Entretien avec Alexander Fink, professeur à l’Université de Leipzig et responsable de l’IREF Allemagne.
Elue pour un quatrième mandat consécutif (la première fois en 2005), Mme Merkel bat des records de longévité politique et montre qu’on peut très bien garder le pouvoir en misant sur une économie qui marche. Elle n’a fait aucune faute stratégique et a même préféré adopter de nombreuses mesures prônées par ses adversaires politiques – comme ce fut le cas pendant la crise financière – afin de les affaiblir. La politique migratoire en constitue un bon exemple. Elle a démuni la gauche d’une partie de son programme et de son électorat… Pour Alexander Fink, “Mme Merkel n’a pas réalisé des réformes importantes” ; au contraire, durant la grande coalition avec le SPD depuis 2013, elle a même corrigé certaines mesures prises par Schröder.
La possibilité de prendre sa retraite à 63 ans après 45 années de cotisations, adoptée en 2014, a profité surtout aux travailleurs les plus qualifiés qui bénéficient d’une pension décente. Le salaire minimum, en 2015, a représenté une mesure “de gauche” qui a rendu le marché du travail moins flexible et provoqué des tensions sur le plan de l’emploi.
« Les politiques interventionnistes européennes ne marchent pas »
Des politiques budgétaires et fiscales variées ont été adoptées durant ses mandats. Les revenus fiscaux ont souvent servi à renflouer les banques. Les Etats européens endettés ont été aidés grâce aux prêts importants financés surtout par l’Allemagne… La BCE a pris des mesures qui ne peuvent guère être qualifiées de politique monétaire saine ou de véritable politique budgétaire, par exemple le Securities Markets Program qui a été utilisé de 2010 à 2012 pour acheter uniquement des obligations en provenance d’Irlande, de Grèce, du Portugal, d’Espagne et d’Italie. De plus, les banques ont bénéficié des différents programmes d’achat d’actifs mis en place par la BCE. Le mécanisme européen de stabilité a institué des mesures de sauvetage pour les gouvernements dans la zone euro. Plutôt que de réduire les risques de la zone euro, ces décisions et mesures politiques ont renforcé les problèmes de risque moral pour les banques et leurs créanciers ainsi que pour les gouvernements qui ont peu de pression pour mettre en œuvre des réformes économiques pénibles à court terme et ne font que payer (rembourser) à long terme. Ou ne pas payer du tout…
« La France devrait s’inspirer de la flexibilité du marché du travail allemand »
En ce qui concerne les différences avec la France, ne pas oublier que l’Allemagne est un Etat fédéral. La France est très centralisée alors qu’en Allemagne, les länder ont beaucoup de pouvoirs et certains sont très riches. La capitale, Berlin, a le PIB par habitant moins élevé que certaines autres grandes villes allemandes. Les gens ne doivent pas aller dans la capitale pour trouver de bons emplois bien payés comme c’est le cas en France. De grandes différences existent sur le marché de l’emploi. En France, les employeurs savent qu’ils auront du mal à licencier, ça coûte cher et c’est souvent un risque. Ce n’est pas un hasard si le taux de chômage des jeunes est à 7 % en Allemagne contre 24 % en France. C’est à ce genre de situation que devrait remédier la réforme du travail de M. Macron. Mais comme il se heurte à une résistance interne de la part des syndicats, Macron fait pression pour réformer l’Europe (comme en ce qui concerne les travailleurs détachés ou la politique fiscale commune), ce qui pourrait peut être profiter à la France mais pas à l’Allemagne…
Une fois au pouvoir, Mme Merkel devrait mettre en place une série de réformes plus libérales. Surtout si elle fait alliance avec le FDP, le parti libéral qui a obtenu plus de 10 % des voix. Elle devrait baisser les impôts, réformer encore plus le système de retraite en le libéralisant tout en gardant un filet de protection. Mme Merkel devrait supprimer le salaire minimum, permettre à Uber et Aibnb de pouvoir investir afin de créer des emplois. Mais le fera-t-elle ? Sa majorité risque d’être fragile.
Au niveau européen, il faudrait que l’Allemagne s’oppose aux tentatives de centralisation et d’harmonisation en renforçant le marché commun et la libre circulation des travailleurs. L’Europe n’a pas besoin de politiques fiscales communes. La BCE devrait limiter son interventionnisme et laisser faire le marché. Toute harmonisation serait contraire aux objectifs naturels de l’Europe.