Chercheur au Cato Institute, Johan Norberg est un essayiste suédois reconnu au plan international depuis la parution de son ouvrage In defense of global capitalism – traduit en français sous le titre Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste (Paris, Plon, 2004). Il y défendait les marchés libres, l’ouverture à la concurrence et la liberté du commerce international, loin des idées reçues sur la mondialisation conçue comme facteur d’aggravation des inégalités entre pays riches et pays pauvres. En faisant paraître The Capitalist Manifesto (Londres, Atlantic Books, 2023), Johan Norberg actualise donc le contenu de l’ouvrage précité paru quelque 20 ans plus tôt, démontrant en quoi le capitalisme libéral est sans doute ce qui est arrivé de mieux à l’humanité, n’en déplaise aux nostalgiques du socialo-marxisme, toujours prêts à enterrer vivant le seul système qui ait jamais apporté à la plus grande partie du monde une prospérité aussi forte et durable. Le contexte n’est toutefois pas le même que vers l’an 2000 : car aujourd’hui, ce n’est plus seulement la gauche idéologique qui s’oppose à la mondialisation, mais aussi la droite souverainiste et nationaliste, adepte du repli sur soi protectionniste conçu à tort comme moyen de défendre les intérêts vitaux du pays. Dans cet ouvrage nouvellement paru (dont on espère qu’une traduction en français verra prochainement le jour), Johan Norberg tort le cou à toute une série de préjugés nourris tant par la gauche que par la droite, ce qui en fait une lecture essentielle pour le libéral désireux de défendre ses idées de manière factuelle et argumentée, dans un monde qui semble de plus en plus se détourner des principes fondamentaux du libéralisme classique de laissez-faire.
Les bienfaits de la mondialisation libérale (pour les pays aussi bien pauvres que riches)
Johan Norberg insiste sur le fait que l’une des principales critiques adressées à la mondialisation il y a une vingtaine d’années était qu’elle enrichissait les pays développés au détriment des pays les moins avancés. Aujourd’hui, dit-il, c’est le reproche contraire qui est souvent fait à la mondialisation, accusée de desservir les intérêts des pays riches. Car la classe politique dans son ensemble peine toujours à comprendre que la mondialisation n’est pas un jeu à somme nulle. Pour eux, comme l’auteur le rappelle dans un entretien paru dans L’Express (24 août 2023, p. 50), « si quelqu’un gagne, un autre doit forcément perdre ». Face aux prophètes de malheurs qui essaiment partout dans les médias depuis plusieurs années, Johan Norberg nous donne une leçon d’optimisme pour l’avenir en regardant le passé du point de vue de Sirius : l’humanité ne s’est jamais autant développée, n’a jamais atteint un tel niveau de développement et de prospérité, et ce grâce à l’avènement du capitalisme libéral aux XVIIIe et XIXe siècles, qui a permis depuis lors aux pays qui l’ont adopté de voir leur économie décoller au bénéfice du plus grand nombre.
Une cassure s’est en effet produite dans l’histoire économique du monde occidental – rupture dont les bienfaits s’élargiront ensuite aux pays en développement à compter des dernières décennies du XXe siècle. Durant les 1800 premières années de notre ère, écrit Johan Norberg, le revenu moyen a très peu évolué (Capitalist Manifesto, p. 22). C’est alors qu’un phénomène inédit survint en Grande-Bretagne, il y a plus de 200 ans : la révolution industrielle, avec pour conséquence une croissance plus forte ainsi qu’une diminution spectaculaire de l’extrême pauvreté – divisée par deux entre 1820 et 1850 (ibid.). Initiatrice de cette grande mutation économique, la Grande-Bretagne fut suivie par le reste de l’Europe occidentale et les États-Unis, pays qui devait finalement accéder au statut d’économie la plus libre au monde.
