Avec ses cortèges de vagues de chaleur et d’incendies ravageurs tournant en boucle sur les chaînes d’information, l’été a aussi été l’occasion d’échanges musclés sur les réseaux sociaux entre climato-sceptiques et climato-catastrophistes. En vogue sur ces réseaux, le climato-catastrophisme est étroitement lié aux mouvements « décroissantistes » des années 1970[1] érigeant en dogme l’incompatibilité entre une croissance infinie et un monde aux ressources finies. La relation avec le réchauffement climatique en est un corollaire : la croissance économique reposant depuis l’aube de la révolution industrielle sur les énergies fossiles est par ricochet la cause principale du réchauffement climatique. Croissance économique, énergies fossiles, épuisement des ressources et réchauffement climatique, c’est une chaîne logique pour le climato-catastrophisme décroissant. Seul un changement de modèle économique (et donc sociétal) rompant avec la croissance peut résoudre le problème. Cette logique qui, de premier abord, paraît irréfutable repose pourtant sur deux « contrefaçons ».
Est-il besoin de chiffres pour démontrer l’extraordinaire aptitude de la croissance économique à stimuler le développement humain ?
La première est d’ignorer volontairement le rôle clé joué par la croissance économique (et par voie de conséquence des énergies fossiles) dans le développement humain. Sans ce modèle technico-économique né de la révolution industrielle, l’homme aurait continué à vivre médiocrement. Il se serait contenté d’être vieux à trente ans et de mourir à quarante, de procréer dix fois pour amener un ou deux de ses enfants à l’âge adulte. Il aurait continué d’avoir faim et froid aux moindres rigueurs de l’hiver, à subir son ignorance et à rester la proie facile d’idéologies criminelles. Est-il besoin de chiffres pour démontrer l’extraordinaire aptitude de la croissance économique à stimuler le développement humain ? Les messages délivrés par les différents indicateurs sont tellement limpides qu’il est inutile de les commenter.
La seconde est d’associer réchauffement climatique et effondrement écologique considérant qu’il existe (sous couvert des travaux du GIEC) un consensus scientifique sur l’imminence d’un tel effondrement. S’il existe en effet un certain consensus scientifique sur l’origine anthropique du réchauffement climatique, les climato-catastrophistes restent fort heureusement minoritaires dans la communauté scientifique.
Grand succès de librairie (plus de 30 000 exemplaires vendus), l’ouvrage de Timothée Parrique « Ralentir ou périr », paru fin 2022 aux Editions du Seuil, exploite avec délectation et sans vergogne ces deux contrefaçons. Une phrase le résume : « La cause première du déraillement écologique n’est pas l’humanité mais le capitalisme, l’hégémonie économique sur tout le reste et la poursuite effrénée de la croissance. L’économie est devenue arme de destruction massive ». A aucun moment Parrique ne reconnaît explicitement l’apport de la croissance économique au développement humain. Son ennemi déclaré est le marché « marché contre société » et sa bête noire le PIB « aveugle quant au bien-être humain, sourd à la souffrance sociale et muet sur l’état de la planète ». Parallèlement à la lecture d’Ariès, de Latouche ou autre Jonas, il aurait dû s’imprégner de quelques statistiques élémentaires : depuis le début du XXIème siècle un milliard d’êtres humains sortis de l’extrême pauvreté, une espérance de vie mondiale prolongée de 64 ans à 73 ans, des inégalités nord-sud passées d’un facteur 20 à un facteur 6, une mortalité infantile passée de 9,3 % à 3,7 % et un taux d’analphabétisme réduit de 25,7% à 13%. Sans parler d’une crise pandémique réglée en moins de deux ans grâce à … d’infréquentables laboratoires pharmaceutiques.
Selon notre économiste à la mode « le progrès technique n’est qu’illusoire : les engrais ou les pesticides correspondent à des pertes de biodiversité, de fertilité des sols et d’une mise à risque de la santé des travailleurs ». Il aurait pu ajouter en note de bas de page (pour que personne ne la lise) que l’augmentation des rendements agricoles a permis au cours des 50 dernières années de réduire sensiblement la malnutrition d’une population mondiale pourtant en forte croissance.
