L’amputation du budget de la Défense souligne l’hésitation du pouvoir sur ses priorités. Probablement parce que sa position au regard du périmètre de l’Etat demeure incertaine. Certes le discours exprime la vision d’un Etat fort et d’une libération des initiatives. Mais la question reste de savoir si la nouvelle majorité est, ou non, disposée à revenir sur le modèle de l’Etat-providence qui pèse sur les charges des entreprises, sur le pouvoir d’achat des ménages et plus généralement sur la dynamique de tout un peuple.
Le taux de prélèvements obligatoires oscille en France entre 45 et 46% quand la moyenne européenne est proche de 34%, ce qui était le taux français dans les années 70. C’est l’élargissement du domaine de l’Etat qui a accru ses besoins. Là où le rôle du pouvoir royal était autrefois clairement cantonné aux fonctions de justice, de défense extérieure et intérieure et éventuellement de garantie de la monnaie, la modernité se définit notamment par l’extension des interventions régaliennes aux domaines social et économique. Il s’agit désormais pour le pouvoir, qui se démocratise – et sans doute en partie pour cette raison-, de considérer selon les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en préambule à la Constitution de 1793 que « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux… ». Et tandis que le budget de l’Etat est contenu à hauteur d’environ 11% du PIB après déduction des prélèvements au profit des collectivités locales et de l’Union européenne, c’est surtout le budget social qui est devenu obèse, représentant environ le tiers du PIB.
La question est donc bien désormais celle du champ de l’intervention publique. Il ne paraît pas prêt de se rétrécir quand la seule solution à la totale déficience du RSI consiste à le faire absorber par la Sécurité sociale, alors que ce pourrait être l’occasion de donner aux professionnels indépendants la possibilité de s’assurer auprès de la compagnie ou mutuelle de leur choix, la Sécurité sociale ne conservant à sa charge que les dépenses de solidarité qui relèvent de l’impôt.
Trop de mesures semblent s’arrêter à mi-chemin. Pour accueillir les bacheliers écartés de l’université, une alternative à l’augmentation des budgets publics serait de lever le monopole de la collation des grades et de favoriser la création d’universités privées. La réforme en cours du droit du travail, attendue comme un signal majeur de libération des relations sociales, laisse craindre une certaine pusillanimité quand le doublement des seuils donnerait à lui seul une bouffée incroyable d’oxygène aux entreprises sans coût pour les finances publiques.
La taxation forfaitaire à 30% des revenus mobiliers et la suppression de l’ISF sur les valeurs mobilières encouragera l’investissement et la croissance économique, mais la condamnation de la soi-disant rente immobilière en pervertit l’esprit et en atténue l’effet. Pourquoi ne pas étendre la taxation forfaitaire à tous les revenus au-delà d’une franchise qui permette qu’aucun contribuable ne soit plus taxé qu’aujourd’hui, ce qui serait possible, tout en augmentant le produit de l’impôt, en en étendant l’assiette à celle de la CSG ? Et en matière d’ISF, il conviendrait pour le moins que les taxes foncières soient déduites de l’impôt et qu’en soient exonérés les investissements en faveur du secteur industriel et commercial.
La courageuse et nécessaire réforme de l’école publique qui s’annonce pourrait être complétée d’une plus grande liberté donnée aux parents en accordant pour chaque élève un bon scolaire à remettre à l’école, publique, associative ou autre, à laquelle ils confieraient leurs enfants dans un cadre légal ayant pour objet d’éviter les dérives. L’école privée est 30 à 40% moins onéreuse que l’école publique et la concurrence favoriserait l’efficacité du secteur public lui-même ainsi qu’en témoignent les nombreux exemples étrangers, par exemple néerlandais ou suédois.
En matière de dette publique, notre pays dépense tous les ans 135 milliards d’euros de plus que l’Allemagne et il est plombé par les mesures à retardement que le précédent gouvernement a décidé. Au-delà des économies déjà sévères annoncées à bon escient, il faut engager des réformes structurelles qui passeront nécessairement par une remise en cause progressive du statut de la fonction publique, surprotecteur et désuet, sans laquelle l’Etat et les collectivités locales ne sauront pas gérer efficacement leurs ressources humaines : la France a 1,6 million de fonctionnaires de plus que la moyenne européenne et 3 millions de plus que l’Allemagne (en rapport à la population).
Il est du rôle de l’Etat et plus généralement de la collectivité publique de veiller au bien commun. Mais celui-ci n’est pas le devoir de prise en charge universelle des citoyens dont se croit investi l’Etat-providence qui détruit ainsi à petit feu la responsabilité individuelle. Or les premiers choix de la nouvelle majorité inquiètent à cet égard : l’exonération de taxe d’habitation réduira l’autonomie des communes et déliera les citoyens de leur rapport aux contraintes des réalités locales tandis que la prise en charge des cotisations chômage et maladie déresponsabilisera les salariés à l’égard de leurs assurances sociales.
Pour redresser la France, il faut faire le choix clair du renoncement à l’Etat-providence, ce qui à terme sera profitable aux Français. L’ambiguïté demeure toujours une tromperie de soi-même et des autres.
Jean-Philippe Delsol, avocat, et Nicolas Lecaussin, respectivement président et directeur de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, (IREF), auteurs de l’ouvrage Echec de l’Etat, pour une société de libre choix, Le Rocher 2017.