Avec un effectif global en 2016 de plus de 1 729 personnes pour la Cour des comptes elle-même et les 21 Chambres régionales des comptes, nous payons très cher le coût des contrôles, sans en tirer du tout le bénéfice attendu. Tant que la République n’aura pas mis en place une véritable responsabilité de l’ordonnateur, qui puisse aller effectivement jusqu’à son licenciement (fonctionnaire) ou à sa révocation (élu) dans le cas des fautes les plus graves, notre contrôle des comptes ne servira à rien.
I – L’inventaire
La Cour des comptes produit chaque année de nombreux et volumineux rapports sur les dysfonctionnements et les multiples gâchis du secteur public. Son dernier rapport général vient tout juste de sacrifier une nouvelle fois à la tradition en pointant tout ce qui, dans une entreprise, entraînerait immédiatement une refonte radicale de sa gouvernance avec la probable mise en responsabilité de ses cadres dirigeants. On a confirmation notamment que la lutte contre la fraude sociale voit son efficacité largement compromise par le souci contradictoire d’acheter la paix sociale (notamment RSA et prestations familiales), ainsi que par une approche fort routinière des axes de contrôle (URSSAF). On apprend aussi que le suivi et le recouvrement des amendes-radar n’est pas du tout à la hauteur de l’électronique des appareils comme si l’automatisation incitait les services à une certaine forme de relâchement dans le recouvrement, avec des taux d’impayés proprement scandaleux qui avoisinent les 25%. Dans trop de collectivités territoriales, les 35 heures continuent toujours à constituer un objectif quasiment inaccessible. Si ces différents pavés font le bonheur des journalistes et nourrissent abondamment les critiques des laboratoires d’idées, on observe au fil des ans qu’il n’y a toujours aucune réflexion de fond de la part des pouvoirs publics sur les moyens de rendre immédiatement et pleinement efficaces ces conclusions et de sanctionner énergiquement les fautifs. On s’étonne notamment que plus de 16 ans après le vote de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la case « responsabilité et sanction des ordonnateurs défaillants » ne soit toujours pas cochée. Plusieurs raisons majeures à ces carences : en dehors des comptables publics, l’irresponsabilité de la fonction publique est légendaire, les fautifs détiennent le plus souvent et à un haut niveau la matérialité quotidienne du pouvoir, leur inertie est infinie, ils ne sont juridiquement pas tenus d’obtempérer et en plus, ils détestent le masochisme. Enfin la plupart du temps la majorité parlementaire les protège, puisqu’il y siège de trop nombreux collègues fonctionnaires, la ligne de partage entre personnel politique et personnel administratif étant devenue de plus en plus ténue. Alors année après année, la sphère publique s’approprie une part croissante de la substance et de l’énergie de la Nation, en plombant sans cesse davantage sa balance commerciale, en gaspillant des milliards d’euros dans des projets mal maîtrisés ou prématurément abandonnés (cf. l’écotaxe de sinistre mémoire + les innombrables fiascos sur des logiciels publics de paye ou autres etc.!) et en poussant toujours sa dette vers de nouveaux sommets. Finalement, on s’aperçoit qu’avec un effectif global en 2016 de plus de 1 729 personnes pour la Cour des comptes elle-même et les 21 Chambres régionales des comptes (« Finances publiques » par J-L. Albert – Dalloz 10ème édition juin 2017 – p. 361, 378 et 379), nous payons très cher le coût des contrôles, sans en tirer du tout le bénéfice attendu.
