Les incertaines conséquences de l’inégalité Lecture critique du World Inequality Report 2018
Publié en décembre 2017, un nouveau Rapport sur l’inégalité dans le monde, the World Inequality Report 2018, désigné dans cet article comme le Rapport, tente encore, par une accumulation de tableaux statistiques, de démontrer que l’inégalité est la cause de tous les maux. Il est élaboré de manière très artificielle à partir de données souvent reconstruites, notamment pour les pays, nombreux, qui ne publient et parfois ne recensent guère d’éléments de revenus et de patrimoine de leur population. Sa thèse principale est que les inégalités nuisent à la lutte contre la pauvreté. Mais le seul but semble être de justifier une hausse importante de l’impôt sur le patrimoine et de l’impôt progressif comme « un outil efficace pour combattre les inégalités ». Il ignore qu’au-delà de certaines limites, l’impôt tue l’impôt et entrave le développement qui permet d’éradiquer la pauvreté. En réalité le Rapport ne convainc pas. Il sélectionne certains pays au secours de sa thèse, mais curieusement, en dehors des Etats Unis et de la France, il s’arrête surtout sur le cas de pays pauvres ou émergents, tous corrompus et dont l’état et les conditions de développement sont peu probants. Il souligne avec force que les inégalités se sont accrues aux Etats Unis depuis trente ans, plus qu’en Europe. C’est vrai en partie. Mais sur la base des statistiques de la Banque mondiale, il apparaît que les revenus de la moitié la plus modeste de la population sont comparables en Amérique et en France. Et le Rapport ne prend pas en compte, ou mal, le rôle de la mobilité sociale plus forte dans les pays moins réglementés que dans les pays enrégimentés. La part des 50% inférieurs a crû moins vite, en pourcentage du revenu national, aux Etats Unis qu’en France sur la période 1980/2016, mais la croissance du PIB a été beaucoup plus forte aux Etats Unis sur cette période, soit 259% en dollars constants 2010 (source Banque mondiale) contre 188% en France. L’inégalité américaine a été le fruit de cette croissance en même temps que sans doute elle l’a favorisée. Télécharger ce dossier
Introduction
+Nouvelle économie et nouvelles inégalités+
Aux Etats Unis, l’inégalité s’est creusée par la réussite spectaculaire des entreprises de la nouvelle économie numérique tandis que la population la moins qualifiée n’a bénéficié que légèrement de cette croissance et a souffert de la concurrence mondiale des salaires provoquées par l’ouverture des frontières. En France, une politique moins libérale a maintenu artificiellement des salaires plus élevés, avec un SMIC qui grimpait chaque année plus que le marché, et la régulation s’est faite par le chômage. Mais globalement c’est la réduction des tarifs douaniers et la libéralisation des échanges qui ont permis aussi d’étendre la richesse à travers le monde, d’abord par une délocalisation des productions permettant aux pays pauvres d’acquérir de nouveaux savoir-faire et de faire valoir ensuite leur propre créativité. Les pays pauvres et émergents ont tous profité de cette libéralisation grâce à laquelle la population mondiale vivant en dessous du seuil de pauvreté de 1,90US$ par jour a été réduite de près de 37% à moins de 11% de la population totale entre 1990 et 2016. Il est incontestable que la liberté mondiale de l’industrie et des échanges a favorisé la croissance du monde, y compris dans les pays encore phagocytés par des pouvoirs hégémoniques. Depuis cette ouverture du commerce et des communications, la misère recule partout, ou presque, dans le monde.
+Inégalités dans des pays corrompus et des économies « mafieuses »+
La situation des pays pauvres ou émergents est évidemment trop souvent perturbée par une corruption active et généralisée. C’est le cas notamment dans les pays étudiés : Chine, Inde, Brésil, Russie, Afrique du Sud, ou encore le Moyen Orient. Néanmoins, ce que montre l’évolution de ces pays est que, contrairement à ce que soutient implicitement le Rapport, les phases de règlementation excessives de l’économie sont défavorables aux plus modestes et les phases de retour à une certaine économie de marché, même partielle, leur sont favorables, même si les plus riches en profitent plus, voire beaucoup plus, que les plus modestes. Il est possible et même vraisemblable que trop d’inégalité entrave la montée sociale des catégories inférieures trop distancées pour savoir facilement grimper l’escalier social, toujours trop dur pour être un simple ascenseur comme on le dit souvent. Mais c’est plus vrai dans les pays qui ne pratiquent pas l’état de droit, comme la plupart des pays corrompus susvisés, que dans ceux qui sont attentifs à son respect au travers de procédures et d’institutions constituées à cet effet. C’est plus vrai dans les pays prisonniers de castes ou d’un parti unique, de droit ou de fait, que dans ceux qui pratiquent une démocratie représentative, toute imparfaite qu’elle puisse être. Par exemple en Inde, 69% de l’ensemble de la population ne connaît pas de mobilité sociale[[Ibidem, Peugny 2007]]. Il n’y pas de corrélation évidente entre pauvreté et inégalité. Il apparaît pourtant que la croissance suppose une certaine inégalité parce qu’elle est corrélée au degré de liberté des hommes de s’enrichir. Comme science des comportements humains, l’économie mérite mieux que d’être utilisée au service d’une idéologie dans un Rapport qui n’hésite pas à proposer de taxer progressivement les patrimoines jusqu’à 25% pour rembourser les dettes publiques, qui regrette le temps béni de l’URSS parce qu’il était plus égalitaire et qui ne critique guère la Chine parce qu’elle est encore communiste.
