I – L’information
Depuis quelques semaines, plusieurs indices laissaient à penser que le Gouvernement semblerait subitement moins empressé sur le calendrier de la prochaine réforme des retraites. Il y eut d’abord comme un signe prémonitoire avec un flottement remarqué sur la date de remise du très attendu rapport Delevoye: anticipé un temps sur juin, avant d’être discrètement rétabli sur la première quinzaine de juillet, puis finalement (ou provisoirement ?) de se retrouver décalé jusqu’au 18 juillet, le temps sans doute de laisser tranquillement passer les festivités du 14 juillet . De même, ces derniers temps, la communication du Premier Ministre évitait prudemment toute date précise sur les échéances à venir. Finalement cette valse-hésitation à trouvé son épilogue avec l’annonce dans l’édition du 26 juin des Échos (reprise depuis par plusieurs chaînes d’information dont Lci et France-Info et par la presse notamment avec le JDD, l’Obs et Mieux Vivre Votre Argent) de l’éventualité du « glissement » de fin 2019 au printemps de l’année 2020 de la réforme sans doute la plus importante et la plus sensible du quinquennat, tout simplement parce qu’elle inquiète tous les Français qui aspirent légitimement à être un jour ou l’autre retraités et que le pouvoir hésite.
Car s’il est vrai que le Gouvernement a pu prendre ses responsabilités en légiférant directement sur la réforme de l’assurance-chômage (en se gardant bien toutefois de mettre fin à l’abus le plus flagrant des intermittents du spectacle!), ce passage en force a été très mal vécu par les syndicats et les cadres, principaux perdants du changement, sont actuellement fort remontés contre le pouvoir. Par ailleurs tant qu’à repousser la réforme, autant doubler sans trop de vagues le cap redouté des élections municipales, test capital pour mesurer le succès ou l’échec de l’implantation locale de la majorité présidentielle. C’est d’ailleurs ce que soutient implicitement le Haut Commissaire à la Réforme des Retraites pour lequel, vu l’importance du projet, quelques mois de plus ne changent rien à l’affaire. Enfin pour retenir ou du moins modérer la levée de boucliers redoutée, l’éventualité évoquée du vote courant 2020 non pas de la réforme complète, mais d’une simple loi-cadre repoussant à plus tard les arbitrages les plus délicats, permettrait sans trop de frais de maintenir politiquement la réforme sur le feu aux yeux de Bruxelles, sans immédiatement mettre le pays à feu et à sang.
II – Les difficultés du pouvoir
Nos lecteurs savent déjà ce que nous pensons du mutisme affiché par Monsieur Delevoye depuis le début de son mandat et l’éventualité de ce nouveau report confirme intégralement notre prévention contre une conception fort autiste de la réforme, dont les partenaires sociaux régulièrement conviés sont en réalité soigneusement tenus à distance. Or le choix de cette démarche – et encore plus sa dilution dans le temps – ne sont guère rassurants quant au contenu du futur projet. Le brouet serait-il si indigeste qu’il faille en cacher la recette jusqu’après la Fête Nationale, étaler ensuite sa diffusion et reculer enfin sur toute la fin d’année les discussions le plus tard possible ou encore « hacher menu » la réforme en espérant la rendre ainsi moins indolore ou moins conflictuelle et surtout moins lisible? De plus, en cas de nouveau dérapage, le futur calendrier risque rapidement de mordre sur la prochaine campagne en vue de l’élection présidentielle, qui n’attendra certainement pas le printemps 2022 pour démarrer.
Entretemps, tout en ayant promis aux retraités actuels qu’ils n’avaient rien à craindre de la prochaine réforme, le pouvoir en a profité pour se dépêcher de les massacrer sans attendre, notamment:
1 – avec une importante hausse (+ 25%!) de csg ouvertement discriminatoire par rapport aux compensations obtenues par les autres catégories sociales;
2 – en introduisant la fiscalisation rampante des pensions par l’invention d’un seuil mensuel de € 2 000 qui n’a aucun fondement dans un système de prestations sociales contributives;
3 – avec la mise en place brutale et non négociée d’une désindexation significative purement arbitraire, confiscatoire et contraire aux engagements présidentiels.
Les actifs ne sont pas plus rassurés pour autant, d’insistantes rumeurs envisageant la possibilité d’allonger immédiatement la durée de cotisation en accélérant la réforme Touraine et de majorer sans délai les cotisations.