Ce qui se passa initialement dans le monde occidental devait également se produire dans le monde en développement : autoritarisme du pouvoir politique autant que colonialisme européen n’engendrèrent pendant longtemps dans les pays les moins avancés que stagnation économique, jusqu’à ce que ceux d’entre eux, qu’on devait nommer plus tard les « Tigres asiatiques », décident de s’ouvrir à la mondialisation en abolissant leurs barrières douanières (p. 23). Contre toute attente, ces pays se sont industrialisés à un rythme spectaculaire, finissant même par supplanter les puissances coloniales sous la coupe de laquelle ils avaient jadis été placés – p. 23- (ainsi Hong Kong, ancienne colonie britannique). Rappelons que dans son classement des pays les pays les plus libres économiquement en 2023, le think tank Heritage Foundation situe encore Singapour à la première place et Taïwan à la quatrième.
Johan Norbereg rappelle aussi comment Taïwan était à peine plus riche que la Chine au milieu des années 1950 (p. 24). En s’ouvrant à la mondialisation, Taïwan est devenu quatre fois plus riche en 1980. De même, ajoute-t-il, la Corée du Nord était plus riche que la Corée du Sud en 1955. Or aujourd’hui, la Corée du Sud est vingt fois plus riche que la Corée du Nord (ibid.).
La mondialisation libérale se révèle être également positive dans le cas des pays africains qui ont ouvert leur économie aux échanges internationaux. Entre 2000 et 2020, ces pays ont en effet enregistré une croissance trois fois plus rapide que les pays africains ayant refusé de jouer la carte de la mondialisation (p. 33). « Dans l’ensemble, ajoute l’auteur, le PIB par habitant en Afrique a augmenté de 35% entre 2000 et 2020, plus rapidement que dans le reste du monde en général » (ibid.). Durant la même période, « la pauvreté extrême est passée de presque 60% à juste un peu plus de 40% et la production a quasiment doublé » (idid.). Ce qui empêche nombre de pays d’Afrique de se développer encore plus fortement aujourd’hui ne tient absolument pas à la mondialisation, mais bien plutôt à la survivance de certains archaïsmes politiques : dictatures, coups d’État militaires, corruption, etc. L’Afrique dans son ensemble ne pourra enregistrer une croissance comparable à celle que les Tigres asiatiques ont naguère connue (et qu’ils connaissent encore aujourd’hui) que si elle libéralise encore plus complètement son économie et se démocratise davantage.
Quant aux pays riches, il ne faudrait pas croire que la mondialisation nuit à leurs intérêts, tout au contraire. Contrairement à ce qu’a par exemple déclaré Trump en janvier 2019, la Chine n’est pas « le plus grand bénéficiaire d’Apple », au détriment des États-Unis. La Chine ne profite en réalité que de 2% du prix d’un iPhone7, « le reste allant à la valeur ajoutée, que ce soit la recherche, le développement technologique ou le marketing » (L’Express, p. 53). Nous redécouvrons ainsi avec l’ouvrage de Johan Norberg que la mondialisation libérale, initialement impulsée par l’Occident, continue à lui être profitable tout en bénéficiant aussi aux pays en développement.