Analyse critique du Rapport de Piketty
+ 1. Des données retravaillées au service de l’idéologie égalitariste+
Ce nouveau Rapport sur l’inégalité dans le monde, the World Inequality Report 2018, ci-après le Rapport, a été publié début décembre 2017. Il a été établi sous la direction de Thomas Piketty qui a cette fois abandonné ses formules simplistes pour expliquer le monde en trois chiffres qui ont fait long feu. Néanmoins, dans une accumulation de tableaux statistiques, il tente encore de démontrer que l’inégalité est la cause de tous les maux. Ce Rapport est pourtant élaboré de manière très artificielle à partir de données souvent reconstruites, notamment pour les pays, nombreux, qui ne publient et parfois ne recensent guère d’éléments de revenus et de patrimoine de leur population. Par ailleurs, il remet en cause les informations délivrées notamment par la Banque mondiale et l’OCDE ou pour le moins les croise avec d’autres sources, notamment fiscales, et multiplie les extrapolations. A l’issue de ces retraitements, la question reste posée de savoir si ses résultats sont plus fiables que d’autres tant les comparaisons sont difficiles et sujettes à caution dans ces domaines où les chiffres, les méthodes et les concepts peuvent revêtir des réalités différentes d’un pays à l’autre, aussi bien par exemple pour la définition des revenus ou la segmentation de la population analysée que pour la prise en compte des impôts et des aides sociales. L’ambition est même démesurée lorsque la Rapport entend prendre en compte les revenus et patrimoines off shore que par définition personne ne connaît. Certes, les auteurs font apparemment preuve de modestie et d’un certain réalisme en indiquant en introduction que leur « objectif n’est pas de mettre tout le monde d’accord sur la question des inégalités ; cela n’arrivera jamais, pour la simple raison qu’il n’existe pas une vérité scientifique unique sur ce qui serait le niveau optimal d’inégalité, et encore moins sur l’ensemble des institutions et des politiques publiques qu’il serait souhaitable de mettre en place pour atteindre ce niveau ». Mais la thèse principale, et délivrée comme une évidence qui n’a pas besoin d’être démontrée, est que « L’évolution des inégalités à l’intérieur des pays a un impact considérable sur la lutte contre la pauvreté dans le monde ». Moins qu’une analyse scientifique, le Rapport est construit comme une immense protestation à l’encontre des plus riches, en revenus et en patrimoines. « En 2016, la part du revenu national allant aux seuls 10 % des plus gros revenus (part de revenu du décile supérieur) était de 37 % en Europe, 41 % en Chine, 46 % en Russie, 47 % aux États-Unis/Canada, et autour de 55 % en Afrique sub-saharienne, au Brésil et en Inde. Au Moyen-Orient, région du monde la plus inégalitaire d’après nos estimations, le décile supérieur captait 61 % du revenu national » note le Rapport. Il analyse la croissance irrégulière des inégalités mondiales de 1980 à 2016 pour constater que «Si la part de revenu du centile supérieur est montée de 16 % en 1980 à 22 % en 2000, elle a ensuite légèrement régressé jusqu’à 20 % ». Dans le même temps, la part des 50% est en fait passée de 8 à près de 10% du revenu mondial, en parité de pouvoir d’achat, entre 1980 et 2016. La conclusion du Rapport est qu’il faut utiliser l’impôt sur le patrimoine et l’impôt progressif comme « un outil efficace pour combattre les inégalités. La progressivité des taux a pour double effet de réduire l’inégalité après impôts, mais aussi avant impôts, car elle décourage les hauts revenus de s’approprier une part toujours plus importante de la croissance en négociant des rémunérations excessives et en concentrant les patrimoines ». Mais c’est là que le Rapport se dévoile et se trompe. Précisément, c’est pour cela – parce que trop d’impôt tue l’activité et donc l’impôt lui-même d’ailleurs, parce qu’en décourageant l’initiative, comme le Rapport le dit très bien, il réduit la croissance qui profite à tous – qu’il faut manier l’impôt progressif avec modération, voire le transformer en impôt proportionnel. D’ailleurs il note qu’entre les années 1970 et le milieu des années 2000, la progressivité de l’impôt a été fortement réduite dans les pays riches et dans certains pays émergents, mais il ne fait pas le lien pourtant évident avec le fait que c’est ce qui a poussé les feux de la croissance dans ces pays, au profit de tous. Le Rapport préfère se focaliser sur le contrôle total de tous les actifs et de tous les flux par la création d’un registre financier mondial des titres de propriété « dont les administrations fiscales nationales pourraient se servir pour lutter efficacement contre la fraude ». Mais la question se pose de savoir si l’obsession égalitariste et étatiste des auteurs du Rapport ne les conduit pas à ignorer la complexité de la question et la diversité des situations. En réalité le Rapport n’est convaincant en rien. Il veut prouver que l’inégalité appauvrit les plus pauvres. Pourtant, même en retenant ses données malgré leurs incertitudes, l’analyse tend à démontrer que l’inégalité est loin d’être toujours nuisible aux plus pauvres, voire qu’elle peut leur profiter. Le Rapport sélectionne certains pays au secours de sa thèse, mais curieusement, en dehors des Etats Unis et de la France, il s’arrête surtout sur le cas de pays corrompus et dont l’état et les conditions de développement sont peu probants.
+2. Les inégalités dans les pays développés : les Etats Unis et la France+
Le Rapport note que « La divergence est particulièrement extrême entre l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, qui avaient des niveaux d’inégalité comparables en 1980 mais se trouvent aujourd’hui dans des situations radicalement différentes. Alors que la part de revenu du centile supérieur était proche de 10 % dans les deux régions en 1980, elle est un peu montée en Europe en 2016 (12 %), mais elle s’est envolée à 20 % aux États-Unis. Dans le même temps, aux États-Unis, la part des 50 % les plus pauvres est passée de plus de 20 % en 1980 à 13 % en 2016 » contre près de 24% en Europe de l’Ouest, et en particulier en France, en 1980 et près de 22% en 2016.
