En 1992, Jean-François Revel faisait paraître L’Absolutisme inefficace, qu’il sous-titrait Contre le présidentialisme à la française. Les vices qu’il dénonçait n’ont pas disparu, bien au contraire…
Les tartuffes de l’opposition
Au moment où son ouvrage paraît, Jean-François Revel lutte contre le mitterrandisme. Il constate que le contempteur de la pratique gaullienne des institutions, particulièrement dans son livre (talentueux au demeurant et qui, en dépit de son titre, est bien plus qu’un brûlot) Le Coup d’État permanent de 1964, s’était parfaitement coulé dans le moule présidentiel. Mitterrand ne le cachera d’ailleurs pas, lui qui déclarera dans un entretien en juillet 1981 : « Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi » … Ainsi, deux mois à peine après son élection, le chef du Parti socialiste reniait plus de vingt ans d’opposition à la Ve République ! La rouerie du natif de Jarnac (ça ne s’invente pas…) n’avait sans doute jamais été plus éclatante.
C’est effectivement un grand classique que d’éreinter la Constitution de la Ve République lorsque l’on se trouve dans l’opposition, mais de tourner casaque dès que l’on se trouve au pouvoir. Comment en serait-il autrement quand on connaît tous les avantages de la pratique des institutions pour le président de la République en place ? Croit-on sérieusement que si Jean-Luc Mélenchon, le plus grand critique actuel de nos institutions, arrivait à ses fins, il adopterait une attitude effacée à l’Elysée, lui le grand admirateur de nombre de dictatures en Chine et ailleurs ?
Le Président absolu
Le général de Gaulle est devenu au fil des années un redoutable constitutionnaliste. C’est à juste titre qu’il déclarera lors de sa grande conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Le nouveau texte de 1958 ne faisait a priori du président de la République que l’homme des grandes décisions et des crises. La réalité des pouvoirs quotidiens se trouvait concentrée chez le Premier ministre, chef du Gouvernement, sous le contrôle de l’Assemblée nationale, comme il se doit dans tout régime parlementaire moderne et contemporain. Si ce n’est que, dès les premières semaines, de Gaulle a donné un tour « présidentiel » à nos institutions en empiétant sur toutes les fonctions. Pour s’y opposer, il eût fallu que le Premier ministre fît preuve d’une exceptionnelle volonté, mais tant l’aura que la personnalité du général écrasèrent dans l’œuf toute contestation.
Une exception française
Notre régime est habituellement qualifié de « semi-présidentiel » ou de « présidentialiste ». On veut signifier par là la prépondérance du chef de l’État selon l’exemple américain ou celui de régimes d’Amérique du Sud plus ou moins démocratiques. En réalité, au regard des canons des régimes politiques, notre régime est bien parlementaire, comme au demeurant l’essentiel des régimes politiques de par le monde. Si ce n’est que le nôtre est véritablement exceptionnel. En effet, il s’agit de l’un des rares parmi les nations démocratiques qui soit un régime parlementaire à présidence forte. Au sein des grands ou très grands pays, c’est même le seul et ce n’est pas un compliment. Partout ailleurs, en mettant de côté le régime suisse si particulier, soit le président fait face à un Parlement puissant, soit le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire, fait face à l’opposition de la ou des chambres (nous nous permettons de renvoyer à notre dernier ouvrage Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020).
La politique spectacle permanente
Le développement des médias a accru le biais présidentialiste. Dès 1977, le politologue Roger-Gérard Schwartzenberg dénonçait dans un ouvrage L’État spectacle. Les hommes politiques, présidents en tête, privilégient de plus en plus les effets d’annonce au détriment du fond et, devant leur impuissance grandissante au regard de la complexité de la société, le phénomène apparaît sans fin. Le spectacle des « communicants » cache la vacuité des programmes. Le phénomène s’amplifie depuis de longues années déjà au regard de la médiocrité générale de la classe politique, un fait largement souligné par les commentateurs politiques de tous bords.
Emmanuel Macron représente la quintessence de ce phénomène. Orateur hors pair, brillant débatteur, notre président réussit la gageure, à l’image de notre État, d’être à la fois surpuissant et impuissant, tout en étant politiquement irresponsable. Il capte tous les pouvoirs ou presque, il ravale ses Premiers ministres au rang de chefs de cabinet, il donne des conférences de presse avec à ses pieds les membres de son Gouvernement, un gouvernement dont il nomme le chef mais dont il décide également, et au mépris de la Constitution, de la composition. Tout cela n’est pas propre à la présidence actuelle, comme s’en offusquent quelques hommes politiques à la bonne foi douteuse et à la mémoire labile. Il est beaucoup moins courant en revanche qu’Emmanuel Macron se permette de donner à la presse en primeur les éléments de la future déclaration de politique générale de ses Premiers ministres !
