Faire en sorte que davantage de gens puissent mieux gagner leur vie, c’est le souhait de tout économiste. Certains pensent que ce noble objectif peut facilement être atteint en instaurant et/ou en augmentant le salaire minimum. Dans une logique keynésienne, des salaires plus élevés stimulent alors la demande pour les entreprises, et la boucle est bouclée. Pourtant, la « solution miracle » est loin d’être aussi convaincante, comme tend à le montrer assez clairement une étude toute récente publiée par le National Bureau of Economic Research sur l’expérience célèbre d’augmentation du salaire minimum dans la ville de Seattle.
Bonnes intentions
Voilà trois ans en effet, la ville américaine, située dans l’état de Washington sur la côte Ouest, votait une série de hausses du salaire minimum pour arriver à 15 dollars de l’heure en 2017 (pour les entreprises de plus de 500 salariés aux USA ne proposant pas de couverture médicale à leurs employés) et 2018 (pour les entreprises de plus de 500 salariés aux USA proposant une couverture médicale), soit plus du double du salaire minimum fédéral de 7,25 dollars. Pour accompagner cette expérimentation, la ville avait tout de même chargé des chercheurs d’obédiences variées de juger des résultats. La première hausse en 2015, de 9,47 à 11 dollars, n’avait eu qu’un léger effet négatif sur l’emploi. Concernant la deuxième hausse, de 11 à 13 dollars en 2016, une première étude publiée le 20 juin par des chercheurs de l’université de Berkeley s’était focalisée sur les fast-foods et n’avait pas trouvé de baisse de l’emploi. Le maire de Seattle voyait sa politique de bonnes intentions confirmée ! La ville est riche, avec un salaire médian parmi les plus élevés des États-Unis : ses entreprises devaient bien pouvoir se payer une telle hausse !
Ou pas… Car une deuxième étude est venue totalement contredire la première, le 26 juin. Chose inédite, les chercheurs de l’université de Washington ont pu utiliser les données, – fournies par le département de la sécurité de l’Emploi de l’état de Washington – des heures travaillées et des salaires des employés en bas de l’échelle salariale de tous les secteurs économiques de Seattle, et pas seulement dans la restauration fast-food, comme beaucoup d’études précédentes, notamment celle de Berkeley. Le point important est que ces données permettent de voir non seulement le nombre d’emplois, qui pourrait être non affecté par la hausse, mais également le nombre d’heures effectivement travaillées. Le degré de précision de cette étude est donc sans pareil.
Mauvaises politiques
Quel a été le résultat de la deuxième hausse, de 18 %, de 11 à 13 dollars de l’heure en 2016 ? Selon la seconde étude des chercheurs de l’Université de Washington, le nombre d’heures et les revenus des travailleurs au bas de l’échelle des salaires ont été réduits de 9 % sur les trois premiers trimestres. 3,5 millions d’heures par trimestre ont été supprimées. Tout cela s’est traduit par une suppression de 5000 emplois, soit 7 % de baisse. En moyenne les travailleurs les moins rémunérés ont perdu 125 dollars par mois après le passage du salaire minimum horaire, effaçant les gains de la première hausse.
Le raisonnement économique de base en théorie des prix est ici confirmé : la fixation « politique » d’un prix au-dessus de son niveau « naturel » génère une réponse, à la baisse, de la part de la demande – ici celle des entreprises en termes de travail. En outre, pour ce nouveau taux de salaire, les entreprises choisiront, pour les mêmes tâches, des gens plus qualifiés et plus productifs. Ce qui s’est passé également à Seattle. Elles pourront aussi remplacer les salariés par des machines : voyez les bornes de commande chez Mc Donald’s… Au final – conséquence inattendue de la politique publique – les moins compétents sont écartés du marché du travail.
Il faut plus de demande de travail et de concurrence du côté des entreprises
Si la « recette magique » du salaire minimum ne fonctionne pas, comment faire alors pour augmenter les salaires et les revenus réels des travailleurs ? Pas de miracle là encore : il faut créer plus de demande de travail et de concurrence du côté des entreprises. Cela signifie inévitablement faciliter la création et le développement d’entreprises. Pas par des subventions et autres stratagèmes qui reviennent tôt ou tard à augmenter la fiscalité des entreprises et des particuliers – et donc annihiler le pseudo effet stimulant des subventions. Il faut au contraire réduire la fiscalité des entreprises à un niveau rationnel – ce qui suppose d’un autre côté une rationalisation de la dépense publique. Il s’agit également de réduire la partie des réglementations, de type « logique bureaucratique », qui s’avèrent inutilement coûteuses et contreproductives pour les entreprises – et donc pour l’emploi : davantage d’entreprises, ce sont des travailleurs qui sont avantagés ; des entreprises entravées, ce sont moins d’emplois et, au final, des travailleurs désavantagés.
Encore une fois donc, les simples bonnes intentions ne font pas forcément les bonnes politiques. Il parait de ce fait nécessaire d’adopter une approche globale de la question des salaires, en comprenant les incitations de toute une chaîne d’acteurs et les causes institutionnelles du manque d’emploi et d’entreprises, et non de recourir à des expédients politiques qui se focalisent sur un symptôme.
2 commentaires
relocaliser !
Effectivement. Si on veut relocaliser le secteur du textile de Bangladesh en France, il faut supprimer le Smic. Et de même si on veut plus que nos guirlandes de Noël soient fabriquées dans les gaolais chinois.
Bonnes intentions
je valide avec un v au majuscule!!merci docteur Emmanuel vous avez fait de critiques valides!!