2.1 Etats-Unis : une répartition des richesses sous-estimée et biaisée dans le Rapport Pourtant, selon les statistiques de la Banque mondiale dont on ne voit pas pourquoi elles seraient moins fiables que celle de ce nouveau Rapport idéologiquement très orienté, les données sont différentes. De 1980 à 2016, la population des Etats Unis est passée de 227, 225 à 323,127 millions d’habitants et le Revenu National Brut (en dollars US constants 2010, source Banque mondiale) de 6 585 Md à 17 013Md, ce qui veut dire qu’en retenant les parts du revenu national attribuées par le Rapport aux 50% les plus pauvres, à savoir 20% en 1980 et 13% en 2016, le revenu national revenant à ces 50% inférieurs aurait été de 1 317 Md US$ en 1980 et de 2 211,69Md US$ en 2016, soit un revenu par an et par habitant de 11 619,14 US$ en 1980 et de 13 690,04 US$ en 2016, représentant une augmentation limitée à 17,82% sur la période. Mais la Banque mondiale donne d’autres chiffres concernant la part revenant aux trois quintiles les plus modestes. Selon elle, la part des revenus totaux captée aux Etats Unis en 2013 par les 20% les plus pauvres était de 5,1%, celle des 40% les plus pauvres était de 15,4% et celle des 60% inférieurs, de 30,8% ; ce qui signifie que la part captée par les 50% inférieurs peut (pour la comparer aux chiffres du Rapport) être estimée (sur la base d’une moyenne d’augmentation du deuxième quintile, soit 10,3%, à celle du troisième quintile, soit 15,4%) à environ 24%, bien loin des 13% indiqués par le Rapport pour 2016. Sur ces bases, le revenu par habitant des 50% inférieurs aurait été de 25 272 US$ (constant 2010) en 2013 aux Etats Unis, très au-dessus des 13 690,04 US$ calculés sur la base des chiffres du Rapport. Sur les mêmes bases de la Banque mondiale, la part des 50% inférieurs en France en 2013 peut être estimée à 30%, plus proches des 22% estimés par le Rapport, mais néanmoins bien différents. Selon les chiffres de la Banque mondiale, le RNB français était de 1 503Md US$ (constants 2010) en 1980 et de 2 856 Md US$ en 2016, soit un revenu par habitant des 50% inférieurs de 25 615 US$, proche de celui des Etats Unis. Selon d’autres chiffres livrés par le Rapport, le revenu par adulte des 50% inférieurs était aux Etats Unis, en 2014, de 26 000US$ après transferts sociaux et 16 500 avant, quand il était de 15 000€ en France. Ces chiffres soulignent la difficulté des approches et leurs différences, mais en même temps, ils font ressortir que le plus vraisemblable est que le Rapport sous-estime les revenus des plus pauvres et surestime celui des plus riches de façon à justifier ses conclusions en faveur d’une imposition dramatiquement plus importante de ces derniers. Pourtant, ces chiffres démontrent qu’a priori, les revenus des 50% inférieurs aux Etats Unis sont bas mais proches de ceux des Européens, voire supérieurs. Aux Etats Unis, la part des plus pauvres est plus faible qu’en Europe en pourcentage du revenu national, mais le PIB américain par habitant est supérieur d’environ 25% à celui de la France et de 50% à celui de l’Union Européenne. En fait la croissance des revenus inférieurs a été plus faible aux Etats Unis qu’en France sur la période 1980/2016, mais la croissance du PIB a été beaucoup plus forte aux Etats Unis sur cette période, soit 259% en dollars constants 2010 (source Banque mondiale) contre 188% en France, et beaucoup plus aussi en augmentation du PIB par habitant de 156% en France et de 181% aux Etats Unis sur la même période.
2.2 Forte hausse de la population, immigration de masse et mobilité sociale Les comparaisons de pays à pays soulignent que l’égalité n’est pas nécessairement fonction des dépenses sociales ou du poids des prélèvements obligatoires. La France est plus inégalitaire que l’Allemagne, en dépit du fait que ses dépenses sociales représentent près de 32 % du PIB, contre 25 % du PIB en Allemagne et que les prélèvements obligatoires allemands sont de 10 point inférieurs aux prélèvements français. La France a des niveaux de dépenses sociales et de prélèvement obligatoires proches de ceux de la Finlande, de la Belgique, de la Suède et du Danemark, mais ces pays sont nettement moins inégalitaires. Ils ont fait des réformes sociales, notamment en matière de libéralisation du marché du travail, que la France n’a pas faites et ceci explique sans doute cela.
Le Rapport méconnaît notamment le rôle de la mobilité sociale, plus forte dans les pays moins réglementés que dans les pays enrégimentés, parce que la liberté favorise l’initiative, la rapidité des carrières des bons employés, facilite le changement de job et de résidence, etc… La mobilité sociale est sans doute assez comparable en France et aux Etats Unis. Selon une étude de M. Corak « en France, 46% des fils d’ouvriers sont eux-mêmes ouvriers et 52% des fils de cadres sont eux-mêmes cadres. Aux États-Unis, 38% des fils d’employés non-qualifiés (unskilled and service) sont eux-mêmes des employés non-qualifiés tandis que 42% des enfants de cadres (upper-professional) sont eux-mêmes cadres »[[Mobilité sociale et explications de la réussite en France, aux États-Unis et en Inde par Jules Naudet, journals.openedition.org/sociologie/1185, 2012]]. D’autres études montrent qu’en France comme aux Etats Unis, la mobilité sociale est moins forte au sein des quintiles extrêmes (le premier et le cinquième)[[ Cf. Corak M. (2006), « Chasing the same dream, climbing different ladder: Economic Mobility in the United States and Canada »]]. Une étude de la Documentation française note même qu’en France , entre 1983 et 2009, « plus de sept enfants d’ouvriers sur dix et six enfants d’employés sur dix sont assignés au même type d’emplois d’exécution que leurs pères. Ce qui veut dire que si l’on se situe au bas de la structure sociale, la reproduction demeure bel et bien un destin probable »[[La mobilité sociale en France – Égalité inégalités (la documentation francaise 6 juil. 2016)]]. Aux Etats Unis, l’état d’esprit est plus favorable à l’idée que tout est possible pour tous, même si probablement cette idée s’émousse avec l’accroissement du poids de la réglementation fédérale. Face à l’inégalité, les Américains sont admiratifs quand les Français sont envieux. C’est sans doute en partie ce qui explique la porosité des catégories sociales dans les deux sens. Parmi les Américains qui