Deux exemples aussi récents que significatifs:
1 – Voici un peu plus de deux ans, la Cour des comptes avait expressément révélé le fait que le Ministère de la Justice ne déclarait pas la rémunération de ses experts judicaires et qu’il ne versait donc pas les cotisations sociales dues, notamment à l’URSSAF. On avait ainsi ce paradoxe (que nous avions dénoncé en son temps: cf. 7 septembre 2015 « Une République exemplaire »: 40 000 travailleurs au noir à la Justice) que la Garde des Sceaux de l’époque émargeait tout à fait officiellement et « ès qualités » parmi les plus grands fraudeurs sociaux de France. On apprend aujourd’hui non seulement que deux ans après, le solde des cotisations alors dues n’est toujours pas complétement apuré, mais en outre – circonstance aggravante, alors que les comptes de la Sécurité sociale sont toujours dans le rouge – que les URSSAF concernées ne prennent même pas la peine de lancer un recouvrement contentieux avec les sanctions y attachées, pas plus qu’elles n’engagent les autres procédures qui sanctionnent normalement toute fraude avérée. Pire encore, lors de la rédaction du dernier rapport annuel, l’encours venait tout simplement de s’augmenter de l’intégralité des sommes dues au titre de l’année 2017, en disant long sur l’arrogance d’un Ministère qui se croit au-dessus des lois, alors que sa mission est de les faire respecter !
2 – Lors d’un tout récent référé adressé le 12 octobre dernier aux deux Ministres de l’Économie et de l’Action et des comptes publics et que ceux-ci n’avaient révélé que deux mois plus tard à la date de publication dudit référé, la Cour avait pointé que plusieurs des plus hauts fonctionnaires de Bercy percevaient illégalement certaines primes dont, en raison de leurs qualifications et de leurs fonctions, ils ne pouvaient ignorer le caractère parfaitement irrégulier. Alors que le moindre chômeur attributaire par erreur d’un modique trop perçu au détriment de Pôle Emploi se voit immédiatement mis en demeure de procéder au remboursement que de droit, aucun des Ministres de Bercy n’a fait état dans sa réponse à la Cour des dispositions qu’il aurait prises afin de récupérer au plus vite les trop versés en cause auprès des heureux bénéficiaires, dont il n’est pourtant pas sûr que leur haute idée du service public les aient tous conduits à une restitution intégrale et spontanée!
II – L’analyse comparative
Force est par ailleurs de constater qu’après des décennies d’errements, ce ne sont pas les structures et les procédures actuelles de suivi, dont l’efficacité dépend du volontariat plus que de l’obligation, qui rétabliront le bon ordre et la régularité de nos finances publiques. Il perdure en effet chez nous un système de « dérives patentées » où in fine le contrôleur lui-même participe – volens, nolens – du gâchis qu’il dénonce, puisqu’il ne parvient jamais à le résorber et qu’il ne dispose d’aucune véritable contrainte juridique directe ou indirecte sur l’ordonnateur, qui le sait et dont l’inventivité dans l’irrégularité n’a pas de borne. Ainsi si l’activité des comptables publics est correctement contrôlée et effectivement encadrée par la Cour, celle-ci peut seulement pointer et dénoncer les fautes et la mauvaise gestion des ordonnateurs et décideurs publics. En effet – sauf la gestion de fait – ces derniers bénéficient d’une très large irresponsabilité qui explique à la fois la permanence, l’importance, l’incroyable variété et la multiplicité des irrégularités observées. La question est de savoir si l’organisation de nos finances publiques doit viser par priorité à assurer la richesse et le lustre des rapports de la Cour, ou si elle doit s’attacher à rétablir les principes d’ordre, d’économie et de bonne gestion dans la réalité quotidienne de l’ensemble de nos finances publiques. À l’étranger et notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais pas seulement, il existe des systèmes où l’auditeur a non seulement la mission de détecter les irrégularités, de les faire sanctionner, de proposer et de suivre les changements à opérer en procurant ainsi de substantielles économies aux finances publiques (le chiffrage détaillé de ces économies effectives – et non pas seulement potentielles comme chez nous – constitue d’ailleurs l’un des indicateurs les plus significatifs du bon fonctionnement et de l’efficacité de l’organisme de contrôle). Il existe même des systèmes où le secteur privé – qui en tant que contribuable a son mot à dire – fournit une partie appréciable des contrôleurs dans le cadre d’une variété de recrutement qui exclut toute complaisance entre gens de même appartenance. Chez nous rien de tout cela, chaque année la Cour, composée quasi-exclusivement de magistrats fonctionnaires (les exceptions sont subalternes et marginales), égrène le chapelet infini des turpitudes publiques d’autres fonctionnaires et tout continue comme devant ou presque au plus grand dam du contribuable qui finance à la fois les « voleurs » et les « gendarmes ». Notamment la Cour de discipline budgétaire et financière qui devait sanctionner les ordonnateurs est pratiquement tombée en déshérence (en moyenne nettement moins de dix saisines par an!), au point que sa suppression a plus d’une fois figuré à l’ordre du jour. Or tant que la République n’aura pas mis en place une véritable responsabilité de l’ordonnateur, qui, avec une gradation adéquate, puisse aller effectivement jusqu’à son licenciement (fonctionnaire) ou à sa révocation (élu) dans le cas des fautes les plus graves, notre contrôle des comptes souffrira d’une carence rédhibitoire qui le condamnera largement à l’impuissance, en le réduisant à consigner et à rédiger au lieu d’agir, comme si la plume remplaçait la sanction et la réforme.
