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Polémique sur la dette perpétuelle : quid de l’aléa moral ?

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L’idée pour l’État d’émettre de la dette perpétuelle a refleuri au printemps dernier avec le spectre d’une crise économique sans précédent. De quoi s’agit-il ? Cette pratique d’Ancien Régime a connu de beaux jours au temps de Balzac sous la forme de la « rente perpétuelle ». Le débiteur – l’État – versait des intérêts au créancier à perpétuité. Le capital de cette « rente constituée » était remboursable ou rachetable – par le débiteur – mais pas exigible – par le créancier. Avec cet instrument financier, un aléa pesait sur ce dernier.

En effet, au cours du XIXème siècle l’État français cherchait, déjà, à réduire la charge de sa dette arbitrairement. Il réduisait aussi ses intérêts de manière unilatérale, en remboursant le capital à l’encontre de ce qui était initialement convenu. L’opération était pudiquement appelée « conversion de rente ». D’où la réapparition après la Première Guerre mondiale de la dette « amortissable », dont le principal, il faut le rappeler, est bel et bien remboursable. L’objectif était de redonner confiance aux créanciers de l’État. Mais au XIXème siècle, le taux d’intérêt était de 5% par an.

Un emprunt perpétuel à taux zéro ?

Qui aujourd’hui, épargnant, fonds de pension ou tout autre institutionnel, aurait intérêt à souscrire à des titres « dette perpétuelle » sur le marché secondaire ? Selon l’Agence France Trésor (AFT), le taux moyen pondéré des OAT (les Obligations assimilables du Trésor), c’est-à-dire la moyenne des émissions annuelles 2020, est en effet négatif (-0,14 % au 30 novembre dernier). Le coupon des OAT 5 ans à échéance des 25 février 2021, comme 2002 est… nul, par exemple.

Le service de la dette éclipse… le principal

Comment fonctionnerait donc une nouvelle dette perpétuelle ? « Le scénario le plus évoqué est celui de la transformation de la part de la dette des États détenue par la Banque centrale européenne (BCE) en une obligation perpétuelle portant un coupon nul », rappelle la revue Le Grand Continent, éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure. Pas l’ombre d’une clause de remboursement dans ce scénario de finances publiques-fiction…

Le Grand Continent met en garde contre un « (…)artifice financier qui revient à considérer que le plus important pour l’Etat n’est pas tant son niveau d’endettement par rapport à sa richesse nationale présente et future, mais sa capacité à honorer le seul « service de la dette », c’est-à-dire à payer les intérêts. » ajoute le think tank émanant de la rue d’Ulm. « (…) une « annulation » par la BCE n’est ni légale, ni utile, ni souhaitable », a jugé nécessaire de rappeler l’économiste en chef de la Direction générale du Trésor Agnès Bénassy-Quéré ! La BCE elle-même ne peut en prendre l’initiative. En effet, « ce serait contraire au traité européen, lequel proscrit le financement monétaire des déficits publics ».

L’illusion d’une dette qui serait déjà perpétuelle

Un mécanisme donne en effet l’illusion que la dette française est déjà perpétuelle. Pour financer sa dette arrivant à échéance, l’État émet de nouvelles OAT. Ce, à moindre taux, du fait des politiques monétaires européennes accommodantes mises en place dans le sillage des crises de 2007-2008 et, a fortiori, de celle de la Covid-19. Cela s’appelle « rouler sa dette ». La maturité moyenne de la dette va croissant, ce qui permet de rendre le renouvellement du stock de dette plus graduel. En effet, selon l’OCDE, « l’allongement de la durée de vie de la dette souveraine peut permettre de minimiser les coûts face à une forte incertitude concernant le contexte d’émissions futur ». « Cette stratégie réduit en particulier le risque associé à l’amortissement de la dette qui « roule », qui constitue une part croissante du besoin de financement annuel de l’État », pointe le Sénat dans le rapport de sa commission des finances présenté par Albéric de Montgolfier en 2017.

« De nos jours, chaque fois qu’un emprunt arrive à échéance, il est immédiatement replacé. » rappelait récemment l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur émérite à l’ESCP Business School, dans une interview aux Échos. « En pratique, la dette publique est déjà perpétuelle », notait l’économiste.

Avec cette idée de convertir le stock de dette existant en titres perpétuels, s’agirait-il donc d’ « oublier » de rembourser le principal ? Cet type d’opération porte le nom de « haircut », ou coupe de cheveux, quand il s’agit de réduire en partie le montant du capital souscrit. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 dispose cependant que « les remboursements d’emprunts sont exécutés conformément au contrat d’émission ». De plus, quelle serait la valeur d’exemple pour les ménages ? Pourquoi ces derniers continueraient-ils à rembourser leurs prêts si l’État s’en dispense ? L’hypothèse est à rapprocher de la notion d’ « aléa moral ».

Quid de l’aléa moral ?

Dans le domaine de l’assurance, la notion consiste à maintenir une part de risque à la charge des assurés afin qu’ils gardent en permanence une conduite prudente. L’ « aléa moral » existe aussi pour les banques. Il en a été question dans le sillage de la crise des subprimes. L’idée d’une aide directe aux banques à sauver à tout prix (too big to fail, celles qui sont considérées comme trop grosses pour échouer) avec les deniers du contribuable, a fait alors ressurgir le concept d’ « aléa moral ». Car les établissements seraient ainsi incités à une prise de risque moins maîtrisée.
L’ « aléa moral » joue entre les États de la zone euro aussi. Facteur de stabilité à cet égard, chaque pays a un coût d’emprunt différent et se voit attribuer une prime de risque différente. Et l’Eurogroupe veille. Car « « être en dette », « avoir une dette » place le débiteur dans une situation de morale du devoir et d’obligation juridique » [[https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/12/financement-de-la-crise-du-covid19-le-retour-des-rentes-perpetuelles/]].

