Au commencement était l’échange
Fiat commutatio ! Comprendre la pensée de Serge Schweitzer nécessite d’intégrer ce préalable indispensable : au commencement était l’échange. Gardons-le à l’esprit pour la présentation qui va suivre car cela constitue le fil rouge de la trilogie qui s’annonce. Dans le tome 2, ici présenté (Le libéralisme : Fragments d’une reconsidération, Presses Universitaire d’Aix-Marseille, 2024, 137 pages), l’auteur poursuit son ambition première : celle de renouveler, de façon positive et constructive, le regard porté sur le libéralisme. Son entreprise a pour ambition une approche rénovée dans un contexte, il est vrai, ou l’économie politique, mâtinée de philosophie et d’histoire, n’a plus le même attrait pour la jeune génération. Ou du moins, les racines oubliées, il est difficile pour celle-ci de se repérer dans le vaste marché des idées dont la confusion est savamment entretenue par des médias qui favorisent l’émotion et l’instantanéité des opinions toutes faites (cf. le prêt-à -penser). Dans ce contexte, l’ouvrage proposé a ceci de précieux : il revient sur des fondamentaux et invite à penser différemment.
Mieux comprendre le libéralisme
Ce deuxième volume prolonge le constat qui avait été fait dans l’ouvrage précédent, paru un an plus tôt (on saluera au passage la productivité de l’auteur). Le libéralisme est une doctrine incomprise, caricaturée voire dévoyée (Tome 1, Le libéralisme : autopsie d’une incompréhension, PUAM, 2023). Il ne s’agit pas de revenir sur l’analyse initiale (v. F. Facchini, JDL, juill. 2023). Mais il est vrai que le suffixe en -isme facilite les propos des détracteurs et permet des raccourcis de comptoir. Favorisant la domination capitaliste, le libéralisme serait l’expression d’un « type » de fascisme idolâtrant l’argent et la cupidité matérielle. Une certaine culture populaire, sensible aux lectures romantiques des révolutions et aux diatribes populistes, est imbibée de ce genre de préjugés. Ceci génère nombre de confusions, sur lesquelles glissent les hommes d’État soucieux de faire des promesses inflationnistes pour maximiser leurs chances de réélection. Il serait intéressant de faire un sondage sur la question de savoir si, sur le plan des idées politiques, le libéral est un progressiste. La réponse ne sera pas la même de ce côté-ci de l’Europe (et spécialement en France) que celle émise Outre-Manche et Outre-Atlantique. Certains tribuns, qui réclament toujours plus d’intervention de l’État en se drapant d’un progressisme univoque, sont en réalité bien plus réactionnaires ou conservateurs qu’ils ne l’avouent à leur électorat. Pour Serge Schweitzer, le libéral est bien un progressiste, précisément parce que les stimulations de la liberté d’entreprendre et les vertus égalisatrices de la concurrence permettent de lutter contre les situations acquises. Cela favorise l’innovation et les avancées technologiques (p. 12), y compris de façon empirique. Le libéralisme constituerait ainsi le terreau du progrès économique et social.
Entre leçon pédagogique et essai percutant
S’agissant de la forme, l’ouvrage proposé est à mi-chemin entre la leçon et l’essai. Le format est bref (137 pages) et le coût modique, ce qui le rend attractif pour le plus grand nombre. Le style percutant est servi par une pensée claire, elle-même portée par la grande culture que l’on connaît de l’auteur. Ce dernier ne vous demandera jamais d’être d’accord avec tout ce qu’il écrit. Cela se conçoit, puisque c’est un libéral, donc un amoureux de la liberté première : celle de penser et de s’exprimer. Certes, il y a ici et là quelques saillies provocatrices, parfois caricaturales, mais distillées dans le but d’inviter à penser autrement. L’objectif est bien de faire réfléchir, de pousser l’analyse et si possible de convaincre de la chose suivante : le libéralisme est un héritage précieux des Lumières. Il est à la fois une philosophie de la liberté, ce qui fait sa force, et propose une matrice à mettre au profit de l’efficacité économique, ce qui fait son utilité pour l’ensemble de la société. Cette efficacité vitale produit un double effet : elle contribue à la pacification des rapports sociaux et à l’accomplissement de soi.