faisaient partie des 1 % les plus riches en 1987, seulement 24 % en faisaient encore partie en 2007, 20 ans plus tard. Et seulement 37 % étaient dans les 5 % les plus riches. Pratiquement tous les ans, ceux qui font partie du classement bougent et les études montrent que, en moyenne, seulement 2 riches sur 5 sont encore présents dans les 1 % après 10 ans. Selon une étude de Michael D. Tanner (septembre 2016)[[Five Myths about Economic Inequality in America, https://www.cato.org/publications/policy-analysis/five-myths-about-economic-inequality-america ]], la moitié de ceux qui commencent leur vie dans le premier quintile (les 20% inférieurs) passe dans un quintile supérieur dans les dix ans. Et un sur 5 des enfants nés de parents classés dans le quintile inférieur atteint durant sa vie d’adulte l’un des deux quintiles supérieurs. Pour comparer les situations d’un pays à l’autre, il faut aussi tenir compte des facteurs externes. L’immigration, en particulier, est très importante, notamment quand il s’agit pour l’essentiel d’une immigration pauvre, ce qui a été le cas ces dernières années et plus encore aux Etats Unis. Plus globalement, l’accroissement de la population joue un rôle majeur en mettant sur le marché plus de jeunes qui ont moins de revenus et de patrimoine. Aux Etats Unis la population a augmenté de plus de 42% de 1980 à 2016, contre un peu moins de 21% en France. Ce qui compte aussi significativement est l’évolution des revenus dans le temps. Il est évident qu’une population plus jeune apparaîtra plus pauvre qu’une autre plus âgée. Au regard de ces différents critères, la mobilité est sans doute supérieure aux Etats Unis, mais elle reste délicate à mesurer. Il ne fait pas de doute par contre qu’elle est beaucoup moins importante dans les pays dont la population est figée dans des ordres économiques, religieux ou politiques, par exemple en Inde où 69% de l’ensemble de la population ne connaît pas de mobilité sociale[[La mobilité sociale en France – Égalité inégalités, cf. note 4, Peugny 2007]]. La réalité est que la pauvreté n’est pas nécessairement liée au degré d’inégalité. Depuis 1980, le coefficient de Gini n’a cessé d’augmenter aux Etats Unis, marquant un accroissement des inégalités alors que le taux de pauvreté a été globalement en baisse, avec des variations et des analyse différentes selon les méthodes de calcul.
De la même manière, il n’y a pas de corrélation entre le taux de pauvreté et la part du top 1% après impôt :
+3. Les inégalités dans les pays émergents+
Le Rapport se livre ensuite à un examen des inégalités notamment dans cinq grands pays qui sont aussi parmi les plus corrompus du monde et représentent près de la moitié de la population mondiale : Chine, Inde, Brésil, Russie, Afrique du Sud. Il aborde également la situation au Moyen Orient, affaibli par ses guerres éternelles et sa rente pétrolière, et dans l’Afrique subsaharienne, région la plus pauvre du monde. Tous ces pays sont, peu ou prou, sous la coupe de pouvoirs hégémoniques qui captent la richesse pour leurs amis et les entreprises qui les soudoient et les soutiennent, ce que d’aucuns appellent le capitalisme de connivence et qui est de fait ici plutôt un étatisme de connivence tant les Etats de ces pays centralisent les pouvoirs entre leurs mains pour en redistribuer les fruits à leurs affidés. Pour tous ces pays, les données sont extrêmement dispersées et souvent inexistantes. Les analyses sont donc particulièrement difficiles, peu probantes, voire douteuses. Néanmoins, sur la base de ces données, et avec les précautions indiquées, les conclusions apparaissent souvent opposées à celles que le Rapport affiche. La Chine En Chine, le Rapport constate, selon ses propres données, qu’alors qu’en 1978 le top 10 et les 50% inférieurs partageaient chacun 27% du revenu national, le top 10 est monté à 42% en 2015 et les 50% inférieurs sont descendus la même année à 15%, la plus grande divergence ayant pris place de 1998 à 2006 lorsque le gouvernement chinois introduisit de nouvelles règles en faveur de la privatisation d’entreprises publiques, notamment dans le secteur tertiaire. Mais au cours de la période 1978/2015 étudiée par le Rapport, le PIB par habitant est passé de 307,766 US$ à 6496,624 US$ en $ constant 2010 ( données de la Banque mondiale), ce qui veut dire qu’en dollar constant, la population ayant les 50% de revenus les plus bas a vu son revenu multiplié, par habitant, par 11,8 alors que le nombre d’habitants n’a augmenté sur la période « que » de 956 165 000 à 1 371 000, soit une hausse de 143%. Le revenu par habitant des 50% de la population ayant les revenus les plus bas a donc été multiplié par 8,43 en moyenne par habitant. La démonstration est faite qu’une certaine libéralisation a été très profitable aux classes défavorisées, même si elle a été encore plus profitable à ceux qui ont su exploiter les nouvelles règles pour s’enrichir. Ce qui est vrai aussi est que la croissance n’a pas été plus forte en pourcentage d’une période à l’autre, avant et après 1998 : pendant les 19 années précédentes, de 1978 à 1997, le PIB par habitant a été multiplié par 4,69 (passant de 307,766 US $ constant 2010 – source Banque mondiale- à 1 443,775 US $) et pendant les 19 années suivantes, de 1997 à 2016, il a été multiplié par 4,5 (atteignant 6 893,776 US $). Il est évident que le passage de la misère, soit moins de 1 US $ 2010 par jour en 1978, à la pauvreté moyenne de 1997 était probablement plus facile que celui de la pauvreté relative à une certaine aisance en moyenne en 2016. Il reste que si la Chine est encore très loin des pays développés, c’est sans doute aussi à cause de son régime centralisé à l’excès, tyrannique, excluant la liberté de pensée génératrice de créativité, reposant sur une bureaucratie dont le pouvoir favorise la corruption à tous les niveaux selon la règle qui veut, selon Lord Acton, que le pouvoir corrompe et que le pouvoir absolu corrompe absolument. La Russie En Russie, la part du revenu national captée par les 50% inférieurs est tombée de 30% en 1989 à 17% aujourd’hui tandis que les tops 10% et 1% reçoivent actuellement respectivement 45,5% et 20% du revenu national. La baisse fut surtout brutale au lendemain de la chute du Mur par suite de la désorganisation totale de la société russe et de son économie. Le Rapport déplore, par