profitera pour faire observer – ce que tout le monde oublie – qu’une comparaison juste obligerait pour le privé à faire entrer dans le champ de calcul de la rémunération moyenne les indemnités de chômage, ce qui aurait inévitablement pour effet de réduire de manière significative le résultat obtenu ). Donc si on compare l’évolution des rémunérations privées et publiques, on ne peut que mathématiquement rapporter les rémunérations réelles du privé aux rémunérations réelles du public, lesquelles on l’a vu continuent à progresser en fonction de l’avancement, des primes et indemnités, ainsi que des retouches apportées à la grille indiciaire (notamment grilles B et C précitées). Et là quoi qu’en disent les syndicats de fonctionnaires, les rémunérations de la plupart de leurs mandants ont inévitablement augmenté – plus ou moins que celles du privé, c’est à voir – mais en tout cas elles ne sont généralement pas toutes restées rigoureusement étales sur 6 ans, comme le ferait accroire le blocage du point d’indice qui n’a certes pas le rôle d’étalon universel que ‘on veut lui voir porter.
Dernier exemple, lui tenant aux retraites. Lorsqu’on leur oppose le taux de remplacement de 75% dont bénéficient les fonctionnaires sur leur rémunération moyenne des six derniers mois d’activité, les syndicats publics – et même bien souvent les fonctionnaires eux-mêmes dès qu’on leur tend un micro – n’ont de cesse d’objecter qu’en revanche ils ne peuvent pas cotiser sur leurs primes et indemnités diverses, dont ils admettent en cette seule circonstance qu’elles peuvent représenter une part non négligeable de leur rémunération. En fait, les primes et indemnités diverses représentent en moyenne environ entre un cinquième et un quart du traitement indiciaire auquel elles s’ajoutent, mais c’est vrai que leur amplitude peut être fort importante d’un poste à l’autre (ainsi les enseignants ne touchent quasiment pas de primes, mais bénéficient souvent d’heures supplémentaires, alors que certaines autres fonctions bénéficient de primes pouvant atteindre 50% du traitement indiciaire de référence). Or le problème est que cet argument d’exclusion des primes et autres compléments souvent avancé même sur des plateaux d’émissions considérées comme sérieuses est rigoureusement faux. En effet depuis 2005, excusez du peu, il existe pour les fonctionnaires un régime obligatoire de retraite par capitalisation – le régime additionnel de la fonction publique – géré par la Caisse des Dépôts et Consignations et qui assujettit les primes et autres compléments jusqu’à un plafond de 20% du traitement indiciaire (c’est-à-dire à un taux très légèrement inférieur au taux moyen effectif des primes observé en moyenne et tel que précité). Quand on voit avec quelle arrogance, au contribuable un peu perdu l’Administration oppose trop souvent un péremptoire « nul n’est censé ignorer la loi », on peut légitimement s’étonner que nombre de ses représentants – et souvent les plus virulents, sinon les plus qualifiés – n’aient pas encore eu le temps de prendre connaissance sur leurs propres bulletins de paye du changement de législation intervenu en leur faveur voici maintenant … seulement une bonne décennie!
La fonction publique la mieux lotie, celle d’État, a l’habitude d’expliquer que le niveau enviable de ses rémunérations moyennes – nettement supérieures à celles des autres fonctions territoriales et hospitalières – s’explique comparativement au privé par le niveau, la difficulté et la sélectivité des concours, qui feraient que le niveau de qualification moyen de son personnel serait nettement supérieur à celui du personnel privé. On se permettra d’objecter en sens inverse que le secteur privé n’est pas peuplé d’incultes et de demeurés, qu’il a sensiblement relevé ses qualifications ces dernières décennies et qu’il s’y trouve même des gens qui sont parfaitement capables de conduire un raisonnement sensé. Or par rapport aux trois exemples ci-dessus, une fonction publique qui travestit la réalité, qui biaise ses arguments et qui tente quelque part de suborner l’opinion, renvoie une image peu flatteuse des qualités de retenue, d’objectivité et d’impartialité qu’on attend des serviteurs de l’État ou des autres collectivités publiques. D’autre part, même si on semble ne pas s’en être encore aperçu dans le secteur public, le secteur privé a fait beaucoup de progrès dans la connaissance des rémunérations, des coûts, des déficits et des retraites et autres avantages de la fonction publique. De plus en plus de Français savent désormais que les retraites de la fonction publique d’État, pour ne parler que d’elle, ne doivent leur équilibre qu’à une lourde ponction budgétaire de plusieurs dizaines de milliards opérée chaque année sur l’ensemble des contribuables et que le secteur privé se trouve bien malgré lui contraint de financer ces retraites publiques avant de s’occuper des siennes propres. On n’ose imaginer les cris d’orfraie des syndicats publics si l’on s’avisait d’inverser la vapeur en faveur du secteur privé, fût-ce très brièvement, très modestement et même pour un excellent motif (pédagogie de la réciprocité par exemple!)!
Non la fonction publique ne procède pas du droit divin (d’ailleurs fort peu en cour actuellement) et elle doit s’intégrer harmonieusement et efficacement dans un ensemble, qui lui assure d’ailleurs son entier financement (salaires, charges et retraites). Or le poids, les effectifs, les rémunérations et les retraites de notre fonction publique sont devenus tels qu’ils obèrent gravement à la fois la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat des individus et des familles, au point de menacer la survie d’un modèle qu’à l’extérieur nos politiques sont seuls à prétendre qu’on nous l’envie et qu’à l’intérieur de plus en plus de citoyens commencent à trouver abusif, paralysant et même à terme financièrement menaçant au regard notamment des dégradations successives de nos notations financières. Raison de plus pour que ceux qui s’expriment partout au nom ou en faveur de la fonction publique s’abstiennent de raconter des boniments à la Nation, dont les yeux peu à peu dessillés ne sont plus tout à fait à son égard ceux de Chimène.
Thierry BENNE
Docteur en droit – INTEC – Diplômé d’expertise-comptable
2 commentaires
enfumage
Oh ! que cela est bien dit et si clairement démontré !
Enfumage médiatique marxiste
Pourquoi aucun média ne rappelle l'existence de la GIPA ( Garantie Individuelle du Pouvoir d'Achat ) dont bénéficient presque tous les fonctionnaires ! Les syndicats stalino-marxistes qui parlent de baisse du pouvoir d'achat ne sont que des MENTEURS et des IMPOSTEURS !!! Ils ne sont là que pour garder leur pré carré et les privilèges exorbitants de leurs bataillons de fonctionnaires, en aucun cas pour défendre les salariés du privé et encore moins les chômeurs …