Institut de Recherches Economiques et Fiscales

Faire un don

Nos ressources proviennent uniquement des dons privés !

Journal des Libertes
anglais
Accueil » Thomas Piketty ou le nouveau Gracchus Babeuf

Thomas Piketty ou le nouveau Gracchus Babeuf

par
265 vues

L’auteur du Capital au XXI ème siècle nous livre un nouvel ouvrage (Capital et Idéologie, Seuil) comme une somme endormeuse de 1200 pages souvent répétitives. Il décrit par le menu des problématiques qu’il pourrait exposer en quelques phrases. Mais il n’a sans doute pas pris le temps de faire court [[Pascal, Les Provinciales, lettre 16 :  » … mes Lettres n’avaient pas accoutumé de se suivre de si près, ni d’être si étendues. Le peu de temps que j’ai eu a été cause de l’un et de l’autre. Je n’ai fait celle−ci plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte. »]], ce qui lui aurait peut-être évité bien des erreurs et des partis pris ! En réalité, son ouvrage n’est pas scientifique, mais tout entier idéologique, pleinement engagé à la gauche de la gauche. Son seul but est de démontrer la faisabilité de mesures extrêmes de taxation et de nivellement.

Il essaie de compter l’importance de la noblesse d’ancien régime en Europe et il disserte à n’en plus finir sur l’évolution des institutions démocratiques depuis deux siècles pour convaincre « à l’issue de ce cheminement historique qu’il est possible de s’appuyer sur les expériences relatées dans ce livre pour tenter de dessiner les contours d’un socialisme participatif et internationaliste » (p.1105).

Nouveau Babeuf, ce qu’il veut, c’est l’égalité. Et pour ce faire, il propose de taxer les revenus, les patrimoines et les transmissions « avec des taux atteignant jusqu’à 70%/90% au sommet » (p.1123). Il espère ainsi par exemple que son impôt annuel sur la propriété rapporterait 5% du revenu national, soit plus de 120 Md€, sur la base du revenu national brut de 2018 égal à 2 405Md€[[Les comptes de la nation 2018, Insee Première, No 1754, 29/05/2019]], contre 5Md€ pour le feu ISF ! Il veut ainsi donner « à chaque jeune adulte atteignant 25 ans une dotation équivalant à environ 60% du capital moyen par adulte » (p. 1131) et un revenu de base minimum égal pour tous, équivalant à 60% du revenu moyen après impôt. Et il pense que son impôt progressif sur le revenu, avec les cotisations sociales et la taxe sur les émissions carbone « rapporterait autour de 45% du revenu national et permettrait de financer toutes les autres dépenses publiques pour financer un « revenu de base et surtout l’Etat social » (p.1129). Ces deux seuls impôts, sur le patrimoine et le revenu, rapporteraient donc plus de 1 200Md€, presque autant que la dépense totale de consommation des ménages en 2018 (1 219 Md€[[ibidem]]). Il n’a pas compris que l’impôt tue l’impôt et que de tels rendement ne seraient possibles, peut-être, qu’une fois. Après tous seraient morts à défaut d’avoir pu survivre puisque tout leur aurait été pris. Plus que de la démesure, ces propositions relèvent de la déraison.

Mais elles ne s’arrêtent pas là. Piketty note aussi « qu’il est impossible de réduire les inégalités autant qu’il serait souhaitable sans transformer également le régime politique, institutionnel et électoral » (p.1100). Il réclame donc une « véritable propriété sociale du capital » accessible en donnant aux salariés « la moitié des droits de vote dans les conseils d’administration ou de direction de toutes les entreprises privées, y compris les plus petites » et en plafonnant les voix des actionnaires les plus importants… « au-delà du fait que la moitié des voix irait en tout état de cause aux représentants des salariés » (p.1120). Par ailleurs il propose de mettre en place « un principe de propriété temporaire du capital, dans le cadre d’un impôt fortement progressif sur les propriétés importantes permettant le financement d’une dotation universelle en capital et la circulation permanente des biens » (pp. 1118/1119). Il se défend d’être marxiste, mais son système ressemble à celui des soviets, et il remarque d’ailleurs que dans les entreprises publiques il n’est pas nécessaire de mettre les employés dans les conseils puisque l’Etat est là pour veiller sur eux !