exemple, que durant la période 1996/2008, la part des revenus des 50% inférieurs de la population soit passée de 17 à 12% et celle du top 10% de 43 à 53% tandis que durant cette période de douze années le revenu national a plus que doublé, et que le revenu par habitant est passé, en dollars US constants 2010 (source Banque mondiale), de 5284,043 en 1998 à 10 762, 862 en 2008. Certes, la captation si rapide de revenus par le top 10 paraît incroyable et c’est la marque évidente d’un pays abandonné à des mafias politiques et économiques. Assurément pourtant, il valait mieux pour les 50% inférieurs gagner 12% de 2 plutôt que 17% de 1 ! Selon ce calcul, le revenu de ces 50% inférieurs a augmenté d’environ 50% en dix ans dans un pays dont la régression de la population sur la période apparaît comme le symptôme d’une crise profonde. D’ailleurs, l’économie russe ne parvient pas à décoller durablement et depuis 2013 elle est en récession alors que le pays cherche à affirmer sa domination par la guerre et que le pouvoir politique devient de plus en plus autoritaire. Le Rapport ne veut pas voir que la seule période où les Russes pauvres se sont un peu enrichis est celle pendant laquelle les Russes les plus riches se sont encore plus enrichis ; cette cécité vient de ce qu’il ne cherche pas à regarder la réalité, mais plutôt à démontrer la thèse qui affirme que l’enrichissement des riches accroît la pauvreté des pauvres, ce qui est manifestement hâtif. Les auteurs du Rapport ne supportent pas l’enrichissement excessif des uns quand bien même il contribuerait à réduire la pauvreté par l’effet du ruissellement, qu’il nie bien entendu. Avec nostalgie, ils préfèrent le temps regretté de l’URSS qui permit dès 1929 que la part du top 10% soit réduite à 22% du revenu national et celle des 50% inférieurs augmentée à 30%, voire 32% en 1968. Ils oublient juste que tout en ayant 30 ou 32% du revenu national, cette population mourait régulièrement de faim ou de froid parce que les 30 ou 32% qu’ils recevaient n’étaient qu’une part de rien, ou de si peu. Les statistiques de l’époque ne permettent d’ailleurs pas de donner des chiffres fiables, d’autant plus que ceux qui ont été livrés par l’URSS elle-même étaient tous trafiqués pour être enjolivés, peut-être de manière considérable. L’absence de prix de marché rendait tout calcul compliqué et les prévisions du Gossplan qui servaient de référence étaient toujours surévaluées notablement. Les réalisations du plan prises en compte dans les données statistiques livrées à la population ne reflétaient pas la réalité car beaucoup des dépenses indiquées représentaient des usines non terminées ou jamais en état de marche, des productions inutiles tandis que d’autres manquaient cruellement… Il est admis que le panier de la ménagère soviétique est très vite revenu au niveau de 1913, voire moins. La part grandissante des investissements, puis l’effort de guerre, au détriment de la consommation, expliquent en partie cet état de fait. La part de la consommation des ménages est passée de plus de 80% à environ 55% entre 1928 et 1937[[cf. A. Bergson, The Real National Income of Soviet Russia since 1928 , Harvard University Press, Cambridge, (Mass.), 1961]]. Une légère amélioration a suivi pour peu de temps avant que la préparation de la guerre exige d’accentuer l’investissement militaire. L’Inde Des années 1950 jusqu’aux années 1980, l’Inde a eu une économie très réglementée, planifiée, étatisée, qui a conduit à un nivellement des revenus avec la part attribuée au top 1% limitée au début des années 80 à 6% et celle du top 10% à 30%, quand les 50% inférieurs disposaient de 24% du revenu national. A partir des années 80, l’Inde s’est ouverte à l’économie de marché avec une politique de dénationalisation, de dérégulation, de retrait du secteur public qui a encore été amplifiée dans les années 2000. Selon le Rapport, ces réformes ont conduit à une hausse sensible des inégalités à partir des années 90 avec une captation en 2014 de 56% du revenu national par le top 10% de la population adulte et une baisse de la part des 50% inférieurs juste au-dessus de 16%[[Le Rapport mentionne des chiffres non compatibles en indiquant : « by 2014 the richest 10% of the adult population shared around 56% of the national income. This left the middle 40% with 32% of total income and the bottom 50%, with around half of that, at just over 16%”, ce qui représenterait 104% du revenu national!.]]. Mais il vaut mieux avoir 16% du revenu national de 2014 que 24% du revenu national de 1980 : 16% du revenu national en 2014, cela représente 16% d’un RNB en $ constant 2010 (données Banque mondiale) de 2 106Md pour une population de 1,214 Md d’individus, soit un revenu par individu de la tranche des 50% inférieurs de 520,80 US$ 2010 [(2 106 000 x16%) / (1 294×50%)] alors qu’en 1980, la population était de 696 783 000 habitants pour un revenu national brut total de 272 327 millions de US$ 2010, soit pour les 50% inférieurs qui captaient 24% du revenu, un revenu par tête de 187,60 US$ 2010. L’augmentation de 1980 à 2014 est donc de 187,60 à 520,80 par tête en moyenne, soit un multiplicateur de 278%. Sur les mêmes bases, l’augmentation de 1960 à 2014 est de 358%. De 1960 (la Banque mondiale ne livre pas de statistiques avant 1960) à 1980, le revenu par habitant des 50% inférieurs passe de 145,42 à 187,60 US $ constant 2010, soit une augmentation de 29% sensiblement inférieure à celle de 87% qu’observe le Rapport sur la période 1950/1980. Le revenu par habitant a augmenté ensuite en Inde de 92,9% de 1980 à 2000 et de 143,8% de 2000 à 2016 (soit une hausse de plus de 200% Rapportée à 20 ans). Le Rapport ne retient pas que la croissance a été forte, y compris pour les plus modestes, depuis que des reformes libérales ont été engagées en Inde, mais plutôt que dans les années 1950/1980 le top 0,1 % a vu son revenu se réduire de 26%. Il préfère donc une hausse modeste pour les miséreux et une baisse pour les plus riches à une hausse plus forte pour les pauvres et une encore beaucoup plus forte pour les plus riches! Pourtant cet enrichissement global a permis que la pauvreté – mesurée à moins de 1,90$ (en PPA 2011) par jour – se réduise de 16,7% de la population indienne en 1983 à 4,3% en 2011. Il reste que la pauvreté serait moins grande encore sans doute si la dépravation politique