En abordant les questions aigues du chômage, de la reconversion des seniors ou encore de la gestion des ressources humaines dans les supermarchés, le dernier film de Stéphane Brizé, La loi du marché, nous promet une véritable critique sociale du fonctionnement de l’économie capitaliste. Mais le film se trompe de cible en omettant de s’attaquer aux véritables causes des maux de l’économie française.
Le film raconte l’histoire de Thierry, un quinquagénaire licencié de son emploi de grutier dans une entreprise du bâtiment pour lequel Vincent Lindon a obtenu le Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes. Se retrouvant sans emploi à une période de la vie où la reconversion est difficile en France, Thierry enchaîne les galères, entre les rendez-vous avec les conseillers de Pôle emploi, les entretiens sur Skype avec des employeurs qui ne montrent aucune compassion et des rencontres régulières avec sa banquière, plus intéressée par ses placements que par sa détresse.
La loi du marché met en scène la misère pathétique du quotidien d’un homme ravagé par le chômage de longue durée et les souffrances de la vie. Thierry vit avec sa femme et son enfant, un jeune lycéen en terminale atteint d’une déficience mentale qui souhaite poursuivre ses études dans un IUT en génie biologique. S’il se rend à des cours de danse rock avec sa femme, il doit subir les avances ambigües de son professeur de danse. Il se retrouve même à refuser de participer à une action juridique contre son ancien employeur pour éviter de prolonger la douleur dans une procédure sans fin. Il suit des formations à Pôle emploi pour l’aider à améliorer sa prestation lors des entretiens avec les employeurs, mais se retrouve largement critiqué par les autres participants pour sa froideur, son regard fuyant et son embarras. Il refuse encore de vendre son mobile home à un acheteur potentiel qui veut profiter de sa détresse pour obtenir un prix intéressant.
En dépit d’une qualité des dialogues qui laisse à désirer, nous sommes bien dans une tentative d’expression réaliste de la vie sociale des ouvriers et des laissés-pour-compte, semblable à ce que l’on pourrait retrouver dans le Germinal de Zola. L’enchaînement de ces scènes dramatiques de la vie quotidienne, qui cherchent à provoquer le pathos chez le spectateur et à lui faire éprouver une compassion pour une nouvelle victime de la société capitaliste, ne réussit toutefois pas à convaincre. Car si l’économie de marché, le capitalisme sauvage ou l’ « ultra » libéralisme ne sont jamais désignés comme tels, la cause du chômage de longue durée est toute trouvée. C’est la recherche du profit qui brise les destins individuels et soumet les classes populaires à la tyrannie de l’argent. C’est la loi du marché qui condamne les classes populaires à l’errance, aux galères et à la détresse sociale.
Le point culminant du misérabilisme ambiant, de cette jalousie de classe tellement française, et de l’absence d’une véritable critique sociale est bien lorsqu’une employée de l’hypermarché, Madame Anselmi, se suicide dans le magasin, quelques jours après avoir été prise en flagrant délit de vol de tickets de réduction. Après de longues scènes ennuyeuses dont l’objet est d’exprimer la misère et le pessimisme de la société française, cet événement prévisible ne fait que renforcer le sentiment chez le spectateur avisé que ce film n’est qu’une véritable caricature du fonctionnement de l’économie de marché. Les supermarchés ne sont intéressés que par le profit et n’ont cure du bien-être de leur personnel. On en vient même à douter que ces ignobles capitalistes avides de profit puissent même faire preuve de compassion…
On ne verra dans ce film ni critique argumentée, ni confrontation des points de vue, ni profondeur d’analyse. Nous sommes astreints à un régime de la compassion, de l’émotion subjective, d’une empathie inconsidérée pour un ouvrier misérable sur lequel la vie s’acharne. Aucune mention n’est évidemment faite des contraintes pesant sur les entreprises, des réglementations du marché du travail comme le salaire minimum, des procédures infernales de licenciement ou des obligations contractuelles qui lient les mains de l’employeur, ou encore des charges sociales qui pèsent sur la masse salariale. Trouver les véritables causes des craintes, des doutes et des hésitations qu’ont les employeurs à embaucher n’a sans doute rien d’intéressant pour le cinéma français. Nous sommes ici dans le regard pessimiste, froid et désabusé d’un ouvrier qui déplore finalement les effets de l’intervention étatique dont il chérit pourtant la cause.
Faut-il rappeler à la production du film que, comme le rappelait Montesquieu, « le commerce polit et adoucit les mœurs barbares » ? Faut-il encore souligner que la mondialisation a fait reculer la pauvreté de moitié dans le monde depuis 1981, et que le capitalisme est le seul système économique à avoir prouvé sa capacité de créer d’innombrables richesses sur une très longue durée ? Est-il vraiment nécessaire de réaffirmer que l’économie de marché, associée à un État de droit, garantit la liberté de l’échange, le respect des obligations contractuelles, les droits de propriété et la responsabilité individuelle ?
S’il existe une loi du marché, ce n’est pas elle qui condamne les gens au chômage ! Ce sont, au contraire, les lois issues de l’intervention publique, c’est-à -dire l’absence de flexibilité dans le marché du travail, la multiplication des réglementations ou encore le coût élevé du travail, qui sont à l’origine de la misère des classes populaires. Mais il est certain que ces vérités ne sont pas vendeuses, et que dans le contexte d’une France qui souffre d’une croissance atone, d’un chômage élevé et d’un appauvrissement généralisé, il est bien plus facile de trouver des boucs émissaires dans le marché, les patrons et les banques – qui sont également les victimes de cet État oppressif et coercitif, rappelons-le.
Pour rétablir la confiance, l’optimisme, la croissance et l’emploi, faisons confiance au marché, et arrêtons de lui attribuer les torts qu’il s’efforce pourtant de combattre. Ce cinéma misérabiliste du désespoir social ne fait que rajouter au pessimisme ambiant d’un pays sur le déclin, alors que la vraie réforme libérale pourrait facilement nous aider à remonter la pente.