Certaines critiques de Parrique sont pourtant pertinentes. Ainsi explique-t-il de façon très convaincante l’impossible découplage croissance/ressources : « Il n’est pas possible de diviser la consommation énergétique d’un pays par quatre sans réduire la production et la consommation ». Certaines de ses remarques,  par exemple sur l’obsolescence programmée, tiennent du bon sens mais il s’agit là d’optimisation et non de changement de société.
C’est surtout la seconde partie consacrée à sa nouvelle société qui a retenu notre attention. Il y décrit en deux phases comment « décroître » pour ensuite « atterrir » dans une économie dite de « post-croissance » (il reconnaît qu’on ne peut pas décroître indéfiniment) : « Réduire drastiquement la production et la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être pour aboutir à une société nouvelle en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les (maigres) richesses sont équitablement partagées afin de prospérer sans croissance ». Implicitement associé à la croissance, le développement humain devient pour Parrique source d’aliénation. Citant plusieurs fois le prêtre philosophe viennois Ivan Illich promoteur d’une société sans… écoles[2] et sans hôpitaux[3], il rejette sans le dire les principaux véhicules de développement. Ainsi, accroître l’espérance de vie ou réduire la mortalité infantile grâce aux progrès de la médecine sont-ils encore des priorités ? Son dessein vise à « décoloniser l’imaginaire économique et productif[4]our retourner à une ère précapitaliste organisée autour de sociétés vernaculaires autosuffisantes dans lesquelles les ressources frugales sont produites localement pour répondre à des besoins limités. L’abondance n’y serait plus matérielle mais relationnelle : convivialité, solidarité, égalité, justice. Une convivialité certes mais sans réacteurs nucléaires, sans salles de réanimation et sans canadairs.
Pour satisfaire une économie stationnaire en harmonie avec la nature, les éventuels gains de productivité liés à l’innovation (on doute qu’il y ait encore de l’innovation dans une telle société !) se traduiraient non plus en accroissement de production mais en réduction de temps de travail. La répartition homogène des richesses s’opèrerait en continu : dotation universelle en capital de 120 000 euros grâce à un impôt confiscatoire de 90% sur l’héritage, remplacement des entreprises (donc nationalisation) par des coopératives non lucratives où le salaire de chacun est décidé par la communauté et impôt confiscatoire de 90% sur les éventuels hauts revenus pour proscrire l’accumulation de richesses. Une société équivalente à un Tour de France où tout le monde part sur la même ligne mais où tous les dix kilomètres un éventuel coureur échappé est prié de s’arrêter pour attendre le peloton. Vingegaard et Pogacar apprécieront ! Une société mortifère où la sélection, la compétition, le goût de l’effort et le dépassement de soi deviennent des délits. Une société qui ne peut que converger à terme (égalitarisme oblige !) vers la pauvreté absolue pour tous[5].
La société pariquienne est en parfaite adéquation avec les trois grands inspirateurs du décroissantisme : écologisme, marxisme et anarchisme[6].
Bien que jugeant très sévèrement la pensée productiviste du marxisme[7], elle y emprunte ses valeurs traditionnelles de lutte des classes, de rejet de la propriété, de redistribution, de solidarité et surtout d’égalité. En prônant la décentralisation à outrance elle puise ses bases politiques dans l’anarchisme : fédérations de communes économiquement autonomes vont de pair avec une démocratie directe faite d’assemblées participatives. La propriété privée est réduite à sa plus simple expression et les biens rares sont répartis de façon homogène mais parcimonieuse en fonction des besoins de chacun. A l’intérieur de la communauté, chaque individu vit sans aucun garde-fou sous la contrainte du groupe. Les « tables de quartier » de Parrique ne sont pas sans rappeler les terribles « comités de quartier » foisonnant dans les villes chinoises depuis la sinistre Révolution culturelle[8]. Implicitement, la société Pariquienne légitimera des pratiques totalitaires portant atteinte à l’intégrité physique et morale de ceux qui oseront contester la décision collective. Selon Parrique, ces communautés vernaculaires vivront en parfaite harmonie. C’est ignorer la genèse d’un nouvel esprit tribal qui ne manquera pas d’opposer les communautés entre elles pour assurer leur survie.