III – Un espoir, peut-être ?
D’ailleurs et parce qu’il sait bien que ces critiques contre l’inefficience des recommandations de sa juridiction tendent à devenir récurrentes, le Premier Président de la Cour des comptes, Didier Migaud, vient de réagir le vendredi 26 janvier, lors de l’audience solennelle de la Cour régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il propose que » le contrôle des comptes publics puisse enfin conduire à des « sanctions administratives » à l’encontre notamment des ministres ou des élus locaux, tout en relevant qu’en cas d’erreurs graves ou persistantes, » le régime actuel de mise en responsabilité n’est plus adapté aux attentes de nos concitoyens et aux exigences en matière de transparence de la vie publique « . Et d’ajouter lors d’un point presse qu’il faut que « personne ne soit exonéré de sa responsabilité surtout s’il s’écarte des règles. Or le président de la République a annoncé la suppression de la Cour de justice de la République, (CJR), donc la question de la responsabilité des ministres doit à nouveau être sur la table« . Au moment de conclure, gardons-nous pourtant de tout emballement excessif et rappelons-nous l’adresse fameuse de ce prédicateur d’un siècle où la grandeur du pays voulait encore dire quelque chose: « Dieu se rit de ceux qui maudissent les conséquences des causes qu’ils chérissent« . Malheureusement, s’il n’échappe à personne que nous avons chez nous de plus en plus de fervents zélateurs du culte de Jupiter, qui reste-t-il donc de nos jours pour croire encore tout simplement en Dieu?
3 commentaires
En finir avec (ou au moins réduire) l'entre-soi.
La France est championne du Monde en hypocrisie:il y est de bon ton de dénoncer les conflits d'intérêt du monde civil ou privé mais pas ceux du monde public.Or le conflit d'intérêt le plus durablement dommageable et le plus évident (sauf chez nous!) est celui qui consiste à laisser le contrôle de la Fonction Publique à la Fonction Publique elle-même. Une façon de tenter d'en sortir serait d'exclure les Fonctionnaires des principales fonctions électives du pays. Comment voulez-vous qu'un député ex et futur fonctionnaire ait le courage ou simplement l'envie de mettre de l'ordre dans son propre milieu?
Dans l'Ancien Régime, tant décrié, les Fermiers Généraux étaient responsable sur leurs biens personnels; ce n'était pas une si mauvaise solution quand on sait, à titre d'exemple, que l'ex-patron du Crédit Lyonnais (Inspecteur des Finances de haut rang), après avoir fait un trou de plus de 55 milliards (que "nous" avons comblé) s'en est tiré avec une condamnation de 1 euro de dommages et intérêts et 6 mois de prison avec sursis. Je vous invite à vous renseigner sur ses conditions de retraite aujourd'hui…
Dans l'Ancien Régime, tant décrié, les Fermiers Généraux étaient responsable sur leurs biens personnels; ce n'était pas une si mauvaise solution quand on sait, à titre d'exemple, que l'ex-patron du Crédit Lyonnais (Inspecteur des Finances de haut rang), après avoir fait un trou de plus de 55 milliards (que "nous" avons comblé) s'en est tiré avec une condamnation de 1 euro de dommages et intérêts et 6 mois de prison avec sursis. Je vous invite à vous renseigner sur ses conditions de retraite aujourd'hui…