L’hommage rendu à jacques Delors a été quasi unanime. Cet hommage est justifié s’il s’agit de l’homme et de ses opinions, mais on en oublie souvent l’action politique du ministre de l’économie en 1981, et du rédacteur du traité de Maastricht en 1992.
Jacques Delors a toujours été fidèle à ses opinions. Il ne s’en est jamais caché : il était social-démocrate. Homme de convictions il n’était pas un homme de pouvoir. Il souhaitait promouvoir ses idées, mais il n’avait rien d’un politicien arriviste. Cela peut paraître étonnant aujourd’hui compte tenu du spectacle offert par la classe politique actuelle. D’ailleurs certains commentateurs ont imaginé ce qu’aurait pu être la France avec Delors pour Président, à la place de Mitterrand en 1981.
La France du Programme Commun de la gauche
Evidemment, quand on s’en tient à la social-démocratie on ne peut agir que comme un social-démocrate. C’est ce qui explique le premier échec de Jacques Delors, ministre de l’Economie des gouvernements Mauroy de 1981 à 1983. Le keynésianisme enseignant que la croissance est accélérée par la stimulation de la dépense, privée et publique, le SMIC est relevé de 10 %, les prestations sociales de 25 %. La croissance, attendue pour 1983, n’est pas au rendez-vous, le déficit budgétaire (qui existait déjà sous Giscard depuis 1974) passe soudainement de 2 à 4 % du PIB. Mais les bouleversements majeurs sont d’une part les nationalisations prévues par le programme commun de la gauche (et concernent la grande industrie, la banque et la finance) d’autre part la dévaluation du Franc. Par rapport à sa valeur dans le système monétaire européen en vigueur à l’époque le Franc est dévalué trois fois en moins d’un an., la Banque de France doit vendre la moitié de ses réserves de devises pour soutenir notre Franc.
Le gouvernement veut aussi embaucher une grande masse d’ouvriers dans la sidérurgie – ils seront réduits au chômage plus tard. Il réglemente la durée hebdomadaire du travail (ordonnance de janvier 1982), il impose la participation des syndicats dans la gestion (lois Auroux) et fixe un coefficient de logements sociaux dans chaque commune (lois Gayssot). L’état actuel de notre code du travail et du Code de l’urbanisme doivent donc beaucoup à ces initiatives « sociales-démocrates » (avalisées par les communistes ministres du gouvernement Mauroy 2)
L’Europe Sociale : Maastricht
Jacques Delors quitte le gouvernement pour s’installer comme Président de la Commission Européenne, Mitterrand et Kohl sont d’accord pour lui confier le destin de l’Europe. Ils savent que c’est un européen convaincu, catholique de progrès, et capable d’organiser l’Europe suivant un projet qui n’est ni celui de Jean Monnet ni celui du traité de Rome.
Jean Monnet est un planificateur socialiste, il veut créer des organismes européens dans tous les domaines, il est opposé à l’économie de marché, car à son sens le marché c’est le désordre. Tout à l’inverse Adenauer, De Gasperi et Schuman, réunis à Rome et avec l’appui du Vatican[1], rêvent d’une Europe de l’harmonie, de l’Union, et pensent qu’un marché unique est une façon de faire naître une solidarité entre des peuples qui viennent de se haïr pendant un siècle.
L’originalité de Jacques Delors est qu’il est entre les deux. Son idée est celle d’une Europe sociale, qui permette le partage entre tous les peuples. Il transpose à l’Europe les convictions qui avaient animé son ministère parisien : une Europe sociale, avec une charte sociale très développée et…une monnaie unique. Or, à cette époque, Margaret Thatcher a commencé à militer pour l’Europe ouverte, dans son discours de Bruges elle a dit son hostilité à toute forme d’intégration européenne. L’Acte Unique, publié en 1986, consacre sa victoire, c’est le modèle le plus libéral possible à l’époque, il est signé par Laurent Fabius premier ministre mais sera ratifié par Jacques Chirac qui lui succède en 1986 à Matignon.
Jacques Delors n’a pas dit son dernier mot, et il va faire prévaloir ses idées en obtenant que l’on ajoute à l’Acte Unique un appendice concernant la création d’une monnaie européenne : l’euro. Dans un nouveau document, appelé traité de Maastricht, il pose les principes de l’Europe Sociale et de la monnaie européenne. Voilà qui introduit l’intégration tellement désirée. Face à Maastricht la droite française se défend mal. Au gouvernement avec Jacques Chirac (mais toujours Mitterrand président, il le sera jusqu’en 1995) le piège tendu par Jacques Delors n’est pas perçu et voilà une droite qui fait voter pour une Europe centralisée, jacobine et bureaucratique, ce qu’est exactement l’Union Européenne aujourd’hui.