Qu’attendre du Gouvernement Attal ?
La réponse ne fait guère de doute. Il y a quelques jours, Jacques Garello disait sur ce site qu’il ne fallait rien attendre du Gouvernement Attal sur la question de l’éducation pour la simple et bonne raison que les vrais problèmes n’étaient pas posés. Nous élargirons le propos : il n’y a rien à attendre de ce Gouvernement sur l’ensemble des dossiers et c’est d’ailleurs le meilleur moyen de n’être point déçu…
Le Gouvernement Attal n’est que l’avatar de la politique spectacle et ce, pour une double raison essentielle. D’abord, la nomination d’un Premier ministre jeune a pour objet de séduire les électeurs à l’orée de la campagne des élections européennes, de faire mentir les sondages peu reluisants pour la majorité présidentielle et de contrer l’ascension de l’extrême droite dont on souhaite qu’elle soit résistible. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous une fois le scrutin de juin passé, scrutin qui donnera lieu comme de coutume à une importante abstention, l’effet Gabriel Attal fera pschitt et la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron risque d’être un long chemin de croix…
Ensuite, la nomination surprise de Rachida Dati comme ministre de la Culture n’est que le prélude à de vastes manœuvres en vue des élections municipales de Paris, soit pour écraser Anne Hidalgo, abhorrée par le président, soit une nouvelle fois pour fracturer la droite.
De manière stupéfiante, les hommes politiques français, qui se flattent le plus souvent d’avoir une « vision » et, au contraire d’un marché myope, d’œuvrer au long terme, se trouvent réduits, chef de l’État en tête, au rang d’organisateurs de basses manœuvres électorales.
Mettre fin à l’exception française
Notre régime politique actuel, à la tête duquel se trouve un président à la fois responsable de presque tout et politiquement irresponsable, doit prendre fin. Pas besoin pour cela de changer de République comme le pense (dans l’opposition en tout cas) Jean-Luc Mélenchon. Il suffit de lire autrement nos institutions, d’en avoir, pour paraphraser le général de Gaulle, une autre pratique. La réalité de la fonction gouvernante devrait revenir, comme dans l’ensemble des régimes parlementaires, au Premier ministre, chef de la majorité à l’Assemblée nationale, sous le contrôle de l’opposition parlementaire et du Conseil constitutionnel. Le Parlement (re)deviendrait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le centre de la vie politique française, à l’encontre des comités Théodule et des faux-semblants de la « démocratie participative ».
9 commentaires
Excellente analyse de mes amis de l’IREF.
Excellent article. Nous devons revenir à une pratique normale de nos institutions. Le Parlement débat et vote les lois. Le gouvernement gouverne et fait fonctionner l’administration. Le Président préside, promulgue et veille à l’exécution des lois. Il veille au bon fonctionnement d’ensemble de la nation. Le personnel politique cesse de parler et écoute, décide, et agit. Les assemblées doivent redevenir un lieu d’échange et de débat et donc ne rassembler qu’un nombre réduit de parlementaires. A 577 députés l’assemblée n’est plus qu’un champ de foire. Les vrais échange se font en petit comité.
Nous avons la meilleure constitution qui soit compte tenu de notre peuple. Une constitution qui s’adapte ! Le problème n’est pas la constitution mais la pratique de cette constitution. On le voit avec le gouvernement des juges mais aussi bien sûr avec le rôle dévolu aux parlementaires. Mais, l’élection permet de redistribuer les cartes. Cela met parfois du temps mais rien n’est impossible… Ensuite, il faut espérer que des dirigeants de valeur occupent le pouvoir. Et ça aussi, cela dépend – en partie – de notre peuple. En fin de compte, nous avons ce que nous méritons. Mais n’accablons pas la constitution…
Je suis d’accord mais alors il faut revenir sur l’élection du PR au suffrage universel et rejoindre ainsi les autres pays européens avec un chef de l’Etat confiné dans un rôle de représentation symbolique de l’unité de la Nation. C’est souhaitable mais est-ce possible dans ce pays dont la culture politique est certes libertaire (c’est en France que la satyre politique se porte le mieux depuis Rivarol avec sa plaisante formule « sans le gouvernement on rirait moins en France », jusque aux « Guignols de l’info » en passant par les chansonniers, le Canard enchaîné et le fameux adage : « en France tout se termine par des chansons ») mais aussi autoritaire (absolutisme royal, bonapartisme, boulangisme, pétainisme, gaullisme, poujadisme, mélenchonisme), certes égalitaire (égalité juridique des héritiers lors d’un partage successoral, des candidats lors de l’accès par concours aux postes de la fonction publique, socio-économique avec la Sécurité Sociale, les aides diverses et la retraite par répartition qui toutes induisent une forte redistribution du revenu national..) mais aussi hiérarchique avec l’existence des catégories A,B,C et des grands corps de l’Etat de la fonction publique et de la catégorie « cadres » dans le secteur privé dont la France a le monopole. C’est là , avec cette élection du PR au suffrage universel introduite par lui, que le fameux pragmatisme du général de Gaulle a atteint une de ses limites : il est clair en effet que chez aucun de se successeurs la fonction n’a créé un organe de son niveau.