 Le marxisme historique nous promettait l’égalité dans l’abondance, le climato-gauchisme nous propose l’égalité… dans la pauvreté absolue.
Conscient que son modèle ne peut fonctionner que dans une version universelle, Parrique propose de le généraliser à l’ensemble de la planète grâce aux assemblées transnationales comme l’Union africaine, l’Union européenne ou les Nations unies. Il serait urgent que l’Union européenne sensible aux sirènes de Parrique[9] lui finance un tour du monde pour porter la bonne parole à Joe Biden, Xi Jinping et Narendra Modi. Il est malheureusement à craindre que la réception ne soit pas à la hauteur des attentes. En revanche son modèle pourrait dans un premier temps venir compléter le Green Deal européen, cela afin d’accélérer l’auto-suicide programmé du Vieux Continent.
Une question de fond subsiste toutefois quant à la motivation première des climato-catastrophistes : l’ « agenda » est-il direct (l’effondrement climatique justifie cette nouvelle société) ou inversé (le catastrophisme climatique est instrumentalisé pour justifier ce changement de société) ? Ce mariage suspect entre objectifs climatiques et valeurs gauchistes (marxisme et anarchisme) nous a conduits à requalifier les climato-catastrophistes en « climato-gauchistes ». Connaissant leur obsession égalitaire, leur haine des riches et leur détestation de ce qui s’y corrèle (sélection, compétition, réussite sociale), la question de leur motivation première est légitime. A une différence près : le marxisme historique nous promettait l’égalité dans l’abondance, le climato-gauchisme nous propose l’égalité… dans la pauvreté absolue.
[1] https://www.fnac.com/a10637741/Dennis-Meadows-Les-Limites-a-la-croissance
[2] I. Illich (1971) « Une société sans école » Editions du Seuil
[3] I. Illich (1975) « Némésis médicale » Editions du Seuil
[4] Mario Bonaïuti, «A la conquête des biens relationnels», in M. Bernard/V. Cheynet/B. Clémentin (dir.), op. cit., pp. 28 et suiv
[5] Ph. Charlez (2021) « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale »
[6] https://www.afri-ct.org/wp-content/uploads/2015/02/99_BLANC-NOEL-AFRI_2010.pdf
[7] Serge Latouche (2009) « Oublier Marx », Revue du MAUSS, n° 2, 2009
[8] https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_1992_num_4_1_1496
[9] Th. Parrique fut l’un des invités vedette d’un colloque sur le décroissantisme organisé par l’Union Européenne et présidé par U. Von de Layen en mai 2023.
10 commentaires
Ce petit moustachu content de lui réinvente l’Apocalypse !
Mais le marché réalise en fait ce qu’il propose car rien de plus démocratique puisque c’est chacun d’entre nous qui interagit avec sans que personne puisse le dominer vraiment (bien que certains essaient). Alors que les assemblées générales « démocratiques » dont il parle sont systématiquement manipulées par les minorités militantes.
Quant à la croissance, elle est devenue qualitative plutôt que quantitative car nos besoins primaires sont saturés. La recherche de la croissance en volume à tout prix à coups de déficits publics est condamnée. L’économie n’est pas faite pour créer de la croissance mais pour satisfaire d’abord des besoins solvables. S’il y a de la croissance, pourquoi pas, mais ce n’est pas le but premier.
On commence par se demander « pourquoi un article sur un tel navet  » (l’ouvrage ou l’auteur…) qui a toutes les qualités pour s’enfoncer seul dans l’oubli, mais MERCI : car en lisant l’article on découvre avec consternation les ramifications, es liens, les conséquences de cette approche consternante de « bêtitude » aussi fanatique que creuse.
Merci de cette plongée dans la fange du sectarisme le plus obtus, détaillant cette version potentiellement dangereuse et douloureuse pour le monde et ses peuples.
