En 2022, une entreprise écossaise de cosmétiques avait réalisé une première mondiale en nommant un actionnaire pour représenter la nature avec un droit de vote au sein de son conseil d’administration. Cocorico ! C’est à un groupe de sociétés français basé dans le Nord, les services numériques Norsys, que nous devons l’exploit d’avoir fait encore mieux. Ou quand Norsys perd le nord…
La nature nommée au conseil d’administration d’un groupe français
Le président de Norsys vient d’annoncer qu’un siège d’administrateur serait attribué à la nature, représentée (nous allons revenir sur ce terme) par une personnalité indépendante, dotée en 2025 non seulement d’un droit de vote, mais, et en ceci réside l’innovation, d’un droit de veto (« Quand la nature devient actionnaire d’une entreprise », La Croix, 29 novembre 2024).
Le président du groupe, Thomas Breuzard, promeut ce qu’il appelle la « permaentreprise », néologisme qui reprend les bases de la permaculture autour de trois principes : prendre soin des hommes, préserver la planète et… « se fixer des limites et redistribuer équitablement les richesses » (Savoir Animal, 13 novembre 2024) !
Le représentant de la nature dans son groupe sera Frantz Gault, un sociologue spécialiste de cette question (Les Echos, 5 janvier 2023). D’autres représentants de la nature seront nommés dans les différentes instances de décision du groupe et ils se réuniront dans un « haut conseil pour la nature », lequel « jouera un rôle de coordination, d’influence et d’anticipation ». Un comité social et environnemental sera également créé (on espère qu’il sera plus efficace que le Comité économique, social et environnemental consacré dans notre Constitution…). Tout cela fait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, usine à gaz…
Qu’est-ce que recouvre le terme de nature ? Frantz Gault l’entend au sens large : air, arbres, eau, vivants humain et non-humain. « Ma mission, explique-t-il, va consister à répondre concrètement à la question de savoir ce que je vais représenter et ce que je vais défendre en priorité ». Les juristes seront déjà interloqués d’apprendre qu’un représentant ne sait pas qui il représente exactement… Le président du groupe a précisé que ce représentant serait « consulté en amont sur tout projet stratégique susceptible d’avoir un impact environnemental ».
L’animisme consacré
« Aujourd’hui, allègue Frantz Gault, nous sommes prêts à traiter les non-humains comme des êtres vivants ayant une volonté et des intérêts ». Bref, il s’agit d’une vision animiste ! Le sociologue avait déclaré en 2023 que dans une société de cosmétiques, par exemple, on pourrait songer à donner des actions aux « communautés végétales » utilisées pour fabriquer des produits (donc dans une bananeraie, on donnerait un droit de vote aux bananes…).
Il recommandait par ailleurs de développer une nouvelle forme de syndicalisme, dont l’objectif serait de défendre les « travailleurs non-humains ». Une bonne nouvelle pour les syndicats français qui ont bien du mal à recruter des adhérents humains… Le sigle CGT pourrait dès lors signifier Confédération générale du Tilleul et CGC, Confédération générale des Crevettes… « L’entreprise est plus ou moins fondée sur l’exploitation de la nature. Cela revient à donner une voix à quelqu’un de maltraité », poursuit notre sociologue.
La nature peut-elle être représentée ?
Revenons à la notion de représentation, si importante pour les juristes. Le fond du débat est, note l’article des Echos cité plus haut, de « représenter le vivant non humain comme un membre décisionnaire de la société ». « Le conseil d’administration est invité à se glisser dans la peau de la nature pour agir en son nom ». La nature passerait ainsi du statut d’objet à celui de sujet de droit.
Aux origines directes de ce délire il y a des lois successives, depuis bien sûr la Charte de l’environnement en 2005 jusqu’à la loi Pacte du 22 mai 2019.
Animisme et pollution du droit
Les interventionnistes en général et les socialistes en particulier sont dotés d’une ingéniosité sans égale pour inventer de faux droits de l’homme qui pervertissent les « vrais » droits attachés à la nature humaine (vie, liberté et propriété, selon la trilogie lockienne). En dernier lieu, nous avons ainsi pu prendre connaissance d’un « droit à un potager près de chez soi » ou encore d’un « droit au beau »…
On pourrait rire ou sourire de l’idée de la nature comme actionnaire d’une entreprise, mais ce qui nous plaît moins, c’est l’atteinte portée au droit. Comme l’écrivait Hayek, que nous citerons encore, garder au mot droit son vrai sens est une nécessité si nous voulons sauvegarder l’avenir d’une société libre.
