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L’inversion des normes : un enjeu essentiel qui n’est pas encore gagné !

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Le programme de M. Macron prévoyait une réforme du droit du travail pour simplifier celui-ci et le fluidifier et plus généralement procéder à la « rénovation de notre modèle social » et « renforcer le dialogue social ». Un axe majeur de cette réforme est l’inversion des normes de telle façon que les accords d’entreprise puissent primer sur ceux des branches, voire sur la loi. A force de vouloir satisfaire tout le monde « en même temps », le risque est que la montagne accouche d’une souris.

Comme l’ont rappelé récemment Pierre Cahuc et André Zylberberg (Les Echos, 27/06/2017), il existe en France environ 700 branches professionnelles (contre 75 en Allemagne) au sein desquelles sont négociés des accords qui s’imposent aux entreprises affiliées aux organisations patronales signataires et qui sont généralement étendus aux autres employeurs de la branche par le ministère du Travail, de telle façon que 92% des salariés y sont assujettis. Des études menées en Espagne et au Portugal ont démontré que ces procédures contraignantes détruisent 2 à 5% des emplois.

Les négociations par les branches déresponsabilisent employeurs et employés

Les entreprises ont toutes leurs spécificités, leurs besoins, leurs exigences, et de plus en plus. Leur imposer des règles uniformes est contre-productif sur bien des aspects. Au surplus, ce sont généralement les plus grandes sociétés qui ont les moyens de s’occuper des organisations patronales et qui négocient ces accords souvent inadaptés et trop lourds pour les plus petites entreprises.

D’une manière plus générale, cette préemption des négociations par les branches déresponsabilise employeurs et employés en même temps qu’elle les soumet à des obligations inadaptées. A l’inverse, en rendant aux deux parties leur liberté de définir leurs propres règles de fonctionnement, la créativité et la productivité de l’entreprise et de ses acteurs seront stimulées. En négociant sur le terrain, l’objectif sera de satisfaire les attentes concrètes des employées en tenant compte des nécessités de l’entreprise. La réalité prédominera là où aujourd’hui l’idéologie l’emporte. Chacun sera face à ses propres responsabilités quand au niveau de la branche les postures prévalent.

D’ailleurs, le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social, présenté ce 28 juin, est parfaitement clair à cet égard et prend en compte tous ces éléments.

Il constate que « Conçu historiquement pour organiser les relations de travail dans les grandes entreprises industrielles, notre droit du travail ne répond plus à la diversité des entreprises, des secteurs, des parcours et des attentes des salariés. Au lieu de protéger les salariés et de soutenir l’activité des entreprises, il fragilise parfois les premiers en imposant des règles rigides qui sont souvent contournées dans la pratique et freine le développement des secondes, par sa difficulté à s’adapter rapidement à la réalité changeante des situations économiques, notamment dans les TPE/PME et les jeunes entreprises. Le principe d’égalité ne saurait conduire à l’uniformité de la norme pour tous les salariés de toutes les entreprises, quels que soient la taille et le secteur. La protection des salariés peut en effet être mieux assurée par des normes négociées entre représentants des salariés et des employeurs dans le respect de principes intangibles fixés par la Loi… Trouver les solutions innovantes pour articuler performance sociale et performance économique, pour allier bien-être et efficacité au travail, ne peut se faire qu’au plus près du terrain, par un dialogue entre les acteurs directement concernés, dans un cadre souple et protecteur. »

C’est sur la base de cet exposé qu’est bâti l’article1du projet qui « porte sur la nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche et l’élargissement sécurisé du champ de la négociation collective. La branche conserve un rôle essentiel pour réguler les conditions de concurrence et définir des garanties économiques et sociales. Pour autant, l’entreprise est le lieu où la création de la norme sociale permet de répondre de manière pertinente aux besoins spécifiques des salariés et des entreprises en construisant le meilleur compromis au plus près du terrain… L’ordonnance prévue à l’article 1er aura pour objet de reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise… »

Autant dire qu’il ne resterait aux accords d’entreprise que les miettes

Reste à savoir si les textes promulgués in fine seront à la hauteur des espoirs suscités par le projet. Les syndicats (à part la CFTC) n’apprécient pas du tout ces orientations parce qu’en réduisant le rôle des branches, elles remettent en cause un système établi qui entretient des armées de représentants syndicaux salariés passant leur vie à négocier plutôt qu’à travailler.

A force de vouloir satisfaire tout le monde « en même temps », le risque est que la montagne accouche d’une souris. Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, déclare que « des choses ont déjà bougé. Pendant la campagne, on avait des déclarations donnant la primauté à l’entreprise. Aujourd’hui cela va dans le bon sens, et la branche reprend de la vigueur » (Le Monde 29/06/2017). « Nous attendons de voir. Nous sommes encore en phase de consultation et les choses ne sont pas arrêtées » dit Marylise Léon de la CFDT (Le Monde, 30/06/2017). D’ores et déjà, la ministre du Travail semble avoir donné des gages. Il faut « renforcer l’accord d’entreprise mais aussi la négociation de branches » dit-elle (idem). Et aux domaines jusque-là réservés aux branches, d’autres attributions semblent devoir être ajoutées comme la mutualisation des financements consacrés au paritarisme et la gestion et la qualité des emplois, vaste sujet fourre-tout et ouvert à toutes les interprétations. Les branches pourraient avoir encore la possibilité de « verrouiller » les dispositions relatives au handicap, à la prévention des risques professionnels et à la pénibilité.

Autant dire qu’il ne resterait aux accords d’entreprise que les miettes. Muriel Pénicaud a cité comme devant relever des négociations d’entreprises « le montant des frais de déplacement » ou « le format des entretiens annuels ». Si on en arrive là, ce sera un échec dans la dérision. Pourquoi une telle frilosité ? Est-ce parce que la ministre du Travail reste ancrée dans l’idéologie qui l’animait quand elle était le conseil de Martine Aubry ? Ou parce qu’elle est empêtrée dans le rôle qu’elle a joué pour couvrir les dépenses de Business France à Las Vegas dans la campagne de M. Macron ?

Quoiqu’il en soit, il faut espérer que M. Macron saura réussir dans ce bras de fer en coulisse. Différemment, il risque de finir comme Hollande, impotent. Qu’il s’étonne des risques budgétaires que son prédécesseur lui aurait cachés alors qu’il a façonné la politique économique avec lui durant quatre années ne laisse pas d’inquiéter. Mais donnons-lui la chance de gagner son pari de la réforme. Il y va de l’intérêt de la France.

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1 commenter

theano 4 juillet 2017 - 7:55

Et allez!
Comme dirait Mr Mélenchon (et pourtant je ne suis pas du tout de son bord politique), à quand un Code de la Route spécifique à chaque rue?

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