« Un think tank doit demander à l’Etat ce que Diogène a demandé à Alexandre le Grand : Ote-toi de mon soleil ! » C’est ce que déclare à l’IREF Madsen Pirie, fondateur du célèbre Adam Smith Institute, ancien conseiller de Margaret Thatcher et auteur de l’ouvrage Think Tank (Biteback, 2012). En France, la mission et l’utilité des think tanks (réservoirs à idées) n’apparaissent pas encore clairement aux yeux du public. Voici les réponses et les conseils de Madsen Pirie.
Laissez-moi commencer par vous dire que je possède un appartement à Nice. J’aime beaucoup y passer quelques jours de temps en temps afin de profiter du soleil et de l’art de vivre français. J’apprécie bien sûr la cuisine française, particulièrement celle de Méditerranée, et je suis un amateur de vin français. Ce que je n’aime pas, en revanche, ce sont les taxes françaises et les impôts français. J’ai en horreur toutes les taxes, dont les taxes britanniques, mais je ne voudrais vraiment pas payer mes impôts en France.
Un think tank n’est pas un parti politique
La première chose à préciser est qu’un think tank n’est pas comme un parti politique. Ses membres ne cherchent pas à être élus. Ils ne se présentent pas devant le peuple afin d’obtenir des mandats. Ils ne mettent pas personnellement en application leurs idées, de sorte qu’ils n’en prennent pas la responsabilité. Ce sont les partis politiques qui adoptent ces idées, qui les présentent aux électeurs et qui les mettent en application s’ils gagnent les élections.
Les membres d’un think tank n’acquièrent pas le pouvoir inhérent à la fonction. Ils ne peuvent pas décider d’essayer leurs idées ou décider de les modifier. Cela se fait plus tard, par les hommes politiques qui les écoutent et qui voient un avantage à choisir leurs idées.
Les membres d’un think tank ne recherchent pas plus les honneurs et les privilèges d’être élus. Ils ne reçoivent pas de salaires ministériels, pas de limousines avec chauffeur, pas d’attention ni d’extase de la part des médias, pas la déférence que les hommes politiques réclament et qu’ils reçoivent souvent. Cela est peut-être heureux, parce que la déférence corrompt souvent. Si l’on traite une personne avec un respect exagéré et indu, cette personne peut parfois en venir à croire qu’elle est très importante.
Le think tank n’est pas une entreprise
Il faut préciser aussi qu’un think tank n’est pas comme une entreprise. Une entreprise vend un produit ou un service à des clients qui sont prêts à payer, et c’est ainsi qu’elle est récompensée. Un think tank fournit aussi un service mais il le fait gratuitement et tout le monde peut en profiter. La plupart du temps, on peut bénéficier des conseils d’un think tank, qu’on le paye ou non.
Le travail des think tanks coûte de l’argent. Il faut faire des recherches, payer des salaires, couvrir les frais, faire publier ses résultats, les faire circuler et organiser des séminaires. Tout cela coûte de l’argent mais, bien souvent, ce sont d’autres personnes que ceux qui reçoivent les services et les conseils qui paient les think tanks.
Essayez d’imaginer une entreprise qui produit des biens, qui les distribue gratuitement et qui, à la fin seulement, demande si quelqu’un veut participer aux frais. Il est bien naturel que ceux qui profitent des services du think tanks laissent les autres payer et agissent comme des passagers clandestins.
J’ai vu des think tanks devenir des entreprises et vendre leurs services à des acheteurs privés. Ils se sont rendus compte que fournir des rapports directement à des entreprises est lucratif et ils sont devenus les portes flingues de groupes ou de lobbys. Faire apparaître les noms de ceux qui contribuent aux frais et paient le think tank est donc une bonne idée. Il est plus sage de faire cela clairement et dès le début, plutôt que ce soit révélé plus tard et ainsi risquer de perdre sa crédibilité et celle de ses analyses.
Curieusement, ce sont avant tout les think tanks anglais plus à gauche qui ont cherché le soutien de grands groupes et qui ont fourni des analyses favorables contre de l’argent. Certains ont même demandé et reçu d’extravagantes subventions de l’Union Européenne, des gouvernements nationaux ou des pouvoirs locaux.
Le think tank n’est pas un lobby
Il est vrai que les think tanks doivent faire parfois du lobbying pour promouvoir leurs idées. Ils sont en droit de le faire, et ils peuvent bien sûr écrire pour la presse, être interviewés, organiser des séminaires et publier des rapports pour convaincre le public de la justesse et du bon sens de leurs idées. Cela est cependant bien loin de l’activité d’un vrai lobby, qui agit au nom d’intérêts privés, comme une entreprise ou une association de commerce.
Faire du lobbying pour des intérêts privés implique généralement de réclamer des traitements favorables à ces intérêts, plutôt que de promouvoir ce que l’on croit juste et bon pour l’économie ou la société. Vendre ses services à des clients privés contre de l’argent est quelque chose que les femmes de petite vertu font depuis la nuit des temps. Elles pratiquent le « plus vieux métier du monde », mais cela ne fait certainement pas partie de la mission d’un think tank.