Merci pour cet éclairant article. Les points sur les i mais que fait-on après avoir dénoncer ces mauvaises pratiques?
Félicitations Monsieur JP FELDMAN.
Votre article est super. Tout est dit. Cela fait plaisir de lire que d’autres personnes pensent comme nous et que l’on ne rêve pas tellement les décisions prises, les discours sans intérêt sont la panacée de ce Président. Un jour blanc, le lendemain noir ! C’est triste de constater une telle « décadence » de notre pays. Avec Macron nous touchons le fond. Il veut tout gérer mais n’a pas les capacités ni la stature d’un grand homme. Il dit tout et son contraire. Les députés ne servent plus à rien alors qu’ils sont élus par le peuple pour le représenter. Tous les budgets ou pratiquement tous sont passés avec le 49-3 mais cela ne gêne personne ? Moi, j’appelle cela de la dictature ! Plus de démocratie ! Et combien de lois prises par décret sans que les français ne le sachent. Prendre des décisions comme pour les éoliennes sans vision à long terme avec un engagement financier très important. Il aurait peut-être fallut étudier le pour et le contre et demander l’avis de scientifiques avant de s’engager et d’arrêter le nucléaire. Et c’est la même chose dans tous les domaines. La France est endettée à un niveau historique mais ce n’est pas grave Macron continue de distribuer l’argent. Mais qui paie ? Les français qui voient leurs prestations diminuer au niveau de la santé et leurs prélèvements augmenter. Les français qui paient les produits plus chers que dans les autres pays européens. La France au niveau économique est 25eme sur 27. C’est impensable.
Je partage cette analyse et globalement les 4 commentaires précédents bien que je sois un homme d’une gauche républicaine pour un partage humanitaire à la Jaurès. Toutefois il faut tenir compte de la nature humaine, acaparative bien souvent, pour modifier au minimum cette constitution et aussi modifier les corps d’états qui forme avec les politiques désignés une véritable caste.
Bien d’accord, la Constitution fonctionne depuis plus de 60 ans, mais de moins en moins bien parce que son esprit et sa pratique, jadis respectés par de vrais hommes d’État, sont maintenant dévoyés par que des technocrates avides de pouvoir, y compris au plus au niveau réglementaire et judiqciaire.
Ainsi, inscrire dans un décret que l’éducation nationale est une priorité est parfaitement démagogique car purement potestatif : c’est officialiser la démagogie.
Inscrire n’importe quelle mesure dans la Constitution, qui constitue en réalité les statuts de notre société, n’a qu’un sens politique pour empêcher l’adversaire qui reviendrait au pouvoir de revenir dessus.
Ces politicards cassent nos textes fondamentaux et voudraient les refondre pour n’en faire qu’un peu plus à leur tête : attention à la dérive actuelle de nos textes, ce sont nos libertés qui sont en jeu !
On peut rester factuel et regarder aussi une tendance depuis 1789 pour se convaincre que la France s’est échouée à tous point de vue.
Et se demander pourquoi vous ne considérez pas l’ue qui gère beaucoup plus de 50% de la politique, la gesticulation nationale et la perte de souveraineté ?
Intégrer la supériorité des traités est une ineptie. La référence n’est désormais plus la constitution et elle doit donc être exclue de la place centrale du débat.
Il n’y a plus de séparation des pouvoirs mutants. Le conseil constitutionnel a signé sa fin depuis qu’il a accepté de se verser des primes non déclarées avec les conséquences que vous connaissez, etc, etc. Sans même parler de la dette et tous les hors bilan qui gonflent le pib l’étatisation de toutes les caisses et aujourd’hui l’état qui lorgne de plus en plus sur l’épargne pour se refaire après avoir décentralisé ses dettes sur les collectivités.
Ce régime qui en est à son cinquième stade n’est pas pérenne. Cet état est un état fantôme. Ce régime politique tombera. Autant qu’il tombe le plus vite possible.
Bien à vous