Il entonne la vielle idée du solidarisme de Léon Bourgeois selon laquelle ce que nous possédons, nous le devons aux générations passées et nous devons le rendre aux générations futures. « L’idée, écrit-il, selon laquelle il existerait une propriété strictement privée et des formes de droit naturel et inviolables de certaines personnes sur certains biens ne résiste guère à l’analyse. L’accumulation des biens est toujours le fruit d’un processus social, qui dépend notamment des infrastructures publiques (en particulier du système légal, fiscal et éducatif), de la division du travail social et des connaissances accumulées depuis des siècles » (p.1139). Il oublie seulement que les hommes payent des impôts à chaque génération pour financer ces investissements publics et cet état de droit qui en effet protège la propriété.

Il veut un Etat qui contrôle tout, qui connaisse toutes les propriétés – s’il en reste ! – au travers d’un immense cadastre financier public et mondial. Il imagine aussi que la consommation carbone de chacun puisse être surveillée et taxée, à taux progressif bien sûr, au jour le jour au travers du suivi « des informations contenues dans les cartes de paiement individuelles ». Il aime Big Brother et il l’attend avec gourmandise. L’effondrement du communisme, et son désastre qu’il reconnaît, ne lui ont pas suffi. Il est incorrigible et a l’ambition de repenser autrement l’égalitarisme. Il conclut : « « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes » écrivaient Friedrich Engels et Karl Marx en 1848 dans le Manifeste du parti communiste. L’affirmation reste pertinente, mais je suis tenté à l’issue de cette enquête de la reformuler de la façon suivante : l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des idéologies et de la quête de la justice ». Après la publication par Piketty de son Capital du XXème siècle, nous avions écrit, avec une vingtaine de chercheurs dans le monde, un Anti Piketty, publié en 2015 chez Libréchange pour dénoncer les erreurs et les dangers de cet idéologue. L’opinion bien pensante avait estimé que nous exagérions, mais nous étions peut-être en-dessous de la vérité. Les masques tombent avec ce dernier ouvrage qui nous donne raison et qui d’ailleurs reprend nos critiques pour s’en défendre et les contester vainement. Il faut malheureusement rester vigilant et continuer de combattre ce pseudo-stalinisme intellectuel et sournois.

Abonnez-vous à la Lettre des libertés !

Vous pouvez aussi aimer

Laissez un commentaire

10 commentaires

François Audouze 22 octobre 2019 - 10:45

Piketty
il faudrait savoir quelle frustration financière dans la jeunesse de Piketty l'a entraîné dans ce délire égalitaire. Demandez à Mbappé de jouer pour 3.000 €/mois ou à Céline Dion de remplir un stade pour gagner 3.000 €/mois, ils vont vous rigoler au nez. Le patron d'une PME qui a risqué son argent et qui devrait laisser le pouvoir à ses employés puis la propriété à d'autres, jamais il n'investira. On est dans le délire total. Continuez à pilonner les écrits de ce clown.

Répondre
goufio 22 octobre 2019 - 11:16

Critique du "Capital au XXIe siècle"
J'avais écrit le 2015-10-15

Ce qu'il faut bien comprendre en socialie, ce que vous avez gagné ne vous appartient pas, il faut le rendre à la société qui vous a permis de réussir et ceci au plus tard à la mort. Quand vous lisez l'absurde ouvrage "Le capital au XXIe siècle " de T. Piketty aux pages 835 et s, vous vous apercevez qu'il est question d'impôt sur le capital très précisément immobilier, financier et professionnel (page 839) à un « taux minuscule » (page 841) mais à la page 838, il est donné « par exemple à imaginer, un taux à 0% au dessous de 1 million €, 1% entre 1 et 5 m€, 2% au delà. Puis 3 lignes en dessous : un taux plus fortement progressif de 5% ou 10 % au delà de 1 milliard €. Et même un taux sur les patrimoines modestes de 0,1 % au-dessous de 200 000 € etc. »
Pour un économiste, il n'a même pas calculé le temps nécessaire à faire disparaître une fortune quelle qu’elle soit. A dessein ?