Certains think tanks utilisent leurs réseaux et leurs contacts pour mettre en rapport des grands chefs d’entreprise avec des hommes politiques. « Si vous contribuez pour 10 000 euros, nous ferons en sorte que vous rencontriez le ministre. Si vous contribuez pour 25 000, nous ferons en sorte que vous soyez assis à coté de lui – ou d’elle – lors de la réception ». Ainsi, le chef d’entreprise peut présenter son cas directement au près du ministre, simplement par une contribution. Quelques think tanks en Grande-Bretagne ont choisi d’emprunter ce chemin, et on les qualifie désobligeamment d’entremetteurs. C’est quelque chose que les entreprises en relations publiques doivent mettre en place pour faire du profit ; ce n’est certainement pas une activité dans laquelle les think tanks devraient être impliqués.
Ce que devraient faire les think tanks
Pour être influent sur le long terme, un think tank doit s’élever au-dessus des destins et des carrières particulières des hommes politiques afin de porter un message destiné à tout le monde.
Quelques think tanks choisissent de se concentrer exclusivement sur un sujet précis, comme la réduction des impôts ou de celle de l’énergie. Cela implique qu’ils consacrent toutes leurs ressources à ce sujet qui les préoccupe. Cela implique aussi que les médias viendront les voir à chaque fois que ce sujet passe aux infos, sachant qu’ils auront quelque chose à dire.
Cela peut être une stratégie très efficace : ils pourront s’attirer les soutiens financiers de ceux qui ont un intérêt pour le sujet qu’ils étudient. S’ils coopèrent avec d’autres think tanks, chacun se concentrant sur sa niche, ils pourront tous ensemble couvrir de très nombreux sujets.
Un think tank peut choisir d’influencer les idées de son époque. En jouant sur le climat intellectuel d’une société, il peut peser sur les évènements. Si un think tank parvient avec succès à changer la manière dont les gens réfléchissent sur l’économie planifiée ou le contrôle de l’industrie par l’Etat, cela peut avoir des conséquences sur les politiques mises en place dans le futur.
Les think tanks en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ont sans aucun doute participé à modifier les perceptions des citoyens sur le marché libre, les « incentives » et sur les charges pesant sur l’activité économique. En retour, cela a rendu possible la mise en place de politiques impensables quelques années auparavant.
Quand l’Institute of Economic Affairs (IAE) a été fondé en 1955, il s’est concentré avec soin sur les idées plutôt que sur la politique. Il a publié des monographies qui peu à peu ont fait leur chemin jusqu’aux bibliothèques universitaires. Il a évité de s’engager pour un parti ou de prendre position sur des points législatifs précis. Il ne voulait pas se trouver entaché par le processus politique.
Depuis sa fondation, l’Adam Smith Institute s’est toujours appliqué à influencer les lois. Il a cherché à peser sur les évènements et a pris sur lui de s’impliquer dans la recherche de propositions politiques mettant en pratique les idées libérales. Nombre de ses premières publications contenaient des idées de lois précises qu’il estimait favorables à l’économie et à la société car permettant plus de liberté et d’efficacité.
En pratique, quelques think tanks ont pris le parti de jouer sur les deux tableaux : publier des papiers afin de changer les mentalités et rechercher des propositions de lois précises pour mettre en pratique leurs idées.
Quand les médias britanniques veulent quelqu’un pour réagir à une proposition de loi ou simplement au sujet du jour, ils savent qu’ils peuvent se tourner vers l’Adam Smith Institute pour des analyses libérales et libertariennes construites.
Un think tank doit Influencer la loi
C’est une chose de convaincre des hommes politiques des bienfaits du libéralisme, mais les entraîner à passer des lois favorables au marché libre est une autre paire de manches. Quelques hommes politiques sont plutôt libéraux, mais ne savent pas comment favoriser la libre concurrence sans que ce ne soit politiquement irréaliste. Les politiciens en général ne soutiennent pas des décisions qui les condamneraient à la défaite aux élections suivantes. Ce qu’ils veulent, ce sont des politiques d’ordre pratique, politiquement envisageables et qui les rendront populaires.
En d’autres termes, ces politiques doivent être pensées non seulement comme économiquement ou socialement justes, mais aussi comme politiquement efficaces pour obtenir le soutien populaire. Une politique idéale est non seulement bonne pour le pays, mais elle garantit aussi la popularité des hommes politiques qui la présentent et la portent.
Il y a peu d’intérêt à essayer de convaincre les hommes politiques de tailler dans les dépenses. La plupart savent qu’ils devraient le faire. Mais ils savent aussi qu’ils s’attireraient les foudres de tous ceux qui profitent de ces dépenses. Leur impopularité grandirait et bientôt les grèves et les manifestations mèneront à leur défaite électorale.