Vers des emprunts « plus ou moins forcés » ?

L’un des scenarios de l’OFCE (l’Office français des conjonctures économiques) anticipe une dette à 134,7 % du PIB d’ici 2030. Comment, pour la France, présenter une trajectoire budgétaire acceptable lors de la loi de programmation de finances publiques attendue au printemps ? Bruno Le Maire écarte régulièrement d’un revers de la main tout hausse d’impôt, « tant qu’[il sera] ministre des Finances ».

Certes, mais après 2022 que se passera-t-il ?

* qui ne relève pas stricto sensu de la dette perpétuelle

Subprimes : emprunts plus risqués, et à meilleur rendement, pour le prêteur que la catégorie prime

Sources :

https://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20150205tribf86e5cc99/la-longue-histoire-des-obligations-perpetuelles.html
(1) https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/12/financement-de-la-crise-du-covid19-le-retour-des-rentes-perpetuelles/
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/11/30/annuler-la-dette-detenue-par-la-bce-est-ce-legal-utile-souhaitable
https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-crise-redonne-vie-au-concept-de-dette-perpetuelle-1197387
https://www.aft.gouv.fr/
https://www.aft.gouv.fr/fr/encours-detaille-oat
https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.2_BM/366_Bulletin%20mensuel%20novembre%202020.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Al%C3%A9a_moral#L%27al%C3%A9a_moral_sur_les_march%C3%A9s_d%27assurance
https://www.senat.fr/rap/r09-335/r09-33524.html


https://www.lefigaro.fr/flash-eco/non-pas-de-hausse-d-impots-selon-bruno-le-maire-20201129
https://www.senat.fr/rap/r16-566/r16-5664.html

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3 commentaires

gaston79 10 décembre 2020 - 7:20

la dette quand même
Il est bon de rappeler en commentaire que la dette française peut être scindée en 2 parties : 1) celle qui est « vendue » traditionnellement à des créanciers (d’ailleurs majoritairement étrangers) sur le marché financier – 2) celle qui est détenue exclusivement par la BCE où elle figure à son bilan, particulièrement depuis la crise sanitaire, sachant que les intérêts virtuels que la France devrait payer sont reversés immédiatement à la banque de France au titre des profits réalisés par une quasi « filiale ».Cela constitue donc une opération à somme nulle.
Il est peu probable que l’Etat français puisse manipuler (faire « rouler » ou faire défaut) de la première dette – sa dette « privée » – car la France y perdrait durablement la confiance des marchés financiers, ne pouvant plus financer ses déficits futurs. On imagine alors les effets sociaux qui en résulteraient.
En revanche, la France (comme les pays européens du sud en général) va probablement chercher à s’exonérer de sa part de renflouement du bilan de la BCE suscitant l’opposition des pays du nord qui n’accepteront jamais cette pratique de nature à miner la confiance dans l’euro (planche à billets), créant de l’inflation, ruinant leurs épargnants et gonflant artificiellement le prix des autres actifs (bulles financières). On peut donc estimer qu’en s’opposant au renflouement du bilan de la BCE, il y a un risque majeur d’explosion de l’union monétaire européenne, avec in fine les mêmes conséquences sur le financement futur des déficits chroniques de notre pays une fois perdu l’adossement à l’euro.
Elle sera donc remboursée, sans doute dans un temps très long mais assorti en contrepartie de règles budgétaires strictes imposées par l’Europe à la France.
La France étant absolument incapable de maîtriser ses dépenses publiques, reste l’impôt… incontournable.

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dosogneg 10 décembre 2020 - 1:50

Une dette perpétuelle oui , mais portant intérêt!
Si l'état emprunte à 0% à 30 ans , mais rembourse la totalité à l'échéance, c'est comme s'il "mettait de coté" 3,33 % du principal par an. Donc un preteur en perpétuel demandera bien sur un intéret pour le rémunérer de son effort financier .Dans un environnement "zero%", il exigera probablement entre 2 et 3% d'intéret , et sera remboursé de son capital après 35 ou 50 ans …. et ensuite ce sera du "bénéfice" si les taux restaient à 0% sur toute la période . Je ne sais pas ce que le marché exigerait , mais surement un intéret positif! "there is no free lunch" !!

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Astérix 10 décembre 2020 - 4:01

Problème d'amortissement !
Comme une entreprise ou un particulier, l'état devrait emprunter en amortissant le capital ce qui n'est pas le cas. Le capital, à chaque échéance des emprunts de France trésor, est renouvelé par un nouvel emprunt ???
Le problème étant que pour rembourser un prêt "in fine" (c'est à dire sans remboursement du capital), il faut que la "sortie"du crédit soit assurée pour les entreprises et les particuliers, ce qui est logique et sain, cela quelque soit le taux d'intérêts..!
L'état, lui, s'en moque puisque le contribuable est derrière….!
Ce principe, imbécile et malhonnête, explique nos 2550 milliards de dettes sans compter nos 5000 milliards d'engagements hors bilan et sans compter le déficit annuel du budget de l'état hallucinant..! 64 % du PIB de dépenses publiques par an …!
A quand la faillite de la France..??
A quand des gestionnaires compétents à la tête de notre Pays ???
A quand la compréhension des Français face à ce système débile ?
Je rappelle que sous Pompidou la dette était égale à zéro et les dépenses publiques de 30 % du PIB et non de 64 % comme aujourd'hui…!!!??
Trop tard… les carottes sont cuites..!

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