Le Naudet nouveau est arrivé. En 2022, toujours aux P.U.A.M, le professeur honoraire d’Aix- Marseille Université nous proposait Une brève histoire des économistes aixois ( à l’Université et à l’Académie d’Aix) . En mars 2024 il nous livre Une histoire des économistes d’Aix- Marseille. Édition revue et augmentée. Rarement qualificatif ne fut aussi justifié. 200 pages contre 110,  465 notes de bas de pages contre 32. Un Index Nominum de 500 noms, une iconographie fournie et judicieusement choisie permettant l’incarnation de professeurs et de savants . Voilà pour la forme.
S’agissant du fond certes les passages du livre antérieur sont repris, mais la valeur ajoutée est conséquente et robuste. C’est qu’à côté d’Aix a existé également à Marseille une faculté libre de droit qui avait ses propres professeurs d’économie. De même si l’Académie de Marseille ne comptait pas d’économistes universitaires, nombre de ses membres multipliaient les interventions sur les questions économiques. Avant cet ouvrage qui peut de façon crédible dire qu’il connaissait  Demolins ou Clapier, Moreau ou Salvador ( p.48 sq.) ? Quant au doyen Louis Cabantous, non content d’être un universitaire de premier rang, Naudet a découvert que bien avant le doyen Jourdan, il donnait des cours d’économie politique à Aix comme à Marseille, presque clandestinement puisque la matière était censée ne pas être enseignée,  parce que « subversive » (  p.59 sq. ). Le cours obligatoire d’économie en licence de droit n’est introduit qu’en 1877 . Alors le doyen Jourdan, agrégé de droit romain, l’ assure et occupe la première chaire d’économie créée en 1883. La découverte des professeurs d’économie de la faculté libre de droit de Marseille provoque l’excitation propre à la révélation intellectuelle (p. 112 sq.) . Relativement aux économistes universitaires aixois de l’après-guerre la partie est presque entièrement nouvelle, forte de 49 rubriques d’une extraordinaire précision et d’un très vif intérêt ( p. 135 sq.) . [ Même l’émotion n’en est pas absente pour  l’auteur de cette recension qui  y retrouve son premier patron le professeur Jacques Garello toujours aussi prodigieusement actif, et son directeur de thèse le doyen Jean – Pierre Centi ). Cette plongée dans l’histoire des économistes universitaires aixois et marseillais et des académiciens économistes aixois et marseillais (quelquefois les mêmes, mais pas toujours) est simultanément édifiante et déprimante. Édifiante car l’hommage rendu aux prédécesseurs est une magnifique leçon d’humilité sur le thème récurrent des anciens et des modernes. Déprimante parce qu’à cause de l’auteur nous prenons conscience de nos manques abyssaux,  y inclus dans les domaines que l’on croyait un peu connaître . Le Naudet c’est le record d’informations par ligne. L’auteur mêle histoire et analyse économique, droit et science, connaissance aigüe de l’université et des académies. Il connaît tout sur tous. Il démontre dans cet ouvrage que les universitaires scrupuleux,  en même temps que savants,  existent encore dans l’Alma Mater.
Le plan est simple, mais d’une symétrie de bon aloi. Les précurseurs en première partie, les successeurs dans la suivante. Dans chaque partie trois chapitres se relaient. À l’académie d’Aix, À Marseille, À l’université. Découpage simple, mais d’une efficacité certaine. Le style est limpide, mais d’une grande précision.
Les médiocres et les grincheux penseront que c’est un petit livre par sa taille, et une suite de noms, dates et détails. Ce ne serait pas de l’analyse économique, mais des anecdotes légères. Nous les laissons à leurs jargons ampoulés, et leurs cascades de formalisation cachant habilement l’extrême attrition et pauvreté des  résultats.
Qui peut en effet inférer, avec quelque raison,  qu’il a créé un nouveau territoire ? Or avec cette monographie autant savante que complète,  Jean – Yves Naudet inaugure un sentier fécond, celui de la connaissance université par université, province par province, académie par académie de la façon dont l’économie politique a fécondé les débats, façonné les opinions, alimenté les savantes controverses, participé à l’enrichissement de la connaissance de l’ordre social.
Ce n’est pas un petit livre, mais à l’inverse un grand livre, un livre pionnier.
Bien sûr ici on peut discuter de l’emploi d’un mot, là regretter que la bibliographie finale ne concerne que Claudio Jannet (mais en réalité la bibliographie est dans les notes de bas de page ), là encore débattre de la réelle fécondité de la conclusion sur les bâtiments universitaires. C’est peu de choses.
Une suggestion qui peut aider le lecteur non économiste universitaire. Il serait certainement utile qu’à quelques endroits du propos, et ce afin d’apprécier correctement la pensée de nos « héros » tant aixois que marseillais, universitaires qu’académiciens, Jean – Yves Naudet rédige quelques encadrés dans lesquels il expliquerait, en quelques lignes,  le panorama des idées économiques de l’époque. Cela lui sera d’autant plus aisé que pendant plusieurs décennies il pratiquait la chose en première année pour les étudiants en droit d’Aix.
Que vous cherchiez des idées de cadeaux, que vous souhaitiez devenir plus cultivés, que vous ayez des enfants en études supérieures, que vous aimiez l’économie, l’histoire, le droit ou que simplement vous ayez envie de lire un livre savant, stimulant, simple, tonique ou que vous vous sentiez un honnête homme du XXI siècle, lisez l’ouvrage de Jean – Yves Naudet Une histoire  des économistes d’Aix– Marseille. P.U.A.M. 2024. 24 euros (pour le commander chez votre libraire : Diffuseur AFPUD, distributeur Dilisco). Ce ne sera pas une dépense, mais un investissement.