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La Chine : le grand bond en arrière

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La Chine étend son empire hors les murs. Ça n’est guère conforme à son histoire. Au début du XVème siècle, l’empereur chinois Yongle chercha à élargir ses territoires. Il nomma l’un de ses féaux, Zheng He, amiral d’une flotte énorme qu’il fit construire pour parcourir le monde. Avec d’immenses bateaux il explora les côtes africaines et peut-être bien au-delà. Mais la Chine n’en profita pas pour établir des comptoirs de commerce ou conquérir de nouvelles possessions. Après trente années d’explorations, les routes ouvertes vers l’Occident furent abandonnées, inutiles et coûteuses pour un nouvel empereur, et la flotte fut brûlée ou remisée. Qu’en sera-t-il de la nouvelle route de la soie que l’actuel empereur Xi construit à coup de milliards offerts pour édifier de grands projets d’Asie jusqu’en Europe en passant par l’Afrique ?

La Chine apparaît toute puissante, forte de son immense population, de sa discipline, de son histoire, de ses capacités de travail et de production. Mais n’est-ce pas un géant aux pieds d’argile ? Selon sa tradition, la Chine s’identifie à son Etat tout puissant. Celui-ci contrôle tout, plus que jamais. Dans un livre remarquablement documenté, Jean-François Dufour, directeur du cabinet DCA Chine Analyse, ( China Corp. 2025, Editions Maxima-Laurent du Mesnil, 2019) expose comment l’Etat chinois garde la main sur toutes les entreprises dans le cadre de plans quinquennaux qui rythment la vie économique du pays dont l’économie dite « de marché socialiste » est d’abord étatique. C’est bien « le projet stratégique de l’Etat et non le marché qui reste le déterminant majeur de l’évolution de l’économie chinoise ». Le Parti communiste chinois est partout aux commandes en doublon des autorités politiques locales et des chefs d’entreprise. A chaque échelon d’administration, il existe une structure, dénommée SASAC, qui détient le capital, en totalité ou en majorité, des entreprises clés, nationales ou locales. Celles dont l’Etat ne détient pas la majorité du capital sont aisément mises au pas quand il le faut par le retrait des autorisations nécessaire pour exploiter ou par la suppression des financements octroyés pour leur développement. Car l’industrie chinoise ne se développe que par le financement massif de ses entreprises via un système bancaire qui appartient lui-même pour 60% à l’Etat, sous le contrôle du ministère des Finances, et qui en dépend pour le reste indirectement. En 2017, observe J. F. Dufour, le montant des dettes non-financières chinoises a dépassé le niveau de 165% du PIB contre 105% en moyenne pour les pays de la zone euro, 95% pour le Japon et 75% pour les Etats-Unis ».

C’est aussi en mettant à disposition des pays tiers d’immenses moyens financiers que la Chine met en œuvre à marche forcée son grand plan dit OBOR de route de la Soie pour soutenir des projets ferroviaires, nucléaires, aéronautiques… dans les pays qui jalonnent ses voies d’expansion extraterritoriale. Elle finance, elle contrôle. Mais qui finance trop est tenu par ses débiteurs. Et à force de trop financer, pour des raisons politiques, des entreprises boiteuses, dites en Chine les Zombies, et des pays pauvres, les créances douteuses représentent une masse considérable occultée par des procédés divers et variés de refinancement à très long terme, de titrisation ou au travers de sociétés de défaisance.