Je vais pouvoir oublier ces horreurs, globalement, en sachant que j’ai classé, pour référence éventuelle, l’article à coté de ceux de Thomas Piketty et tant d’autres illuminés fanatiques (qui vient à nos crochets, mais c’est une autre histoire…).
Vive la vie !
La seule expérience de socialisme librement consenti furent les kibboutz, et ça a échoué en quelques décennies. Les autres mirent plus longtemps, mais toutes associaient misère et oppression.
L’espèce animalo-humaine continue d’évoluer selon les principes des mammifères à savoir : le territoire (conquête et défense) , la recherche de nourriture , la reproduction, le pouvoir .
Les splendides et orgueillieux prédateurs que nous sommes ont ensuite inventés les religions et les idéologies, l’argent puis le capitalisme .
L’idée du progrès et d’un développement entre nature et culture ,est épaulée par l’invention des religions et des idéologies (alimentation de l’espérance ). Voir aussi l’idée de « l’homme nouveau » pour moi irréel sans névrose grave voir LFI et autres utopistes…
La technologie et la médecine font la surpopulation mondiale qui est à l’origine de la disparition progressive de nombreuses espèces animales et de désordres écologiques divers, le plus inquiétant étant la volonté de certain d’être hors nature , hors réel. Les camps de rééducation ne sont pas loin …
Pour éviter la catastrophe il faudrait réguler les naissances au niveau mondial …
Certains pensent que le génie humain …..Moi pas .
Beaucoup de littérature sur le sujet dont l’étonnant : « L’effondrement du système technologique » de Théodore J. Kaczynski Ed.Xenia
Tous ces « experts » en écologie éludent un facteur essentiel : la SURPOPULATION.
En l’espace d’une génération la population mondiale aura quintuplé!
5 personnes même adeptes du tri sélectif , des toilettes sèches, des sacs papiers utiliseront toujours plus de ressources naturelles qu’une seule personne consommant sans se soucier de l’avenir de la planète.
Curieux cette omission dans le débat!
Est-ce parce que l’Afrique est passée de 300M à 2Md d’habitants dans le même laps de temps?
Et constitue ainsi un gros risque géopolitique (grand remplacement) pour l’Europe !!
Visiblement nos « élites ‘politico-mediatico-humano-intello-woko-progressistes » ne souhaitent pas « affoler » avec de telles considérations le « brave » électeur occidental.
Catastrophe, s’ils ne sont pas réélus.
Que vont devenir leurs business exercés dans la solidarité naïve, l’altruisme de pacotille et le caritatif « prêt à l’emploi » !
Je n’ai pas eu la force de lire cet article jusqu’au bout. Ce type est un malade, a t il puisé ses élucubrations dans 1984 ? George Orwell a écrit un roman prémonitoire qui voulait nous préserver d’une société totalitaire mais ce Parrique me semble dangereux car le mode de vie qu’il propose n’est rien moins qu’une invite au suicide. Gageons que son torchon ne sera lu at approuvé que par les illuminés fanatiques d’une extrême-gauche en mal d’une révolution ce qu’à Dieu ne plaise…
Aucun intérêt. Ce type, son cursus, ses idées, ses livres, sont insignifiants.
J’ai aimé votre article éclairant , cependant je regrette que l’efficacité des laboratoires pendant la crise sanitaire * y soit citée en exemple dans votre argumentaire.
(*) « Sans parler d’une crise pandémique réglée en moins de deux ans grâce à … d’infréquentables laboratoires pharmaceutiques ».
Merci pour cet article que je vais recommander aux lecteurs de mon portail.
Votre conclusion m’interpelle en tant que marxiste « historique » pour reprendre votre expression. Je partage les analyses des scientifiques climato-réalistes ou climato-sceptiques sur le climat, et je rejette celle des faussaires climato-gauchistes, qui sont des agents du Forum économique mondial ou des propagandistes de son Green New Deal.
Ces gens-là sont étrangers au marxisme et au socialisme. Ils figurent parmi les plus décomposés de la société adeptes également du wokisme et de la cancel culture.