S’il faut être pessimiste, c’est vis-à -vis des pays qui se sont lancés inconsidérément dans une expérience socialiste ou qui restent attachés aux principes collectivistes
L’optimisme de Johan Norberg est toutefois tempéré par l’existence, toujours en 2023, d’un certain nombre de contre-exemples tels que la Chine communiste (on lira notamment le chapitre 7 du livre, « China, paper tiger ») et le Venezuela socialiste. En Chine, « Il y a vingt ans, déclare Johan Norberg dans l’entretien précité accordé à L’Express, il y avait un vrai essor d’une société civile, d’entrepreneurs, voire d’expérimentations locales de certaines formes de démocratie. Mais le Parti communiste chinois a été terrifié par ces évolutions, et Xi Jinping a effectué un retour en arrière en termes d’autoritarisme et de centralisme, réprimant les médias et la liberté d’expression, mais aussi les entrepreneurs privés, pourtant tous des vecteurs du progrès. Cela représente un revers non seulement pour nous autres libéraux, mais aussi pour l’économie chinoise » (L’Express, p. 53). Johan Norberg relativise ainsi l’idée courante selon laquelle le monde à venir sera dominé par la rivalité entre Chine et États-Unis. Quant au Venezuela – dont le « modèle » a été adulé par des politiques comme Bernie Sanders ou des personnalités comme Naomi Klein -, « le revenu moyen (…) s’est effondré de 75% (entre 2010 et 2020) et près d’un quart de la population a fui le pays ». « Si vous voulez vraiment aider les pauvres, ajoute Johan Norberg, il faut examiner sérieusement les politiques appliquées dans ce pays, avec des dépenses plutôt que des investissements, des nationalisations d’entreprises plutôt que de favoriser l’innovation entrepreneuriale, ou des contrôles des prix qui provoquent des pénuries » (L’Express, p. 54). La faillite des communismes au XXe siècle avait déjà réfuté l’idée que le socialisme fût viable, l’expérience vénézuélienne au début du XXIe n’a fait que confirmer le fait que le socialisme est intrinsèquement mauvais, inefficace et générateur de pauvreté.
L’échec de l’État stratège
Dans The Capitalist Manifesto, Johan Norberg discute également les thèses de l’économiste Mariana Mazzucato, qui soutient l’idée que l’État doit intervenir dans l’économie en donnant à celle-ci l’impulsion souhaitée. Mariana Mazzucato prend comme exemple la conquête de la Lune. Or pour Johan Norberg, l’étatisme n’est nullement le ressort de l’innovation en règle générale (L’Express, p. 54). « Les exemples d’innovations publiques qui ont échoué, rappelle-t-il dans le même entretien, sont innombrables, du Concorde franco-britannique au Minitel » (p. 54). Les innovations les plus marquantes ne peuvent provenir que d’expérimentations menées par les acteurs privées, innovations que l’État est loin de pouvoir toujours anticiper. Johan Norberg dénonce la perception naïve qu’a Mariana Mazzucato de l’innovation (Capitalist Manifesto, p. 183) : l’exemple qu’elle donne toujours à l’appui de sa thèse est celui de la conquête de la Lune, or d’une part ce projet fut d’ordre purement politique (« planter un drapeau » sur le sol lunaire…), d’autre part des sommes folles furent engagées à cette fin et les budgets alloués furent constamment dépassés (ibid., p. 183). Johan Norberg nous rappelle aussi que la conquête de l’espace n’a véritablement débuté que récemment, alors qu’elle est devenue une affaire de plus en plus privée, avec le développement d’entreprises comme SpaceX, Blue Origin et Virgin Galactic (L’Express, p. 54).
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Nous ne sommes pas seuls. Est-ce que Johan Norberg sera invité dans nos émissions TV des chaînes publiques ?
Car un jour leur rêves socialo-patageurs de la réussite des autres, surtout leur argent car le travail est tellement aliénant! se fracasseront sur la réalité vénézuélienne d’un JL Mélenchon mais pas que.
En effet l’auteur dit « qu’il faut examiner sérieusement les politiques appliquées dans ce pays, avec des dépenses plutôt que des investissements, des nationalisations d’entreprises plutôt que de favoriser l’innovation entrepreneuriale, ou des contrôles des prix qui provoquent des pénuries »
Regardons la France avec ses dépenses publiques inconsidérées depuis 40 ans qui ont entraînées à ce jour 3.000 milliards de dettes grace en dernier à MM Macron et Le Maire qui ont nationalisé EDF récemment, et ce Bruno Le maire qui n’en rate décidément pas une pour bloquer les prix comme dans un roman de hall de gare sans avoir ouvert un bouquin de Walras ou de Ricardo.
Bravo et belle initiative et bon WE