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À quelles conditions l’Europe peut-elle rester compétitive ?

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L’ancien président de la BCE, Mario Draghi, a publié un rapport de 400 pages qui préconise des réformes pour stimuler la compétitivité de l’UE. Malgré un ton dans l’ensemble positif, l’analyse de la situation économique actuelle de l’Union européenne n’est guère optimiste.

Au cours de son existence, l’Europe est devenue « moins égale, moins prospère et moins sûre ». Elle a maintenant le choix entre trois voies : « la rupture, la paralysie ou l’intégration » (1). M.  Draghi constate que « La rupture a été tentée et n’a pas donné les résultats escomptés par ses partisans. La paralysie devient intenable, elle ne mène qu’à une anxiété accrue et à l’insécurité. L’intégration est donc notre seul espoir ». Le rapport ambitionne de définir une nouvelle stratégie globale pour l’Europe, en recommandant de nouvelles politiques dans des domaines clés, et surtout cinq.

Cinq secteurs cruciaux pour l’Europe

Tout d’abord, l’innovation, en ayant bien conscience que l’Europe a pris beaucoup de retard par rapport aux Etats-Unis et à la Chine (2) : « Il n’y a aucune entreprise de l’UE avec une capitalisation boursière de plus de 100 milliards d’euros qui a été créée à partir de rien au cours des cinquante dernières années, alors que c’est le cas pour six entreprises américaines dont la valorisation dépasse 1 000 milliards d’euros. »

M. Draghi attribue ce retard aux dépenses irrégulières des États membres en matière de recherche et de développement, et appelle à une centralisation du financement et de la supervision des efforts déployés dans ce domaine.

Deuxièmement, l’Europe a besoin d’un plan de « décarbonisation et de compétitivité », qui s’appuie sur les objectifs climatiques ambitieux ; cette décarbonisation devrait l’aider à devenir le leader mondial dans la baisse des prix de l’énergie et à améliorer la compétitivité.

Troisièmement, l’Europe doit renforcer sa sécurité et réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Faisant écho à l’ancien président des États-Unis Donald Trump, M. Draghi recommande de consacrer 2 % de son PIB à la sécurité et à la défense, mais avec une gestion centralisée. La Chine est mentionnée à de multiples reprises et il lance cet avertissement : mieux la traiter la Chine comme un concurrent plutôt que comme un partenaire.

Quatrièmement, l’Europe n’a pas de stratégie industrielle ; une fois de plus, elle est là aussi en retard sur les États-Unis et la Chine et comme la technologie progresse rapidement dans le monde entier, l’Europe a besoin d’une nouvelle stratégie industrielle qui prenne en compte le progrès technologique et l’intelligence artificielle.

Cinquièmement, le financement des réformes préconisées est d’une importance cruciale. Le rapport appelle à des investissements massifs, gérés là aussi de manière centralisée. Il est question de 800 milliards d’euros supplémentaires par an, financés par une dette commune plus élevée. Mais il ne s’agit là que de la contribution publique ; historiquement, remarque M. Draghi, les grands projets de l’UE ont été financés à 80/20 par le secteur privé et le secteur public. Des étapes importantes sont nécessaires pour achever l’Union des marchés de capitaux et le marché unique afin d’attirer l’investissement privé, de sorte qu’il puisse être réorienté vers les secteurs de la haute technologie et que la stratégie industrielle puisse évoluer.

Les problèmes que pourraient poser ces recommandations

I) L’hypothèse est contestable, selon laquelle la décarbonisation, avec l’objectif zéro net d’ici 2050 inscrit dans la législation européenne, est une opportunité économique qui conduira à une baisse des prix de l’énergie et à de la croissance économique. Si les énergies renouvelables réduisaient les prix de l’énergie, il n’y aurait plus besoin de subventions publiques.

II) M. Draghi propose de centraliser les dépenses pour l’innovation alors qu’elles ont été gérées par les États membres jusqu’à maintenant. Il propose également de créer un nouveau statut d’« entreprise européenne innovante », mais on peut craindre que les gouvernements ne sélectionnent les gagnants de manière arbitraire.

III) L’appel à une plus grande intégration, autrement dit à une délégation accrue de l’autorité des États membres aux institutions de l’UE, survient à un moment où, dans la pratique, ils font plutôt l’inverse. Par exemple, en défiant les règles de l’UE, l’Italie et l’Allemagne ont récemment renforcé leurs frontières nationales pour freiner l’immigration illégale (3).

IV) L’achèvement de l’union des marchés de capitaux s’annonce mal. Nous avons constaté en janvier 2022 (4) qu’aucune des infrastructures nécessaires à l’union des marchés de capitaux n’avait été mise en place, malgré la politique post-Brexit qui prévoit la mise en concurrence de l’UE avec Londres sur ces marchés. Cela s’explique par le fait qu’Amsterdam, Paris et l’Allemagne, en particulier, étaient réticents à se céder mutuellement du terrain. Depuis 2022, peu de choses ont changé.