Page 599 du « mérite et héritage dans le long terme »
Seulement que M Piketty a oublié de dire que lorsqu’on taxe il faut disposer de monnaie pour payer la taxe. Dès lors, il est nécessaire de trouver une contrepartie appelée l’acquéreur qui devra trouver la liquidité. Où va-t-on trouver les acheteurs qui vont nous libérer de nos propriétés et actifs (partiellement chaque année) ? Et avec quels actifs ces acquéreurs vont-ils pouvoir honorer la transaction puisqu’ils seront eux-mêmes taxés aux mêmes taux. J’écrivais absurde au début de mon propos.
Mais qui a lu le Capital au XXIe siècle ? Plus besoin de lire la suite. L'expérience régionale du communisme ayant échoué en présence du capitalisme privé, la solution définitive serait d'imposer (quel joli mot) un communisme planétaire pour éviter la concurrence de la liberté d’entreprise. Le moyen serait peut-être l'écologisme-climato-réchauffiste qui subjugue les photographes Hulot, Artus-Bertrand et les collaspologues Cochet, Servigne, Barraud etc.
L'avenir va vite nous renseigner puisque d'ici 2030 ce sera la fin de notre monde.

Répondre
PhB 22 octobre 2019 - 5:37

Foncier & Propriété privée
Je ne vais pas pilonner monsieur Piketty dont les propos idéologiques choquent.
Mais tous n'est pas à mettre à la poubelle non plus.
Juste pour Rappel: au Royaume Uni, vous n'êtes pas propriétaire de votre bien foncier mais possédez un concession pour 99 ans. Si aucune démarche spécifique pour prolonger la concession n'est entreprise d'ici là, par exemple suite à la disparition des derniers
héritiers, le bien retourne à la Couronne Britanique, donc ce point là, mis en application n'est pas une imbécillité comme certains le disent.
Monsieur Piketty ayant reçu une des plus haute distinctions dans le domaine de l'économie (donc ce n'est pas un "nullard" pour tout le monde non plus, loin de là), je vous demanderais d'avoir quand même une tout petit minimum de respect pour sa personne mais si vous ne partagez pas ses idées, comme moi d'ailleurs pour beaucoup de ses concepts.
PhB

Répondre
Bigwood 22 octobre 2019 - 11:17

Thomas Piketti
Ce que nous propose M.Piketti a déjà existé, ça s'appelait l'Union soviétique. On connait le résultat!

Répondre
zelectron 22 octobre 2019 - 11:57

le délire gauchiard dans toute sa nébuleuse crasse
Pas une phrase, un traitre mot sur la besogne, le travail, le turf, le boulot, le gagne-pain quoi ! A croire que l'argent tombe du ciel (il n'y croit pas lui-même) Les recettes pour s'approprier le résultat de la peine d'autrui pleuvent à foison dans ce verbiage "savamment" confus et donnent envie d'adhérer à son système de racket pour peu que le concept de morale soit effacé des mémoires. Rackettez vous les uns les autres, c'est la nouvelle devise de ces gens qui volent sans vergogne le travail d'autrui. Cet abruti dogmatique pourrait bien être soigné par des psy, mais je doute d'une guérison tant l'incrustation de son mal est profonde !

Répondre
Lexxis 22 octobre 2019 - 1:35

LE DIFFICILE APPRENTISSAGE DE L'EXEMPLARITÉ
Inutile de vous dire que l'auteur, qui croit tout autant à ce qu'il écrit qu'il n'écrit sincèrement que ce qu'il croit, s'est déjà depuis longtemps appliqué à lui-même le principe et l'exigence morale des redistributions qu'il prône pour les autres. C'est ainsi qu'il s'est illico dépouillé de tous ses droits d'auteur (et il y en avait!) et que chaque année il abandonne libéralement à toutes sortes d'oeuvres quelque 90% de son patrimoine (si bien qu'il ne lui en reste plus beaucoup!).
Il erre désormais comme une âme en peine en se lamentant d'avoir été le seul, en dépit du succès de ses écrits, à mettre en pratique une politique dont les mérites sans égaux avaient été unanimement loués par tous ceux qui sont plus attirés par le moyen de mettre la main sur l'argent d'autrui que de gagner le leur propre.
Mais rassurez-vous, jamais deux sans trois et on tremble déjà dans l'attente de la dernière invention du maître pour appauvrir les riches sans enrichir les pauvres.

