L’administration Biden a récemment levé les sanctions qui avaient jusqu’à présent retardé l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne. Cette décision reflète l’intention de Washington de se désengager de l’Europe. Cela suggère également fortement que la Maison Blanche a l’intention de revenir à des politiques similaires à celle de l’ancien président Barack Obama – améliorer les relations avec la Russie et s’appuyer sur les dirigeants européens, notamment à Berlin, Paris et Bruxelles, pour gérer le volet européen des affaires transatlantiques.
Faire de l’anti-trumpisme
L’administration Trump s’est rangée du côté de plusieurs gouvernements européens (surtout à l’Est) en faisant valoir que l’achèvement de Nord Stream 2 compromettrait la sécurité énergétique de l’Europe, en donnant au président russe Vladimir Poutine plus de poids. Le président Donald Trump a « puni » les entreprises impliquées avec des sanctions, cherchant à retarder ou à empêcher l’achèvement du pipeline. Ensuite, le président nouvellement élu Joe Biden a ordonné aux États-Unis de suspendre les sanctions. L’administration a d’abord soutenu que les mesures n’avaient aucun sens étant donné que le pipeline était presque terminé. Cette affirmation était extrêmement fallacieuse. Un pipeline qui n’est pas complètement achevé est effectivement inutile.
Par la suite, les États-Unis ont annoncé un accord conjoint autour de plusieurs mesures pour répondre aux préoccupations concernant l’achèvement du gazoduc, notamment des investissements dans l’énergie verte en Ukraine. Ces initiatives ont été largement tournées en dérision car elles ne pourraient pas empêcher une future agression russe.
Les objectifs de Biden
Il est largement admis que le changement de politique des États-Unis visait un double objectif. Son objectif principal était d’améliorer les relations avec Berlin, qui s’étaient sensiblement détériorées sous l’administration Trump. Cette décision était également conforme à d’autres initiatives prises par l’administration Biden, notamment l’annulation de la décision du président Trump de retirer certaines troupes américaines d’Allemagne. Le président Biden a annoncé le changement de politique en soulignant que « L’Amérique est de retour » et « engagée », des mots destinés à contraster avec la politique de son prédécesseur ».
L’équipe Biden s’attendait à ce qu’une politique constructive et un soutien à Nord Stream 2, une priorité de la chancelière allemande Angela Merkel, stimulent la coopération transatlantique, en particulier sur le développement de politiques communes envers la Chine. L’administration espérait également que la décision créerait des conditions plus favorables à un dialogue constructif avec Moscou. Pour la même raison, Washington s’est abstenu de critiquer les récentes cyberattaques contre les États-Unis et l’Europe, ainsi que les violations des droits de l’homme en Russie.
Quelles conséquences ?
À part récolter la bonne volonté de la chancelière allemande sortante, il y a peu de signes encourageants après ce changement de politique. Biden a même déconcerté de nombreux gouvernements européens, notamment après les déclarations selon lesquelles il avait l’intention de consulter davantage les alliés européens. La décision a été annoncée sans avertissement et sans pratiquement aucune discussion en dehors de Berlin.
Il convient de noter en particulier que la Pologne et l’Ukraine, deux gouvernements soucieux de montrer leur intention de s’entendre et de travailler avec l’administration Biden, ont manifestement protesté contre la décision, même en sachant qu’il s’agissait d’une affaire conclue et que leurs critiques ne serviraient pas à grand-chose.
Plusieurs gouvernements européens ont accepté cette décision comme une preuve supplémentaire que Washington s’intéresserait principalement à Berlin, Paris et Bruxelles. Ils pensent également que Washington est désormais moins intéressé par une confrontation avec Moscou.
Le stockage européen de gaz est au plus bas depuis 10 ans et l’hiver approche
Cette décision renforce également l’impression que l’administration Biden revient aux politiques de l’administration Obama : un minimum de soutien à l’OTAN ; donner plus d’importance à l’Union européenne et éviter la confrontation avec la Russie.
La décision du président Biden a laissé les pays d’Europe centrale et méridionale se démener. La plupart avaient construit leurs politiques autour de l’hypothèse d’une coopération bilatérale plus forte et d’un engagement avec les États-Unis. Maintenant, ils en attendent beaucoup moins.
Pendant ce temps, le président russe Poutine a fait des déclarations plus agressives depuis l’annonce de la décision Nord Stream 2, sachant qu’il est dans une position beaucoup plus forte qu’il ne l’était il y a quelques mois à peine. Le stockage européen de gaz est au plus bas depuis 10 ans, et l’hiver approche.
Quels scénarios ?
Malgré les critiques et les lacunes, il est extrêmement improbable que les États-Unis fassent marche arrière. Il n’y a pas de soutien bipartisan suffisant au Congrès pour faire pression sur l’administration. Il est également extrêmement improbable que Washington fasse pression sur le prochain gouvernement allemand.
Les États-Unis pourraient contribuer à améliorer la sécurité énergétique européenne en augmentant leur soutien à l’Initiative des trois mers, au corridor gazier du Sud (SGC), aux nouveaux pipelines d’interconnexion pour le SGC et au gazoduc transcaspien – qui acheminerait enfin du gaz turkmène et ouzbek en l’Europe. Aucune de ces initiatives, cependant, ne semble probable. Au contraire, l’administration sera réticente à soutenir des programmes en dehors des initiatives « d’énergie verte ».
Le président Poutine va s’enhardir sur le front de l’énergie
Le scénario le plus probable est que les États-Unis trouvent leur stratégie de désengagement insoutenable à long terme. La Maison Blanche sera forcée de répondre à l’ingérence russe et se trouvera de plus en plus préoccupée par l’influence de la Chine en Europe. Les initiatives de sécurité de l’UE ne répondront pas aux préoccupations fondamentales en matière de sécurité. L’administration s’attaquera à ces défis de manière ponctuelle plutôt que de reformuler la stratégie globale.
Le président Poutine sera encore plus agressif sur le front énergétique. Il ne cache pas son intention de le faire ; en fait, il a déclaré ouvertement ses intentions concernant l’Ukraine et d’autres pays d’Europe centrale. À court terme, Nord Stream 2 sapera la transition verte de l’Europe et le continent plafonnera probablement à 20 % d’énergie renouvelable. En conséquence, non seulement les économies européennes seront moins compétitives, mais à court terme, la sécurité énergétique déclinera.
Lire la version en anglais sur le site du GIS
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Nord Stream 2 : aucun gain stratégique pour les Etats-Unis
L’énergie nucléaire est la plus verte. Encore faut-il que nous la fissions. Quand on la sort bonne, en principe on l’avale de grâce.