Traiter la nature, les arbres ou les fleuves comme les/des êtres humains peut apparaître sympathique. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un retour au primitivisme et une négation de ce qui a fait l’essence de l’homme.
Pollution du droit et anticapitalisme
Il existe plusieurs manières de lutter contre ce qu’on appelle communément le capitalisme. Certes, ceux qui entendent le combattre frontalement considèreront que l’idée d’une nature actionnaire est un hommage de la vertu au vice, si nous pouvons nous exprimer ainsi. D’autres, qui pourront d’ailleurs être les mêmes, se récrieront devant un vil procédé de greenwashing, autrement dit devant le verdissement trompeur d’un capitalisme par définition antiécologique. Les libéraux, eux, penseront au contraire qu’il s’agit d’une tentative pour miner le capitalisme.
Facultatif ou obligatoire ?
Cela dit, dans un régime libéral, rien n’interdit de prévoir dans les statuts d’une société des règles innovantes ou farfelues, à partir du moment où les règles d’ordre public sont respectées. Pour le dire autrement, tant que les innovations restent facultatives, le risque est réduit. Mais lorsque nous lisons dans l’article des Echos la déclaration de la déléguée générale d’Entreprises pour l’environnement, une association qui, d’après son site, regroupe une soixantaine de grandes entreprises « engagées dans la transition écologique », que « ce serait une bonne idée que la loi rende obligatoire la présence d’un porteur de l’enjeu environnemental dans chaque conseil d’administration », nous sommes soucieux.
Nous le sommes d’autant plus lorsque nous constatons que le droit constitutionnel, auquel nous sommes si attachés, est victime depuis de longues années déjà de manœuvres pour lui porter gravement atteinte. Malheureusement, le risquese généralise. C’est aujourd’hui à nous qu’il revient d’affronter ce péril, quelque forme qu’il prenne.
3 commentaires
On redécouvre aujourd’hui que le cosmos possède une force créatrice,qu’il est capable de s’autodéterminer,en somme qu’il est un être vivant. La nature n’est pas mécanique,elle est animiste,elle a une âme .Source: Rupert Sheldrak
Ouais, j’suis d’accord. Pourvu que ça soit moi qui touche les jetons de présence (et qui ai le droit de veto. J’aime bien le droit de veto, surtout quand personne d’autre ne l’a…
Et comme les bananes ne peuvent pas avoir un compte en banque, je suggère « logiquement » que ça soit à moi que soient attribuées les actions (et dividendes qui vont avec. Ils vont exploer, bien évidemment, avec tant de vertu avisée, sésur…)
Non, plus sérieusement, concernant l’aspect de représentation, que vous invoquez fort justement, je vois une dérive grave et immédiate : dans notre société, pour qu’un représentant représente quelqu’un , il est essentiel que ce « quelqu »un’ exprime clairement son accord et du durée du mandat. Moi quand on commence à donner un pouvoir à quelqu’un auto-décrété représentant (et pour le bien général, en plus !), euh… je vois quelques précédents fâcheux dans l’Histoire.
D’ailleurs (tiens, comme les… sus-évoqués !), ce représentant, il rendra compte à qui ? A lui même ou à ses copains ? Je pense aussi à son droit de veto, bien sûr.
Tout ça fleure bon le totalitarisme, non ?!
Ce qui semble avoir fonctionné, c’est que quand quelqu’un ou un groupe subit -ou pense subir- une atteinte à son droit, eh ben, il va au tribunal, il décide pas lui même au nom du groupe: si la justice pense qu’effectivement l’intérêt général est atteint, l’État se substitue au plaignant (c’est le mécanisme -ultra-classique- qui implique alors partie civile, procureur, etc.). Au moins, c’est un vrai professionnel du sujet qui « dit le droit », prend de décisions et ordonne des actions (avec coercition le cas échéant)
Oh, on peut raisonnablement penser que la Justice a été volontairement et prudemment limitée à la gestion des intérêts humains. Avec quelques différences pas-philosophiques entre libéraux et collectivistes.
Peut-être une piste doit-elle être recherchée (en prenant garde aux dérives quasi-immédiates) du coté de la notion d’Etat représentant « légal » de toutes ces entités « non-humaines ». Restera alors à établir si la mission est centrée sur l’équilibre des intérêts humains ou/et sur des intérêts collectifs des bananes.
L’étape suivante, indispensable, étant de donner à quelqu’un un droit de veto (et de jugement !) sur l’horrible habitude des singes de manger des bananes sans leur demander…
Tant que tous ces extrémistes écolos auront un pouvoir on ne s’en sortira plus en France.