Répondre
Hubin 22 octobre 2019 - 8:40

Abracadrabantesque
Ce type est un illuminé , le mystère est qu’il ait des acheteurs (on ne croit pas qu’il puisse etre lu c’est trop long ) je pense qu’il distribue à des bonnes oeuvres ses droits d’auteur , moi je dors tranquille : son système de suppression de la proprièté est contraire au droit de l’homme , contraire à la marche séculaire de l’histoire à laquelle il croit tant : il y a à ce jour beaucoup plus de propriètaires heureux puisque détenteurs d’un peu de liberté réelle sur la surface du globe que quand je suis né ! (Cf Russie , Chine , tiers monde etc … et finalement c’est la France seule et un peu l’Europe qui est à contre courant )

Répondre
ORILOU 23 octobre 2019 - 11:28

égalité ou nivellement par le bas ?
Nouvelle tarte à la crème : "ces pauvres jeunes dont on prétend qu'ils seraient moins riches que leurs parents à leur âge !" Taxons les parents et surtout les grands-parents dont on oublie que, pour devenir propriétaires de leur habitation en vue de leurs vieux jours, ils on très souvent renoncé à pas mal de plaisirs dont nos jeunes profitent allègrement. En France, les 35 heures assorties d'une ribambelle de R.T.T. et de 5 semaines de congés, auxquels il faut ajouter les jours fériés sont passés par là. Ajoutons un personnel pléthorique dans la fonction publique, assorti de lourdeurs administratives le tout arrosé d'impôts et taxes divers. Un taux de chômage bien trop élevé avec des entreprises qui n'arrivent pas à à trouver du personnel. Des jeunes qui entrent de plus en plus tard dans la vie active. Les vraies questions qu'on devrait se poser :
– pourquoi sont-ils en galère ? Facile d'accuser la société quand on a délibérément choisi une filière où il n'y a guère de débouché.
– Facile pour certains de se plaindre quand on refuse de travailler les week-ends ou la nuit. Où est passé le goût du travail dans tout cela ?
La vérité c'est que sans travail, il n'y a pas de prospérité. Il est tellement facile de s'installer dans l'assistanat plutôt que d' étudier non pas pour se faire plaisir mais pour décrocher un job à l'issue des études, d'apprendre un métier qui mène à l'emploi.

Répondre
Smk 3 novembre 2019 - 2:01

Sans réel diplôme, j’ai évolué en montrant que je n’avais pas peur de travailler en passant au statut d’agent de maîtrise. De part mes nouvelles fonctions de responsable logistique je travaillais sur des vacations de nuit, matin, après-midi , soirée et week-end. Le tout régulièrement sur une même semaine… et bien au delà de 45h/semaine…
Pendant 10 ans je me suis donné à fond, le travail ne me faisant pas peur et j’aimais ce métier.
J’ai pourtant dû renoncer à pleins de plaisir du fait de la fatigue mais surtout par manque d’argent: même pas 1800€ net par mois à la fin du mois!!!

Alors oui je me suis reconverti dans un autre domaine où je gagne tout autant ( voir plus certains mois.) Je n’accède toujours pas aux plaisirs comme je le voudrais mais au moins la pression est moindre, je me fatigue moins et je profite davantage de ma famille.
Des assistés il y en a par nature.
Les autres assistés le sont devenus après avoir été dégoûtés de l’énergie déployée qui n’a put-être récompensée…

Répondre
Courty Claude 24 octobre 2019 - 2:17

Réponse d'un profane à Thomas Piketty
Les inégalités sociales n’ont pas d’autre histoire que celle de la relation économie-démographie. Et si nous ignorons cela, nous nous interdisons :
— de les maîtriser
— d'éradiquer la pauvreté profonde
— ne nous réconcilier avec notre environnement.

Richesse et pauvreté en tout, existent l’une par l’autre et sont relatives, comme elles l'ont toujours été. Par ailleurs, où que ce soit et sous tous les régimes politiques, un pauvre ne peut enfanter que des pauvres, comme un riche ne peut donner naissance qu’à des riches ; quels que soient les aléas heureux ou malheureux de l’existence de chacun par la suite.

Les hasards de sa naissance insèrent chacun dans la pyramide sociale selon ses antécédents génétiques, sociaux et culturels, situation que la lutte des classes n’a jamais ni nulle part changé d’un iota, avec ou sans suppression de l’héritage. Une telle mesure ne conduirait d'ailleurs qu’à accroître la richesse collective autrement que par les voies habituelles que sont la confiscation pure et simple ou l’impôt, sans modifier le caractère incontournablement pyramidal de la richesse comme de la société, lequel refuse toute forme d’égalité.