UN COR TRÈS FLOTTANT
Parmi les inquiétudes du Gouvernement, figure en premier lieu celle d’un déficit croissant des retraites. En effet, comme le COR s’était montré très rassurant lors du lancement de la réforme, le pouvoir avait promis que le but de la réforme n’était pas de chercher des économies, dont il n’y avait plus guère besoin, mais d’instaurer plus de justice et de simplicité. Or les tout derniers chiffres du COR sont tout sauf bons et ils annoncent maintenant et pour de longues années une succession de déficits préoccupants. Ceci explique le brusque durcissement du pouvoir qui cherche par tout moyen à resserrer la dépense (désindexation brutale des pensions, décalage d’un an de l’indexation des pensions quand elle demeure, moyen de contourner l’âge légal de 62 ans auquel le candidat Macron avait promis de ne pas toucher etc.). En réalité et nos lecteurs le savent bien , nous n’avons jamais cru aux chiffres du COR, tout simplement parce qu’ils n’ont cessé de faire le yoyo, en développant parfois d’étranges synchronismes avec les cycles électoraux. D’ailleurs face au scepticisme croissant d’un certain nombre de spécialistes, le COR, sommé de justifier ses contradictions, a récemment convenu que ses anticipations n’étaient pas de véritables prévisions qui l’engageraient, mais de simples projections liées à diverses hypothèses de travail et rien de plus. Malheureusement, ce n’est visiblement pas ce qu’entendait le Comité de Suivi des Retraites qui, au vu des derniers chiffres du COR, s’est précipité illico pour alerter le pouvoir sur la nécessité de redresser immédiatement la barre. À la vérité, on s’en doutait depuis un certain temps avec cette succession de réformes rapprochées dont chacune se prétendait la dernière. Mais maintenant on en a la preuve: en plein brouillard, le système fonctionne en réalité à la corne de brume: quand le COR croit pouvoir pointer l’avenir à 50 ans, c’est pour cacher qu’il ne sait en réalité pas grand chose de ce qui va exactement se passer dans les dix années qui viennent.
Quoi qu’il en soit, les derniers reports calendaires traduisent la perplexité et l’inquiétude du pouvoir vis-à-vis d’une tâche dont il n’avait sans doute mesuré ni l’ampleur, ni la complexité. Lui, qui privilégie la duplicité permanente du fameux « en même temps », commence à réaliser, mais un peu tard, la pertinence du vieil adage, qui veut que nul ne sorte jamais de l’ambiguïté qu’à ses dépens.
1- Rien n’a filtré notamment sur le montant ou sur la procédure de fixation du nouveau point, donnée pourtant cardinale de la réforme, alors que le Président de la CEPME, François Asselin, déclare à juste titre “tant que l’on n’a pas la valeur du point, cette réforme des retraites, c’est de la littérature”.
2 -Et puis, il va bien falloir un jour expliquer comment le slogan présidentiel qui promet que « tout euro cotisé ouvrira à chacun le même droit à pension » s’accorde avec le régime actuel de la fonction publique civile d’État dont les cotisations globales ( = salariales + patronales), en culminant à plus de 85% du salaire indiciaire, sont plus de 3 fois supérieures à celles du régime général! À moins bien entendu d’envisager la « sanctuarisation » de tout ou partie des régimes spéciaux, ce qui serait la négation même de la réforme et de sa volonté de justice et de simplification.
3 -En outre, la fixation du champ du régime universel à 3 plafonds de Sécurité Sociale signe pratiquement l’arrêt de mort des régimes complémentaires, en plaçant définitivement les retraites sous la coupe quasi-exclusive d’un État fort endetté. Or on vient de voir avec la désindexation brutale des retraites que sa parole est tout sauf fiable et pour avoir expérimenté chez eux et voici longtemps la faillite des deux tiers, les Français savent parfaitement que les États sont faillibles. L’histoire récente de la Grèce, de Chypre et de l’Espagne a montré que le sujet peut redevenir rapidement d’actualité pour peu notamment que les Banques centrales décident de relâcher quelque peu leur pression sur les taux d’intérêts.
4 – Le report direct ou indirect – via l’âge-pivot – de l’âge de départ en retraite est considéré comme un « casus belli » par le patron de la CFDT (seul syndicat à soutenir encore le projet) qui a fait savoir que si cette modification était insérée dans la prochaine loi de financement de la Sécurité Sociale, c’en serait fini de la réforme.
Raison de plus aussi pour qu’au vu de tous ces doutes et de tous ces atermoiements, les Français, échaudés par de multiples précédents qui n’ont cessé de creuser les écarts entre secteur public et secteur privé, aient tout lieu d’être vigilants vis-à-vis d’une réforme dont, à ce jour, ils ne connaissent toujours ni les tenants, ni les aboutissants.
III – Le report, le détricotage ou l’abandon ?
