Internet ne peut pas être « neutre », Internet doit être « libre ». Le récent rapport de la commission de régulation des télécoms américaine statue unilatéralement qu’Internet est un bien « public ». Sans aller jusqu’à proposer un droit opposable à l’accès à Internet, la commission souhaite interdire sans autre forme de procès toute discrimination dans le traitement des paquets de données qui transitent chaque jour dans les câbles qui sillonnent la planète.
Belle intention, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Le potentiel d’Internet mérite de ne pas rester neutre
Il faut bien réaliser que même si l’on essaie de le sacraliser, « l’Internet » n’existe que par la somme d’intérêts particuliers : l’intérêt de ceux qui veulent émettre du contenu ou proposer des services, l’intérêt de ceux qui veulent accéder à ces contenus et à ces services, l’intérêt de ceux qui vivent de la mise en relation des deux premiers et l’intérêt enfin de ceux qui voient dans l’Internet bien plus qu’une avancée technologique mais une révolution dans l’organisation même des sociétés, moteur des révolutions, porte-voix des minorités, etc.
Emetteurs, Utilisateurs, Entremetteurs, Idéalistes… au milieu de tant d’intérêts, est-ce le chemin le plus productif que celui de rester « neutre » ? Les idéalistes applaudissent des deux mains la consécration de leur idéalisme, les entreprises de télécom constatent la réduction de toute marge de manœuvre commerciale et les géants de la Sillicon Valley voient consacré leur droit d’accéder aux tuyaux pour commercialiser leurs services sans porter la main au portefeuille. L’avancée serait un statu quo avec l’utilisateur comme seul lésé ?
Des besoins et usages différents
Pourtant si l’on regarde de plus près, on constate qu’à l’intérieur de chacun de ces groupes, les intérêts peuvent diverger.
Le besoin d’un étudiant gros consommateur de vidéos sur son mobile n’est pas le même que celui d’un chercheur collectant des articles sur les sites des universités du monde entier. Le commerçant qui étend son activité à la vente sur Internet n’utilise pas les mêmes outils que celui de la maison de production qui se lance dans la diffusion de son catalogue de musique en ligne. Les fournisseurs d’accès n’ont pas un unique type de client chez les fournisseurs de contenu et un unique type de client chez les émetteurs de contenus qui justifierait de n’avoir qu’un seul type d’offre.
Internet est-il vraiment menacé ?
Là où le rapport de la FCC marque un point, c’est dans sa volonté de protéger ce qui constitue depuis sa création l’ADN du réseau des réseaux : offrir à tous la possibilité de parler et d’entreprendre. Internet a offert et continue d’offrir la possibilité de créer son entreprise, de diffuser du contenu et d’accéder au monde entier avec un ticket d’entrée modeste.
Cela doit être protégé. Mais cela est-il vraiment menacé ? Internet est par essence décentralisé puisque né d’un maillage d’ordinateurs dont chaque maillon peut à chaque moment être contourné. Si une entreprise privée (malveillante) venait à mettre à mal ce principe, la concurrente s’empresserait de compenser tant Internet est par essence un bien « public » veillé par ses utilisateurs.
Etrangement, les restrictions naissent souvent des Etats eux-mêmes qui déclarent la main sur le cœur vouloir protéger ce qu’ils ont décrété pompeusement être un bien public alors qu’il a été inventé par le public lui-même. Aucune entreprise télécoms n’a restreint l’accès à Internet pour des raisons idéologiques ni espionné les communications pour des raisons de « sécurité nationale ».
La réalité est que les Etats adorent augmenter le champ des biens publics pour pouvoir les contrôler. Et ils le font au prétexte d’un bien commun factice. La réalité est pourtant aussi que la neutralité risque de pénaliser les plus démunis qui pourraient ne plus bénéficier d’offres avantageuses mais limitées à certaines catégories d’individus. Le meilleur exemple est celui de Free qui a pratiqué pendant des mois le bridage des vidéos de Youtube pour assurer sa place de challenger sur le marché et proposer des offres extrêmement compétitives malgré sa petite taille et sa difficulté a construire des infrastructure aussi vite que ses concurrents en entente cordiale depuis une dizaine d’années. En Belgique où aucun Free n’est venu bousculer le marché, il faut payer 70 euros par mois pour un abonnement internet qui est a 30 euros en France. Et maintenant, Free a annoncé avoir négocié que Google finance une partie de ses infrastructures en échange d’un débridage de Youtube pour les utilisateurs… qui ont donc tout gagné. Cela n’aurait pas été possible avec la « neutralité ».
L’offre, la demande et la transparence
Tous les acteurs cités précédemment ont-ils besoin des Etats pour s’organiser ?
Pourquoi interdire à une société de télécoms de décliner ses offres pour proposer des prix très bas pour des utilisations d’internet très ciblées ou des offres premium pour des très haut-débits spécialisés sur la vidéo par exemple si les utilisateurs le réclament?
Pourquoi empêcher un gros producteur de contenu de monter un partenariat avec une entreprise télécom pour faire une offre conjointe si les utilisateurs le réclament? Pourquoi une entreprise qui voudrait commercialiser un frigidaire connecté, un service de diffusion de recettes de cuisine via une connexion internet dédiée ne pourrait-elle pas le faire ?
Toute initiative commerciale n’est pas par essence suspecte. Je préfère y voir de nouvelles opportunités d’étendre l’utilisation de ces technologies et de continuer de permettre à l’économie de se bonifier sous l’impulsion de nouveaux usages.
A condition bien entendu, et pour contenter également les idéalistes, d’offrir aux utilisateurs de la transparence. Sur ce terrain l’Etat est légitime : tout comme certaines normes qualité nous assurent que les jouets de nos enfants ne sont pas toxiques, tout utilisateur d’Internet devrait pouvoir mesurer si son usage est bridé ou contraint, que ça soit par choix ou non. C’est ce qu’on appelle le marché, une offre transparente pour répondre à un besoin identifié, avec un prix adapté. Finalement rien de bien neuf qui mériterait de rester neutre.