N'est-il pas par contre remarquable que nul expert en sciences humaines ait jamais dénoncé le fait que si l’enrichissement individuel comme collectif n’ont aucune limites autres que celles de l’ambition de ceux qui le convoitent et les ressources dont ils sont tirés, LA PAUVRETÉ A LA SIENNE, QUI EST LE NIVEAU ZÉRO DE LA RICHESSE ?

C’est cette irrémédiable condition qu’il faut vaincre ; non par des combats primitifs qui en l’ignorant ne font que l’aggraver depuis toujours, mais en “isolant” la pauvreté profonde de ce niveau zéro de la richesse. L’instauration d’un revenu universel minimum et inconditionnel, annulant l’effet d’inégalités sociales qui ne peuvent et n’ont fait qu’augmenter depuis la nuit des temps en suivant systématiquement l’évolution constante du binôme démographie-économie (avec toutes conséquences sur la croissance et partant sur l’environnement) pourrait par contre être LA solution ; la lutte des classes ne faisant que ramener l’être humain au statut de l’insecte qui se heurte obstinément à la vitre dont il est prisonnier sans la voir, pour finir par ne plus concevoir que le renversement illusoire de la pyramide sociale pour mettre fin à des inégalités sociales fondamentalement attachées à la condition humaine.

Faute d'arguments crédibles ; leurs espérances dans la lutte des classes déçues, l'atteinte de cet idéal d’égalité qui reposerait sur la disparition des riches leur apparaît comme l'ultime issue. Fantasme des partisans d’un égalitarisme exigeant la mort des nantis, la base de la pyramide sociale écraserait ainsi la société sous son poids, jusqu’à obtenir un nivellement généralisé, évacuant les riches dans le triomphe des pauvres. Que les uns n’existent que par les autres et que ce triomphe, allant à contre- courant du progrès, risque être celui de la pauvreté davantage que des pauvres, conduisant à la misère pour tous avant de sombrer dans l’inexistence sociale et la barbarie d’une fin de civilisation qui ne s’annonce pas sous les meilleurs augures, n’est qu’un détail qu’il suffirait de régler le moment venu. Quoi qu’il en soit, la pyramide inversée a ceci de remarquable qu’elle n’est plus une pyramide et tient davantage de l’entonnoir que de ce polyèdre universellement reconnu comme représentatif de toute organisation hiérarchisée et faite d’interdépendance entre ses habitants.

L’inversion de la pyramide sociale n'est rien d'autre que sa déformation, par l’illusion d’une idéologie sommaire prétendant hisser à un sommet qui n’en est plus un, la masse des individus en constituant la base ; négation extrême de ces individus en tant que tels, au profit d’un pouvoir d'abord fondé sur le nombre. C’est aussi oublier un peu facilement que si tous nous profitons – aussi inégalement que ce soit – de millénaires de progrès, ce dernier résulte des impulsions d’une élite, pour le meilleur et pour le pire, ce qui en fait précisément l’élite. Qu’une partie de cette élite puisse usurper sa position de leader ou en abuser ; qu’il arrive à certains de ses représentants d’opérer dans l’imposture et l’incompétence, est un tout autre constat que ne dément pas une élite intellectuelle soumise à la dictature de ses sentiments, telle que la lui inspire un marxisme dépassé.

La pyramide sociale inversée ne fait qu’exprimer une volonté de soumission de la raison à la force, de l’intelligence à l’instinct, de la civilisation à la barbarie, sachant au demeurant que les révolutionnaires les plus radicaux et les pires anarchistes, sont eux-mêmes structurés pyramidalement, avec leurs chefs, voire leurs riches (instigateurs, fomentateurs et meneurs en constituant l’élite) – le premier d’entre eux siégeant au sommet –, puis leurs cadres et leurs exécutants aux niveaux intermédiaires, même quand il arrive que les uns et les autres participent également à l’action.

Le renversement de la pyramide est un geste dicté par l’angoisse existentielle et la conception morbide d’un désespoir social tournant le dos à la réalité plutôt que de l’affronter. Hors du temps et de la raison, il préfigure cette désincarnation à laquelle nous aboutissons tous ; ce néant où la politique pas davantage que l’économie, la sociologie ou la démographie, l’ordre que l’anarchie ou que la pire des idéologies, n’ont plus leur place.