Les premiers pays tombés dans le piège du projet OBOR de route de la soie s’en mordent déjà les doigts car ils ne peuvent pas rembourser les énormes dettes contractées et la Chine en profite pour entrer en possession des infrastructures qu’elle a financées. C’est ce qu’elle a fait en permettant au groupe chinois China Merchants, dépendant de la SASAC centrale, d’obtenir une concession de 99 ans du second plus grand port sri lankais financé par les Chinois et dont le Sri Lanka ne parvenait pas à assurer le remboursement. Mais plusieurs pays remettent en cause les projets OBOR, comme la Malaisie dont le nouveau gouvernement arrivé au pouvoir en 2018 a suspendu le projet de Corridor ferroviaire oriental qui était financé pour 14 Md€ par la Chine. Le gouvernement tchèque a lui aussi mis le holà aux projets du groupe chinois CEFC Energy. Curieusement, en Europe, ce sont les pays qui s’affirment comme souverainistes qui sont appâtés par les propositions chinoises, de la Hongrie et la Serbie (construction d’une ligne de chemin de fer entre Budapest et Belgrade) à l’Italie. Comme s’ils pensaient qu’ils se rendraient plus indépendants de l’Europe en se soumettant à la plus grande puissance communiste encore active !

Car la Chine reste totalement communiste. Le très puissant Xi a fait éliminer des universités tout enseignement de l’économie de marché. Des religieux sont encore enfermés pour la seule raison qu’ils ne veulent pas pratiquer leur religion sous le diktat de l’Etat, comme au temps du maoïsme que décrit Dai Sijie dans son magnifique roman vrai « L’Evangile selon Yong Sheng » (Editions Gallimard, Janvier 2019). Au Xinjiang, « près d’un million de Ouigours et de Kazakhs sont enfermés dans des lieux de détention qualifiés de « centre de formation professionnelle » uniquement parce qu’ils donnent des noms musulmans à leurs enfants, ou mangent hallal » (Le Monde, 26 mars 2019). En 2015, plus de 300 avocats ont été arrêtés, et certains condamnés à la prison, pour avoir défendu certains droits élémentaires. Les médias sont censurés, Internet est muselé. 60 journalistes sont derrière les barreaux pour délits de liberté d’opinion. La propagande bat son plein et la Chine s’empare de médias étrangers pour la faire résonner dans le monde, via notamment la télévision CGTN déjà installée en Afrique et aux Etats-Unis et bientôt à Londres. Les arrestations sommaires sont légion, les disparitions fréquentes, les enfermements courants… La société civile en est affaiblie. Mais quand un pays ne peut pas s’appuyer sur une société forte de sa liberté et dynamique, il est lui-même affaibli.

La Chine peut faire encore des démonstrations de force dont sont capables les tyrannies en mobilisant tous leurs moyens. Elle a des ingénieurs remarquables, de l’argent, des espions… L’URSS avait réussi ainsi à envoyer des hommes dans l’espace avant les Etats-Unis. Mais tant qu’il lui manquera la liberté, elle sera handicapée.

Surendettée, surchargée de trop d’entreprises déficitaires soutenues à bout de bras, minée par les querelles internes qui agitent le PCC, noyée dans ses règlementations surabondantes, dévitalisée par l’embrigadement qu’elle fait régner, vieillissant à vive allure, la Chine centralisée peut-elle dominer longtemps un monde qui exige la plus grande réactivité possible, une agilité permanente dans l’adaptation aux besoins ? Comme toujours dans les organisations collectivisées, la corruption y gangrène l’Etat et d’abord le PCC. Plus d’1,1 million de membres du Parti communiste ont été sanctionnés pour ce motif entre 2012 et 2017, dont 8 000 des propres inspecteurs du Parti. Et si la Chine représente une vieille civilisation, il faut aussi observer qu’elle s’est souvent montrée incapable dans le passé de faire fructifier son inventivité : la boussole, la poudre, le papier… De même qu’à défaut d’un esprit de synthèse suffisant, elle a gardé un alphabet incompatible avec le monde moderne quand l’Occident depuis 2 500 ans réussit à écrire avec à peine plus de vingt lettres. Les empires autocratiques et arbitraires meurent toujours d’ankylose et de pourrissement interne. Il leur manque le ressort, la créativité et la réactivité de la liberté.

Restons donc vigilants sans nous livrer pieds et poings liés à ce fragile tyran qui n’a pas compris que la liberté a été le secret du développement de l’Occident. Et revenons à nos fondamentaux plutôt que de vouloir le copier pour nous défendre de son agitation. La liberté rend fort alors que la soumission abaisse toujours.

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