Surtout qu’au vu des difficultés rencontrées et de la tentation qui se fait jour d’anticiper la réforme par quelques mesures bien senties à glisser furtivement dans la prochaine loi de Sécurité sociale, déjà des voix s’élèvent pour repousser encore un peu plus loin l’échéance, voire pourquoi pas en la réinscrivant dans le calendrier du prochain programme électoral du président sortant. Pour masquer ce qui serait ni plus, ni moins qu’un nouveau renoncement majeur, l’astuce consisterait :
1 – d’abord à inscrire en urgence lors de la prochaine session parlementaire dans la loi de financement de la Sécurité Sociale la plupart des réformes paramétriques douloureuses (reports d’âges, durées de carrière, taux de cotisation etc.), avec une mise en application au pas de charge ;
2 – puis, en espérant que cette première tranche passera dans l’opinion sans trop de difficultés (on a vu plus haut que c’était loin d’être acquis !) la faire patienter après les municipales avec une loi-cadre qui, après l’examen en Conseil d’État, renverrait les plus sensibles des arbitrages à plus tard,
3 -avant que la vraie réforme n’intervienne enfin, Dieu sait quand, en incorporant bien entendu toutes les « avancées paramétriques » précédentes.
De cette manière et en apparence, la réforme pourrait donner l’illusion de rester financièrement neutre, tout le « sale boulot » ayant été accompli dans les lois qui la précèdent. Pas sûr cependant que les Français se laissent prendre à ce nouveau tour de passe-passe qui, après la violation de l’engagement électoral de maintenir le pouvoir d’achat des retraites, décrédibiliserait une nouvelle fois et encore un peu plus la parole présidentielle. C’est sans doute pour cette raison que, très discrètement, quelques responsables de la majorité n’excluent pas d’édulcorer sensiblement, voire pourquoi pas d’enterrer en douceur cette réforme difficile et à si haut risque.
3 commentaires
égalité
La charrue ne se met pas devant les boeufs !
Le statut public a tué& le service public. Pour revenir en démocratie il faut commencer par supprimer le statut public pour tout ce qui n'est pas régalien. Peut-être aussi que nos pilleurs se sont aperçu que les engagements pour les pensions des fonctions d'état double notre dette publique abyssale et si l'on ajoute celles des autres fonctionnaires et EPIC, la dette est triplée. Bien loin de l'engagement des 60 % et pire que "la crise" italienne !! Poutre ou paille qui dirige le pays ?
excellent article
C'est la difficulté dans une démocratie à faire les mesures impopulaires. Macron est coincé entre la rue et les GOPE.
PS J'ai pas compris "les cotisations globales ( = salariales + patronales), en culminant à plus de 85% du salaire indiciaire, sont plus de 3 fois supérieures à celles du régime général ! "
@ madiran
Mes sincères remerciements d'abord pour votre aimable appréciation. Quant aux cotisations globales culminant pour la fonction publique à plus de 85% du salaire indiciaire, voici les explications complémentaires que je puis vous fournir.
1 – Du fait de plusieurs raisons (notamment pensions plus élevées, ratio démographique cotisants/pensionnés extrêmement défavorable etc.), l'État ne parvient pas à équilibrer les retraites de sa propre fonction publique en y appliquant le taux de cotisation global (salarié + employeur) d'environ 28% qu'on observe dans le privé.
2 – Pour rétablir l'équilibre financier de ces retraites, il est amené tout simplement à adosser à ses dépenses de pensions un versement global de quelque 85 % du traitement indiciaire , soit environ 11% pour le salarié et 74% pour l'employeur).
3 – Jusqu'à présent, l'État, qui a refusé la création d'une caisse autonome pour les retraites de sa propre fonction publique, avait toujours présenté ce versement de 85% comme une cotisation globale unique et ordinaire, tout à fait comparable (sauf en taux) à celle en vigueur dans le secteur privé.
4 – Mais à partir du moment où la réforme à venir proclame qu'un euro cotisé procure le même droit à pension pour tous, on ne peut évidemment admettre que la cotisation globale pour les fonctionnaires – trois plus élevée que son homologue privé – procure à ces derniers des droits à pension quasiment triples de ceux du secteur privé. Or jusqu'ici le pouvoir n'avait jamais avancé la moindre réponse quant à la manière dont il entendait traiter ou corriger cette anomalie.
5 – On vient de l'apprendre dans le dossier de presse remis ce matin par le Haut -Commissaire à la réforme des retraites: dans le versement global de 85% effectué par l'État, seuls 28% seront considérés comme une variable cotisation ouvrant droit à pension, le surplus de 56% rejoignant sans doute le terrain de la subvention qu'il n'aurait jamais dû quitter.
6 – Nul doute pourtant que ce périlleux ajustement va poser de très sérieux problèmes aussi bien pour les retraites, que pour la présentation des comptes publics. À suivre donc…
Cordialement: Th.B