Que les chemins du progrès et de son partage soient, ici et maintenant, semés d’embûches et que les pouvoirs, notamment religieux, politique, intellectuel, médiatiques… en soient comptables, rien ne paraît plus vrai ni plus légitime, mais n’est-il pas d’attitude plus sensée que celle qui consiste à vouloir mettre fin, à n’importe quel prix, à une évolution conduisant, en dépit de ses lenteurs et de ses ratées, au mieux être souhaité par le plus grand nombre ?

La pyramide sociale ayant au moins le mérite d’être une représentation réaliste et suffisamment compréhensible, y compris par ceux qui la contestent, l’impossibilité absolue de la détruire peut les conduire à envisager son utopique retournement. Mais à quoi d’autre celui-ci pourrait-il conduire, qu’à en édifier une autre ? Les exemples de l’aboutissement d’une telle utopie sont aussi nombreux que les tentatives avortées d’instauration du pouvoir absolu de la base (dictature du prolétariat) : depuis les innombrables jacqueries qu’a connu de tous temps le monde jusqu'à la révolution bolchevique et à l’effondrement du bloc soviétique ; du fiasco de Cuba à l’évolution du communisme en Chine, en passant par bien d’autres pays, sans oublier le point d’orgue en la matière que fut le Cambodge de Pol-Pot et de ses Khmers rouges.

Il faut se souvenir que 12 ans après cette tentative de renversement de la pyramide sociale que fut sa Révolution qu’elle voulait universelle, la France avait un empereur, puis a connu d’autres monarchies et de nouvelles républiques, dont l’actuelle, qui ne satisfait pas davantage le citoyen que les précédentes ; en attendant la suivante. Démonstration s’il en est que la révolte n’apporte de changement que là où se joue une partie de chaises musicales, un pouvoir remplaçant l’autre. Mouvante mais impérissable, la structure de la société demeure la même et la masse qu’elle organise et qui croît sans cesse en nombre et en richesse, ne fait que changer de maîtres ou s’en donne l’illusion, avec l’aide de sciences et de techniques seules réellement porteuses de nos avancées sociales.

Une révolution chasse l’autre et aucune n’a jamais rien durablement changé à l’ordre fondamental des choses, pas plus qu'à la nature humaine. D’ailleurs, qui de nos jours peut sérieusement imaginer qu’au lendemain de l’aboutissement de la lutte finale, le grand partage ayant eu lieu, la terre ne serait pas peuplée de ceux qui sauraient faire fructifier leur part et de ceux pour qui elle sera toujours insuffisante ? Sauf bien entendu régime dictatorial – avec lui aussi un sommet dominant sa base – encore plus insupportable à l’homme que les pires inégalités.

En fait, la pyramide sociale inversée n’est pas davantage une pyramide que la représentation d’une société, ni même d’un projet de société. Elle est tout au plus une utopie, sortie d’esprits s’imaginant qu’il suffit de modifier la représentation d’un état de fait pour modifier ce dernier, à la manière de ceux qui suppriment leurs opposants, brûlent les écrits de ceux qui les contredisent ou mettent simplement en cause leurs certitudes ; ou encore s’imaginent éradiquer ce qu’ils considèrent comme des maux en soustrayant des dictionnaires et des constitutions les mots qui les désignent.

C’est son incommensurable vanité et la frustration qui conduisent l’homme à nier sa condition et à négliger que richesse et pauvreté, toujours relatives et existant l’une par l’autre, structurent la société. Après les hasards de la naissance de chacun, ses capacités faites de courage, de talent, d’ambition, de chance, de désir d’innover et d’entreprendre, de goût du risque, etc. sont des différences que le nombre suffit à rendre toujours plus difficiles à compenser intelligemment et durablement.

— Le même article avec illustrations
https://docs.google.com/document/d/1SBCbKMInQ3x0nEhB1EkU-LGXi0FR2GhMb2RjqHihhYw/edit
— Avec ou sans G7, Piketty et bien d’autres, vaincre la pauvreté et les inégalités sociales, rien ne change !
https://docs.google.com/document/d/1AH7rPVc27X7P52rgIpaaQo-gzhDhRVWHkETb_GuRW0I/edit
— Pour un Revenu Universel Minimum et Inconditionnel – Le RUMI
https://docs.google.com/document/d/1zaf8g5oOnn31v-pyjiNjBL5wLcYrT2PbKvZwum3BWqA/edit
— https://pyramidologiesociale.blogspot.com

Répondre