Jacques Delors n’hésite pas à solliciter certains dispositifs du Traité pour faire passer ses idées. En particulier – et c’est important aux yeux des libéraux – il donne une curieuse idée de la subsidiarité. Evidemment il sait que ce concept a été introduit dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique (DSEC)[2], mais il indique que la subsidiarité consiste à diviser la gestion de l’Europe en trois niveaux : local, national et européen. Dans une conception toute française de la décentralisation, il introduit la déconcentration : Ce qui importe c’est ce qui est européen, quitte à ce que l’Europe délègue des compétences au niveau des Etats membres ou des collectivités locales !
Toujours est-il que, soumis au verdict populaire, et en dépit du soutien de la droite française, le projet de traité de Lisbonne est rejeté par les Français, les Tchèques, les Irlandais. Théoriquement l’affaire aurait été enterrée, mais ce qui a été rejeté par referendum sera désormais soumis à un vote des Parlements : les parlementaires de tous pays prendront la décision rejetée par le peuple, c’est une forme de démocratie qui fera fureur dans l’Union Européenne depuis lors.
En 2002 l’euro sera en circulation, la Banque Centrale Européenne gardienne de la monnaie avec Trichet deviendra avec Mario Draghi et Christine Lagarde un outil de gestion de la dette des Etats, les taux vont monter et finalement l’inflation sera ouverte, et les budgets tant européens que nationaux ne cesseront de grossir, sauf dans les quelques pays « frugaux », qui ont compris qu’une économie saine a besoin de finances bien gérées et d’un Etat réduit à une sphère régalienne, qui ne devrait représenter que moins de 15 % du PIB.
Aujourd’hui les libéraux demandent la rupture avec l’Europe de Jacques Delors ; Ils s’adressent d’ailleurs aux électeurs dans un manifeste tout à fait clair : retour au marché commun, concurrence institutionnelle entre les Etats membres (principe de la mutuelle reconnaissance des normes), disparition du droit européen et de l’inflation textuelle, obligatoire et bureaucratique, fin des politiques financées sur budget européen -comme la très coûteuse et très inefficace transition énergétique. Le respect des droits individuels, de la vie privée et des libres transactions est prioritaire.
[1] Cf. Notre article dans la Nouvelle Lettre L’union européenne devient un cartel d’Etats Défense, commerce, écologie : la liberté est visiblement exclue 16 février 2023
[2] Cf Jean Yves Naudet La doctrine sociale de l’Eglise Une morale économique et sociale tomes 1-4 éd. Aix Marseille Université 2020
7 commentaires
Chirac a succédé à Fabius en 1986 et non en 1976. Par ailleurs, le traité de Maastricht a été adopté par référendum, c’est le traité de Lisbonne qui a été rejeté.
Tout à fait. Merci à vous.
tout à fait, merci de rectifier toutes ces erreurs que l’on lit a tout bout de chemin
Un homme d’Etat doit faire preuve de courage et de fermeté. Monsieur Delors n’en a pas fait preuve en laissant créer et se développer une Europe désarticulée, un club dans lequel les règles du jeu sont différentes pour chacun des états membres soucieux avant tout de défendre leurs propres intérêts.
Une Europe molle, aveuglée, incapable de tenir son rang dans l’économie mondiale , dirigée par des lobbyistes qui trafiquent la démocratie pour promouvoir les droits des minorités.
L’intelligence et l’honnêteté ne suffisent pas . Le courage est une vertu essentielle.
C’est Helmutt Kohl (et non Adenauer mort depuis longtemps) qui a donné son aval à Mitterrand pour que JD soit à la tête de l’UE.
Quant au désastreux traité de Maastricht, il n’a été voté, en France, que par une très courte majorité (51%). Et ce malgré un bombardement médiatique (Internet n’existait pas) sans précédent. Ce n’est que du fait du ralliement de J. Chirac au « Oui » que le traité a été adopté…
Je vous rejoins sur le fait que si J. Delors a été manifestement respectable, sa politique a été une véritable castastrophe.
Vous oubliez la première tentative de Delors avec la chère nouvelle société de Chaban Delmas.. qui plaisait tant aux gaullistes de Gauche mais le vers était dans le fruit avec Chirac des 1974…. nous vivons les conséquences de cette idéologie, il sera difficile d en changer tant l’assistanat et la société du » Care » du « non effort » a été répandue .., pire ,l’écologie imposée plait manifestement à TOUS nos dirigeants politiques , ils nous accablent de bêtises permanentes ( la dernière le tri obligatoire des matières organiques même en milieu urbain .. qui va comme d habitude va nous coûter un max pour un résultat néant . l immense défi est devant nous ,peux t’on réformer les cervelles de nos compatriotes ???? c’est le défi Argentin qui est deivant nous
A l’époque, le nom qui avait été choisi un premier temps pour la monnaie unique devait être l’ECU et non l’Euro.
Ce sont les Allemands, qui n’en ont pas voulu car, ça faisait:
» a Kuh » (Eine Kuh)) bref: Une vache!
Je m’en souviens très bien, moi Alsacien, né en 1955 et travaillant à l’époque dans une filiale d’entreprise allemande, à côté de la frontière à Wissembourg, on en discutait avec nos collègues d’Outre Rhin.
PhB