S’il y a un livre à lire, c’est bien celui-ci. La romancière russe Gouzel Iakhina ne pouvait pas rester insensible à cette année 1920 où Kazan, sa ville natale, voyait mourir dans son palais plus de cinq cents enfants au ventre gonflé par la famine, mutilés, voire grabataires. « On peut tous les sauver » affirme dès le début Deïev , le soldat rouge qui restera, sans jamais faillir, chef du convoi organisé par le jeune état soviétique, en direction de Samarcande, là où la terre est riche et fertile. Mais pour y parvenir , il y a l’enfer à traverser, des steppes de sable à n’en plus finir, la famine, la soif, le choléra, et la mort pour certains. Alors Deïev se débat , quémande, supplie, prend des initiatives qui risquent de lui coûter la prison. Les miracles existent pour les hommes de bonne volonté : dès le départ des soldats compatissent et prêtent leurs bottes aux petits va-nu-pieds pour se rendre à la gare ,  puis le long du voyage tchékistes et koulaks, Cosaques orthodoxes ou Basmatchi mahométans, tous finissent pas venir en aide à cette « guirlande » déambulante.
L’auteure ne perd ni son lyrisme ni son humour, ni son réalisme ni sa foi en l’avenir . A travers les vitres sales de sable séché, les jeunes voyageurs  entrevoient des êtres errants sans plus rien d’humain et chantent alors leur joie d’être à l’abri. Transformés en « coureurs » à travers champs,  ils font fuir, avec leurs beuglements d’animaux et leur choléra contagieux, les contrôleurs à baïonnettes en chasse aux  petits clandestins . Ainsi, tout le long du livre, s’alternent images bouleversantes et anecdotes burlesques. Et si c’était les enfants qui finissaient par sauver Deïev d’un passé de criminel de guerre? Et si c’était les enfants qui étaient le salut du monde en suscitant la solidarité humaine ? Telle est l’impression laissée par cette belle épopée à l’heure où l’on désespère et légitime l’avortement…