n’était pas si importante : à la mi-mars 2017, dans l’état fédéré de l’Uttar Pradesh peuplé de 200 millions d’habitants, le premier ministre indien Narendra Modi emportait une très large majorité des sièges de la nouvelle assemblée dont 26% des membres, la plupart appartenant au parti du Premier ministre, sont impliqués dans des affaires judiciaires « sérieuses » allant de l’enlèvement au meurtre. Le Brésil Le Rapport souligne que les revenus restent au Brésil très concentrés entre les mains du top 10% qui reçoit 55,3% du revenu national en 2015 tandis que les 50% inférieurs de la population en perçoivent 12,3% et les 40% intermédiaires, 32%. La croissance a été un peu plus forte entre 2001 et 2015 qu’elle ne l’avait été au cours des vingt années précédentes, et cette hausse a un peu profité aux 50% inférieurs, mais pour à peine 1% de progression dans leur part du revenu national tandis que cette croissance a plus profité aux tops 1 et 0,1%. Cette évolution montre que le régime collectiviste de Lula n’a guère changé le cours des Rapports sociaux, sans doute parce qu’il était lui-même aussi corrompu que les régimes qui l’avaient précédé ainsi que l’a démontré le scandale Odebrecht. Une affaire aux ramifications sans fin puisque le procureur général de la République enquête sur les liens avec ce géant du bâtiment de 83 responsables politiques dont cinq ministres, six sénateurs et les deux anciens présidents Luiz Inacio Lula da Silva et Dilma Rousseff. Leur successeur d’ailleurs, Michel Temer, ne semble pas les racheter ! L’Afrique du Sud La répartition des revenus est aussi très inégale en Afrique du Sud. En 2014, le top 10% recevait 2/3 du revenu national et le top 1%, 20%. Mais de 1903 à 1994, date de la fin de l’apartheid, la part du top 1% dans le revenu national a suivi une pente de baisse presque constante, malgré quelques ressacs, de 22% à environ 10%, avant de remonter à 20% en 2014. La fin de l’apartheid aurait ainsi permis un enrichissement incontrôlé d’une nouvelle classe dominante de couleur. Le Rapport impute cette aggravation des inégalités depuis la fin de l’apartheid au programme Growth, Employment and Redistribution (GEAR) adopté en 1996 pour libéraliser le commerce et les capitaux, réduire le déficit budgétaire et l’inflation. Cette libéralisation, qui n’a été que partielle, n’a pas eu tous les effets escomptés, mais elle a néanmoins permis une certaine augmentation du revenu par habitant, passé de 5 635, 785 en 1996 à 7 298, 19 en dollars US constants 2010 (source Banque mondiale). En réalité, l’aggravation des inégalités depuis la fin de l’apartheid est due sans doute plutôt à la gangrène de la corruption, qui s’est généralisée au sommet de l’Etat et ailleurs, dont la timide libéralisation mise en œuvre n’a fait qu’atténuer les effets délétères. L’ancien président de Klerk, prix Nobel pour avoir aboli l’apartheid en Afrique du Sud, écrit vingt cinq ans plus tard avec regret que le but déclaré de l’ANC de promouvoir l’égalité n’a en fait bénéficié qu’à la partie des 15% les plus favorisés de la population noire, l’Afrique du Sud restant l’un des pays au monde les plus inégaux[[The Wall Street Journal, 21 août 2015]] avec le Moyen Orient sans doute. Le Moyen Orient L’analyse n’apparaît pas significative dans la région du Golfe sinon pour montrer que les pays et tribus qui se sont accaparé les rentes pétrolières ont en même temps accumulé une richesse particulièrement importante par rapport aux autres. Cette région, dit le Rapport, est la plus inégale du monde avec une part du revenu attribuée en 2016 aux top 1% et 10% de respectivement 25 et plus de 60% tandis que les 50% inférieurs sont en-dessous de 10%. Les pays du Golfe riches en pétrole captent 42% du revenu de la région alors que leur population n’en représente que 15%.
+4. Les inégalités n’expliquent pas tout+
En définitive, on peut se demander pourquoi les auteurs du Rapport ont choisi d’étudier tant de pays en voie de développement ou émergents. Certes, ils représentent une large partie de la population mondiale, mais leur profil institutionnel et socio-économique ne permet pas de généraliser des conclusions à partir du constat de leur situation. La Chine et la Russie ont été communistes pendant des décennies et gardent des pouvoirs autoritaires, voire tyranniques, qui entravent leur développement économique. Les réformes libérales qu’ils adoptent sont hérissées de pièges tendus à ceux qui ne respecteraient pas des règles que le pouvoir continue de fixer pour contrôler le comportement de tous. La bureaucratie et le parti continuent de régner et de monnayer les passe-droits et autres coups de tampon nécessaires aux activités de chacun. L’inégalité qui règne en Russie est celle de tous les empires construits par les oligarques qui se sont emparés des combinats industriels au lendemain de la chute du Mur en profitant de la crédulité et de la misère des masses pour leur racheter à vil prix les titres des sociétés dénationalisées. En Chine, c’est celle de toutes les grandes fortunes accumulées par un mélange sulfureux de politique et d’économie au pays de l’un des derniers partis communistes et du plus puissant d’entre eux. Près de 10% des membres de l’Assemblée nationale populaire et la Conférence consultative politique du peuple chinois (une sorte de chambre haute du parlement chinois) détiennent une fortune de 2 milliards de yuans ou plus, soit tout de même 276 millions d’euros, la moitié d’entre eux étant sans doute milliardaires en dollars. L’Afrique du Sud et l’Inde ont des destins croisés et en même temps parallèles. Celle-là a bénéficié d’une économie de marché solide dirigée par une minorité jusqu’en 1994, et certes l’écart était important entre les blancs et les noirs, mais le top 10% y était relativement homogène. Après la fin de l’apartheid, la prise de pouvoir par la majorité noire a conduit à l’établissement d’une nouvelle caste enrichie dans la collusion entre le pouvoir et les entreprises, au détriment bien sûr des plus pauvres dont le sort ne s’améliore, lentement, que depuis l’adoption et la mise en œuvre partielle de mesures de libéralisation. Mais cette amélioration est insuffisante. Alors que le top 10% a un niveau de vie comparable à celui des Européens, le niveau de vie des 90% inférieurs est égal à celui des 16% inférieurs en France en 2014.