Ce que les hommes politiques veulent savoir c’est comment une réduction des dépenses publiques peut être présentée comme un projet politiquement réaliste. D’autres gains peuvent-ils être garantis à ceux qui sont touchés par les coupes, transformant une perte sèche en échange ? Les coupes peuvent-elles être menées les unes après les autres, pour que ceux qui protestent ne soient toujours qu’une petite minorité ? Les groupes qui vont profiter des coupes auront-ils plus de poids que ceux qui vont y perdre ? Ces questions sont d’ordre très pratique, d’ordre très politique, et un think tank doit les prendre en considération lorsqu’il travaille sur des propositions de politiques publiques.
Permettez-moi d’illustrer mon propos avec un exemple tiré de l’expérience britannique. Quand Margaret Thatcher a été élue, 35 pour cent des maisons étaient la propriété de l’Etat et leurs loyers étaient subventionnés. C’était une distorsion majeure sur le marché immobilier, empêchant la mobilité du travail et rendant les gens dépendant de l’Etat. De plus, cela coûtait énormément d’argent chaque année.
Les gouvernements conservateurs précédents, localement comme nationalement, avaient tous essayé de mettre les loyers publics au niveau de ceux du privé. Les locataires, ayant le choix entre des candidats favorables aux prix du marché et ceux favorables aux loyers subventionnés, votèrent pour les subventions, pour les travaillistes plutôt que pour les conservateurs. Soutenir les prix du marché pour les loyers était un handicap électoral majeur.
Le gouvernement Thatcher mit en place une nouvelle approche. Il offrit aux conseils de locataires la possibilité d’acheter leur maison louée pour moins cher que leur valeur sur le marché. S’ils y avaient vécu deux ans, le rabais était de 20% ; il était de 50% s’ils y avaient vécu 10 ans. L’idée était que le loyer qu’ils payaient chaque année devait aller à l’achat de leur maison.
C’était, bien sûr, encore une subvention, mais une subvention exceptionnelle, désormais limitée. Ceux qui achetaient leur maison n’auraient plus jamais besoin de loyers subventionnés : ils étaient désormais en dehors de la gestion de l’Etat. Cette politique fut très populaire, parce que l’opportunité d’acheter sa maison s’avéra bien souvent plus rentable que les subventions annuelles. Comme propriétaires, ils pouvaient profiter de chaque augmentation du prix de leur maison. Comme locataires, ils ne le pouvaient pas.
Alexandre le Grand fit faire un détour à ses armées pour aller saluer le philosophe Diogène, et il trouva le sage homme assis sous un arbre hors de la ville. Il lui demanda s’il pouvait faire quoi que se soit, à l’aide de son immense pouvoir, pour l’aider. Diogène répondit alors : « Ote toi de mon soleil ».
C’est exactement tout ce que nous demandons à l’Etat. La plupart des politiques que nous proposons sont conçues pour l’ôter du soleil et laisser les entreprises faire ce qu’elles font le mieux : créer de la richesse et de la prospérité. Ce que nous, think tanks, devons faire, est de trouver de nouvelles méthodes pour rendre cette approche attrayante et donc encourager les Etats à la suivre.
3 commentaires
Les « réunionnites » !
Pendant que les autres Pays avancent, la France met en place des comités de réflexions, des hauts commissariats à la culture intensive…!??? Elle est rassurée…!
L’on est enchanté de suivre aveuglément nos technocrates de Bruxelles qui ont décidé que la banane devait mesurer 14 cm et le diamètre de la courgette 4,5 cm…!!!!!
Tiens, cela me fait penser à quelque chose…!
Comment voulez-vous que ce Pays s’en sorte ???
Regardez le temps passé par nos PME/PMI/TPE à remplir des formulaires, des papiers inutiles. Comment peut-on imaginer qu’elles puissent survivre à de telles contraintes ?
Regardez le nombre de rapports qui finissent tous à la poubelle…!
Où est l’efficacité, le pragmatisme…?? Où est la société de confiance ???
Pendant ce temps perdu, la France coule.
Les Français sont cuits, mais contents…????
Désespérant !
La France.. unique en son genre..!
Ci-dessous, le site des spécialités Françaises :
Commissions, observatoires, instances consultatives, centres d’études, cellules de veilles, hauts conseils..etc..!
L’avenir est assuré…….!!.
http://www-performances-publiques.budget.gouv.fr/farandole/2013/pap/pdf/Jaune2013_liste_des_commissions.pdf
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Des think tanks : pour quoi faire ? comment faire ?
Ouvrir les yeux a des êtres humains qui vivent avec leur propres expériences et conviction n’est pas choses faciles quelque soit leurs parcours .
Cependant comme qui dirait , a l’impossible nul n’est tenue mais il faut tout faire pour dépasser ces limites .
Si NOUS LAISSONS LES GENS QUE DECIDENT ? CONTINUER AVEC LEURS OEILLERES,
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