Le livre qu’Annie Jourdan consacre au rapport entre Germaine de Staël et Napoléon est un ouvrage fort instructif que le lecteur libéral aura plaisir à lire, d’autant que la romancière est toujours assez méconnue en France là où Napoléon reste une figure historique des plus révérées. Leur rapport avait commencé sous d’heureux auspices – l’écrivaine s’efforçant de séduire le général victorieux de la campagne d’Italie -, avant qu’il ne se muât en une frontale et insurmontable opposition. On citera notamment cet échange, qui en lui-même montre bien comment les deux personnages ne pouvaient au fond guère s’entendre : « Quelle serait pour vous la première des femmes ?, demanda à Napoléon Germaine de Staël, qui se vit répondre : « Celle qui fait le plus d’enfants, Madame »…
Romancière mais aussi immense intellectuelle, l’auteur de Delphine (1802) et de Corinne (1807) fit entendre, avec courage et brio, une voix authentiquement libérale face à l’Empereur, lequel la contraignit à l’exil en 1804 avant qu’il ne fît censurer son De l’Allemagne en 1810. C’est alors à Coppet, en Suisse, dans la propriété familiale de son père, Jacques Necker, qu’elle organisera la résistance européenne libérale face à l’expansionnisme napoléonien.
Fascinée dans un premier temps par Napoléon, Germaine de Staël ne ménagera pas ses critiques envers lui (« Notre pauvre France, écrit-elle par exemple, dans quel état ce monstre l’a mis ! »), pourfendant ce qu’elle osa appeler son « charlatanisme ». (Le grand penseur politique Thomas Paine, à qui Napoléon aurait dit qu’il dormait avec un exemplaire de ses Droits de l’homme sous son oreiller, considéra pour sa part qu’il fut « le plus grand charlatan que le monde eût jamais connu ».) Bonaparte, écrit Germaine de Staël, « aime beaucoup lui-même à parler. Son genre de dissimulation en politique n’est pas le silence ; il aime mieux dérouter les esprits par un tourbillon de discours, qui fait croire tour à tour aux choses les plus opposées » (Germaine de Staël, La Passion de la liberté, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », p. 577). À bien des égards, Germaine de Staël fit preuve d’une réelle perspicacité sur Napoléon et sa psychologie, ainsi lorsqu’elle nota à quel point il redoutait l’esprit libre des penseurs et philosophes, susceptibles de mettre à mal les illusions qui émaillaient son discours et sur lesquelles se fondait son régime. (Une caractéristique, nous dit-elle avec raison, propre à tous les despotismes.) Parmi ceux qu’il craignait le plus figuraient les Idéologues, membres d’une société de philosophie créée par Destutt de Tracy, et dont Germaine de Staël était proche. (Napoléon employait d’ailleurs le mot d' »idéologue » comme une véritable insulte.)
La célébration du bicentenaire de la mort de Napoléon, en 2021, a donné lieu comme on pouvait s’y attendre à la parution d’une foule d’ouvrages et d’articles sur le général Vendémiaire, devenu Consul puis Empereur. Mais il manquait encore un livre entreprenant d’explorer par le menu les relations tumultueuses entre l’impératrice des lettres en Europe que fut Germaine de Staël, et l’Empereur des Français. C’est désormais chose faite grâce à l’ouvrage aussi vivant que richement documenté d’Annie Jourdan
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Mme de STAEL raconte l’anecdote suivante : dans une soirée, NAPOLÉON dit à une marquise (dont l’époux avait été guillotiné) : « Je n’aime pas que les femmes se mêlent de politique. » Elle lui répond : « Vous avez entièrement raison, général, mais dans un pays où on leur coupe la tête, il est naturel qu’elles essaient de savoir pourquoi ! ».