4.1 Quand l’Etat de droit et la démocratie sont présents, les inégalités ne sont pas les mêmes C’est un peu la même chose dans l’Inde qui commence à sortir de la pauvreté depuis qu’elle a adopté des mesures de libéralisation, encore partielle, de l’industrie et du commerce et qu’elle commence à ouvrir son économie. Ce que montre l’évolution de ces pays est que, contrairement à ce que soutient implicitement le Rapport, les phases de règlementation excessives de l’économie sont défavorables aux plus modestes et les phases de retour à une certaine économie de marché, même partielle, leur sont favorables, même si les plus riches en profitent plus, voire beaucoup plus, que les plus modestes, notamment du fait de la corruption qui les gangrène, ce que malheureusement ne relève pas suffisamment le Rapport. Tout comme le Moyen Orient d’ailleurs qui du fait de la rente pétrolière n’est comparable en rien aux autres pays sinon par le très haut degré d’inégalité injustifiée et la prévarication qui y règnent ainsi que le montre la vaste opération engagée fin 2017 à l’encontre de plus de 200 princes, anciens ministres et entrepreneurs en Arabie Saoudite par le Prince héritier Mohammed ben Salmane qui espère récupérer plus de 100 Md de dollars d’amendes en réparation des fraudes commises. En définitive, le Rapport veut montrer que les inégalités se creusent et attentent à la croissance et au bien commun. C’est un propos qui est tout à fait dans l’air du temps ainsi que le répète la doxa dont l’OCDE reprend l’antienne en soutenant que « L’écart continue de se creuser entre riches et pauvres. Depuis la crise, les disparités se sont aggravées, et dans de nombreux pays de l’OCDE, les inégalités atteignent désormais leur plus haut niveau depuis que des données sont recueillies. Ce creusement de long terme des inégalités de revenu suscite non seulement des inquiétudes de nature sociale et politique, mais il engendre également des préoccupations d’ordre économique : les inégalités de revenu ont tendance à peser sur la croissance du PIB, sous l’effet de la distance toujours plus grande entre les 40 % les moins riches et le reste de la société »[[OCDE, Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, novembre 2015]]. Ces observations ne doivent pas être rejetées en bloc, mais la réalité sociale paraît bien plus complexe. Il est possible et même vraisemblable que trop d’inégalité puisse entraver la montée sociale des catégories inférieures trop distancées pour savoir facilement grimper l’escalier social qui est toujours trop dur pour être un simple ascenseur comme on le dit trop souvent. Mais c’est plus vrai dans les pays qui ne pratiquent pas l’état de droit, comme la plupart des pays corrompus susvisés, que dans ceux qui sont attentifs à son respect au travers de procédures et d’institutions constituées à cet effet. C’est plus vrai dans les pays prisonniers de castes ou d’un parti unique, de droit ou de fait, que dans ceux qui pratiquent une démocratie représentative, toute imparfaite qu’elle puisse être. Parmi les pays développés, les pays d’Europe du Nord sont considérés comme les plus socialisés et les plus égalitaires. En réalité, leur social-démocratie est fortement teintée d’un libéralisme sociétal et économique accru qui donne, aux Pays Bas et en Suède par exemple, la liberté de choix scolaire aux parents ou qui, dans certains d’entre eux, favorise l’autonomie des caisses d’assurances sociales, qui a institué la flexisécurité du travail, qui a permis des réductions sensibles des dépenses publiques en Suède et ailleurs… C’est le respect des droits de chacun, la croissance économique et le développement qui permettent de donner à tous un standard de vie acceptable. Les pays riches ont mieux éradiqué la misère que les autres et sont généralement plus égalitaires parce qu’ils ont les moyens de redistribuer. Il faut d’abord posséder pour donner. Certes, il ressort en effet que depuis les années 1980, en même temps que la richesse des pays riches continuait de s’accroître, un double bouleversement économique a entrainé une modification sensible des situations en matière de revenu et de patrimoine dans le monde. D’une part, la révolution numérique, en attendant sans doute demain celle de l’intelligence artificielle, a transformé complètement de nombreux modes de production et de distribution des biens et services en permettant à ceux qui les ont conçus et mis en œuvre de manière appropriée de disposer d’avantages concurrentiels très forts sur le marché et, par voie de conséquence, de revenus parfois considérables pour eux et leurs équipes. D’autre part, cette révolution numérique a elle-même favorisé la mondialisation en même temps qu’elle en a profité. L’ouverture des échanges commerciaux, la réduction des tarifs douaniers, la réduction de certaines entraves réglementaires au trafic transfrontalier, le travail par internet… ont favorisé la délocalisation de nombreuses productions et, par là même, le développement de pays sous ou peu développés ; mais ont entraîné en même temps une certaine stagnation, dans les pays développés, des revenus des populations en concurrence avec celles des pays dans lesquels pouvaient être transférés la production des biens, et parfois des services, qu’elles assuraient. C’est ce qui explique très probablement la progression lente et relativement modeste des revenus des salariés peu qualifiés aux Etats Unis aussi bien que le niveau élevé de chômage en France, les pays développés soumis à cette concurrence internationale ayant dû, selon les cas, s’adapter au nouveau marché international des prix de salaire (Etats-Unis) ou subir la hausse du niveau de sous-emploi lorsqu’ils continuaient d’augmenter les salaires indépendamment de ce nouveau marché mondial (France).
