Les ouvrages sur la pensée de Benjamin Constant sont suffisamment peu courants en langue française pour se réjouir de la publication du livre tiré de la thèse d’études politiques soutenue à l’EHESS en 2021 par Felipe Freller, un chercheur brésilien. Comme l’indique son sous-titre, l’œuvre concerne la question de l’arbitraire, mais comme l’indique son titre, une seconde notion est nodale : la décision.
Nous délaisserons la forme pour le fond car l’ouvrage est assez médiocrement écrit, le style souvent lourd et quelques passages sont même fautifs ou peu compréhensibles (notamment pp. 83, 95 & 97). L’ensemble apparaît très répétitif, ce qui surprend pour un livre qui n’est pas si long, et l’argumentation tourne souvent en rond. Mais le fond est autrement séduisant. Il est aussi exigeant intellectuellement, particulièrement dans ses premières dizaines de pages.
Un lieu commun énonce que Benjamin Constant, peu… constant dans sa vie politique, l’a été dans ses principes. Et parmi ces derniers se trouve le rejet de l’arbitraire, au profit justement des principes. La thèse de Felipe Freller invite à reconsidérer cette opinion et à s’en défaire assez largement au fil de quatre parties chronologiques ponctuées d’œuvres de Constant sur une période en fait limitée à vingt années, de 1795 à 1815.
Résumons l’auteur pour présenter la substantifique moelle de Quand il faut décider. L’arbitraire apparaît comme un problème politique « auquel Constant a essayé de faire face tout au long de sa vie » (p. 18). Si nous pouvons nous exprimer ainsi, das Constant Problem, c’est le problème de l’arbitraire, un problème qu’il résout par un décisionnisme modéré. Le chercheur brésilien donne deux définitions très proches du problème de l’arbitraire chez Constant à une vingtaine de pages de distance. Selon la première, certaines situations sont « impossibles à résoudre par le seul appel aux lois, de sorte que celles-là nécessitent la décision discrétionnaire d’une autorité extralégale » (p. 35). Selon la seconde, le problème de l’arbitraire est celui des « décisions politiques qui ne se justifient pas par les lois ou par les principes fixes » (p. 53). Il existe une tension entre l’empire des principes auxquels il est si attaché et la nécessité de la décision.
Bien entendu, parler de décision fait aussitôt penser à Carl Schmitt, le grand théoricien du nazisme. Rappelons que ce dernier définit le Droit non pas en fonction de la norme, à l’encontre de son homologue socialiste Hans Kelsen, mais en fonction de la décision. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Schmitt, critique radical du libéralisme et à vrai dire assez ignorant de ses fondements, s’est attaché en revanche à lire de manière approfondie Constant. Mais le décisionnisme de ce dernier est, comme on peut s’en douter, fort différent de celui du juriste allemand : un décisionnisme « qui ne présente pas les mêmes risques de dérive tyrannique » (p. 32).