Beaucoup de scepticisme en réaction au rapport Draghi 

Le Britannique Lord David Frost (qui était assis face à Michel Barnier lors des négociations sur le Brexit) n’a pas manqué de souligner le décalage historique entre les déclarations de stratégie politique de l’UE et les résultats économiques. (5)

  • En 1993, alors que le traité de Maastricht entrait en vigueur et cimentait la création de l’Union européenne, dotée de sa propre monnaie et de sa propre banque centrale, l’ancien président Delors a présenté la stratégie de l’UE en matière de croissance économique.
  • En 2000, la stratégie de Lisbonne devait « faire de l’UE l’économie la plus compétitive du monde ».
  • L’année 2010 a vu le lancement d’Europe 2020, une stratégie pour une « croissance intelligente, durable et inclusive ».
  • En 2020, la nouvelle donne verte a été annoncée comme « une stratégie moderne, globale et efficace sur le plan des ressources ».

Lord Frost parlait au nom de la droite, mais la gauche était tout aussi sceptique. Les membres de Social Europe, un groupe de réflexion fortement influencé par le prix Nobel d’économie Paul Krugman, ont estimé que M. Draghi avait commis une erreur en plaçant la « compétitivité » au centre de l’agenda. En effet, font-ils remarquer en citant  Krugman, il est illusoire de croire que les pays peuvent être compétitifs comme le sont les entreprises (6).

Les chiffres ont-ils de l’importance ?

La principale différence entre les politiques de la BCE sous les directions de M. Draghi jusqu’en 2019 puis de Mme Lagarde, porte peut-être sur la conception qu’ils ont l’un et l’autre de la question des dépenses. M. Draghi a appelé à plusieurs reprises les États membres à les réduire afin de respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance de 2012, qui limitent les déficits annuels à 3 % du PIB et l’endettement cumulé à 60 % du PIB. Sous la présidence de Mme Lagarde, le discours qui se rapproche le plus de ces exhortations concerne les déficits « excessifs », mais jamais l’endettement total.

Que les objectifs de 3 % et de 60 % soient irréalistes, M. Draghi le reconnaît tacitement dans son rapport. Il préconise des dépenses pour l’innovation à hauteur de 3 % du PIB et 2 % pour la sécurité. Son rapport fait très peu référence à la dette et parle surtout d’« investissement », ce qui n’est pas nouveau. La nouveauté consiste à ignorer totalement les niveaux actuels d’exposition à la dette de l’Union, qui était en crise il y a seulement dix ans : six États membres ont accepté des programmes de sauvetage alors qu’ils n’étaient pas en mesure de refinancer leurs dettes. Nous avions déjà souligné l’importance des chiffres en juillet dernier, notamment en ce qui concerne la France (7), mais le rapport publié en septembre par M. Draghi confirme que les décideurs politiques n’ont pas l’air de s’en préoccuper.

Lire l’article en anglais

(1) Discours au Parlement européen le 17/09/2024, page 9: fcbc7ada-213b-4679-83f7-69a4c2127a25_en (europa.eu)

(2) Ibid, page 3

(3) Germany brings in its plan to end free-for-all illegal migration that has seen a wave of Islamist attacks with crackdown on all its borders which has sparked fury among its EU neighbours | Daily Mail Online

(4) IREF Newsletter January 2022: The Passing of Jacques Delors, Architect of the Euro. How will his Legacy Play Out?

(5) https://www.telegraph.co.uk/news/2024/09/12/the-asteroid-may-finally-be-approaching-the-eu/

(6) Draghi on ‘competitiveness’: new wine in an old bottle (socialeurope.eu)

(7) IREF Newsletter July: Financial Market Developments in light of the recent electoral events. Is any part of Europe facing a financial crisis?

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4 commentaires

Laurent 23 octobre 2024 - 10:10 am

Seule issue virer 75 % de Politiques et de Fonctionnaires et remettre tous ces glandeurs au boulot.

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François Martin 23 octobre 2024 - 11:01 am

Mario Draghi un étatiste de plus.

Aucun Etat n’a jamais rien inventé. Cela est tout à fait normal, l’innovation relevant de l’appareil de production, c’est à dire du secteur privé.

Il n’y a qu’un secret pour favoriser l’innovation des entreprises : leur lâcher les baskets.

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palef 23 octobre 2024 - 5:08 pm

« l’Europe a besoin d’un plan de « décarbonisation et de compétitivité »…
On parle bien sûr de décarbonation, l’arme absolue du suicide européen en cours, avec ses gaspillages démentiels d’€/$, pour rien, même pas pour du vent…

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TRASYMSARL 24 octobre 2024 - 7:58 pm

Effectivement, l’Europe ( et le monde ) n’ont pas besoin de cette foutaise magistrale qui prétend supprimer les émissions de CO2 liées à l’activité de la vie sur cette planète puisque cela n’aura aucun effet sur l’évolution du climat. Quand j’entends parler de « dérèglement climatique » j’aimerais pouvoir demander au journaleux de service où se trouve le thermostat qui serait potentiellement déréglé ( et par rapport à quoi?). Ne pourrait-on pas exiger des médias qu’ils connaissent exactement le sens des mots qu’ils emploient et les ansctionner en cas d’imprécisions récurrentes dans leurs propos? ( Et aussi leur interdire d’utiliser le conditionnel pour débiter des sornettes sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas?

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