4.2 Moins d’inégalités au Royaume-Uni durant les années David Cameron Mais il est incontestable que la liberté mondiale de l’industrie et des échanges a favorisé la croissance du monde, y compris dans les pays encore phagocytés par des pouvoirs hégémoniques. Depuis cette ouverture du commerce et des communications, la misère recule partout, ou presque, dans le monde. De 1981 à 2012, le taux de pauvreté mesuré en dessous de 1,90 US$ (en parité de pouvoir d’achat 2011) par jour est passé de 80% à 8% en Asie du sud, de 57 à 18% en Amérique latine et Caraïbes, de 23 à 5% en Europe de l’Est et Asie centrale. Il n’est resté élevé qu’en Afrique subsaharienne où il ne s’est réduit sur la période que de plus de 50% à plus de 40%, sans doute eu égard au poids de minorités prévariquées. En 2015, à la fin du cycle de ses Objectif de développement du Millénaire, la FAO dénombrait 793 millions d’êtres humains souffrant de sous-nutrition. Cela représentait une baisse de 167 millions en une décennie, et de 216 millions en près de 25 ans, soit en une génération. A ceci près que ce sont là des chiffres absolus : il faut donc replacer ce « progrès » dans le contexte relatif d’une croissance démographique mondiale de près de 2 milliards d’être humains sur la génération… En outre, et si l’on se cantonne aux pays en développement, la part de la population en état de sous-nutrition est passée de 23,3 % en 1990-92 à 12,9 % en 2015. Selon la Banque mondiale, désormais 800 millions de personnes disposent de moins de 1,90 dollar par jour pour vivre, contre 1,95 milliard en 1990 alors même que la population mondiale a augmenté de 50% sur la période. Dans 60 des 83 pays couverts par la Banque mondiale pour suivre l’évolution de la prospérité partagée, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres de la population a augmenté entre 2008 et 2013, malgré la crise financière. Un résultat significatif puisque ces pays représentent 67 % de la population mondiale. « Contrairement à une idée répandue, les inégalités dans le monde sont en recul constant depuis 1990 et, bien souvent, les inégalités au sein de la population d’un même pays refluent depuis 2008 », écrivent les auteurs du Rapport[[Poverty and Shared Prosperity 2016 : Taking on Inequality]]. Ils observent également que les pays où les inégalités ont baissé le plus entre 2008 et 2013 sont souvent ceux qui ont le plus libéralisé leur économie dans cette période, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ainsi, au Royaume Uni, l’un des pays développés où les inégalités sont fortes, les inégalités ont eu tendance à reculer entre 2007 et 2016. Selon l’Institute for Fiscal Studies[[Living standards, poverty and inequality in the UK: 2017]], sur la période, et notamment durant celle du gouvernement libéral de M. Cameron, les revenus médians ont augmenté de 3,7%. Ceux du décile inférieur ont crû de 7,7% tandis que ceux du décile supérieur ont reculé de 0,6%, l’écart se resserrant tandis que dans le même temps il s’accroissait dans la France socialisée à l’extrême.
Conclusion : moins de pauvreté signifie aussi moins d’inégalités
Angus Deaton, prix Nobel d’économie en 2015, souligne qu’entre 1820 et 1992, le revenu moyen des habitants du monde a augmenté de 7 à 8 fois et que dans le même temps la fraction de la population extrêmement pauvre est passée de 84 à 24%. Il insiste aussi sur le fait que les pays en mal de développement sont ceux qui souffrent de mauvaise gouvernance. D’ailleurs, si la pauvreté n’est pas une donnée inéluctable, en sortir n’est pas un acquis définitif. La Côte d’Ivoire, qui ne connaissait plus que 10% d’extrême pauvreté en 1985, se situe aujourd’hui à un taux de plus de 35%[[The Last Mile in Ending Extreme Poverty, Laurence Chandy, Hiroshi Kato, Homi Kharas, Brookings, 2015]]. L’inégalité est fonction de nombreux facteurs. Elle peut être nuisible à la croissance comme elle peut lui être nécessaire. Matthew Schoenfeld[[The Mythical Link Between Income Inequality and Slow Growth, 2014]] remarque que les cinq pays les plus inégaux de l’OCDE (Etats-Unis, Turquie, Mexique et Chili) ont connu une croissance près de cinq fois plus élevée (3,9%) sur la période 2011/2013 que les autres pays de l’OCDE (0,84% en moyenne) qui s’étaient préalablement endettés beaucoup plus qu’eux pour favoriser une politique massive de redistribution. Il souligne encore que le Chili ; qui a eu le plus fort taux de croissance (4%) sur la période 2000/2010 ; est aussi le pays le plus inégal de l’OCDE et le second, après le Mexique, parmi ceux qui ont le moins de transferts sociaux et de dépenses publiques. Au Chili pourtant, le taux de pauvreté a baissé de 6% de 2007 à 2011, soit la baisse la plus forte enregistrée au sein de l’OCDE sur la période ! Il faut se méfier des théories unidimensionnelles, surtout quand elles ont une vocation idéologique implicite ou explicite. L’économie n’est pas réductible aux mathématiques, elle est d’abord l’observation des comportements qui restent le fruit de la liberté des hommes. Jean-Philippe Delsol Avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF.
2 commentaires
Piketty!!!!!
Comment peut-on encore accorder de l'intérêt à ce que dit cette personne qui se dit économiste?
Il est prouvé que ses statistiques et ses théories sont biaisées dans la plus pure tradition de la désinformation chère à l'ex URSS.
Complètement d'accord; ce Piketty est un parfait crétin que les "journaleux" et économistes devraient oublier..!