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La réforme des programmes des collèges

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Avec les discours creux et souvent soporifiques de nos politiques, on savait depuis longtemps que l’éloquence avait déserté les bancs du Gouvernement, tout comme ceux du Parlement d’ailleurs. Le dépouillement des lois, décrets, règlements et circulaires, avait achevé de nous convaincre que notre personnel administratif n’était pas en reste et que ce qui se conçoit mal en haut s’écrit le plus souvent confusément en bas, avec notamment une sorte de peur panique d’être compris à première lecture, un travers administratif très français qui ne distingue pas d’ordinaire les intelligences les plus vives. On croyait ainsi avoir touché le fond, quand sans crier gare et à l’occasion de la dernière réforme des programmes des collèges, l’Education Nationale s’est brusquement mise en tête de nous révéler la richesse cachée de tous ses trésors et le génie puissamment créatif de ses penseurs d’élite.

C’est ainsi que les journalistes – qui pourtant eux-mêmes ont souvent beaucoup de choses à se faire pardonner – ont réuni comme à loisir un florilège de la novlangue qui sévit déjà depuis des lustres rue de Grenelle. Savez-vous par exemple que le « travail sur texte lacunaire pour problématiser en réception l’étude de l’élément linguistique visé » cherche tout simplement à renforcer « les compétences langagières » (si, si, vous avez bien lu!) de nos chères têtes blondes (ou pas). De même, la plus modeste de nos piscines municipales se trouve promue d’un coup au rang enviable de « milieu aquatique profond standardisé« , ce qui incontestablement rajoute beaucoup à son statut assez banal d’équipement sportif. Reconnaissons pourtant à ces formules rien moins qu’évidentes deux objectifs parfaitement clairs et pleinement atteints: d’abord impressionner l’interlocuteur ou le lecteur en lui laissant entendre qu’il n’a pas tout à fait l’intelligence ou le niveau nécessaire pour comprendre parfaitement tout ce qu’on lui dit, puis larguer imparablement les parents qui entendraient se soucier d’un peu trop près de ce que l’on veut faire apprendre à leurs enfants. Mais ici déjà commence à poindre le principal reproche que l’on peut faire à ces « perles », dont nous avons volontairement très strictement limité la sélection, dans un registre dont les mots ordinaires n’arrivent pas à rendre le chatoiement « incroyable » (au sens de ce mot sous le Directoire, lorsque son féminin était « merveilleuse »).

En effet pour tous ceux à qui leur formation ou leur métier a appris à ne pas s’arrêter à la surface ou à l’apparence des choses et qui savent en conséquence conduire par eux-mêmes une réflexion personnelle et libre, un autre défaut, rédhibitoire celui-là, pointe immédiatement. Non seulement nos pédagogues en chef sont obscurs et grandiloquents, mais en outre quand on prend la peine de disséquer leur verbiage, on s’aperçoit qu’il « dévisse » soit parce qu’il est formellement confus, soit parce qu’il est sémantiquement faux. Formellement confus? Certes le titre même de l’exercice est ronflant, puisque la réforme propose rien moins que d »aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs« , à ceci près que si la locution est simplement transposée en  » aller de soi vers l’autre et de l’ici vers l’ailleurs » elle devient immédiatement plus claire, plus signifiante et plus accessible, étant observé quand même qu’à chaque fois que l’on se rend ailleurs, ce dernier se commute malicieusement en « ici ». En outre et même si les auteurs n’ont guère de culture populaire (pouah!), on peut aisément imaginer les dégâts ironiques que le rappel quasi-réflexe de l’expression commune « Va voir ailleurs si j’y suis » peut aisément causer dans leur bel ordonnancement. Sémantiquement faux? Non, quoi que prétendent nos Trissotins qui ne doivent pas y aller souvent, la piscine n’est pas nécessairement un milieu aquatique profond, puisque tous les nageurs savent qu’ils gardent pied dans nombre de bassins qui ne sont pas pour autant des pédiluves et qu’en outre même pour les bassins plus ambitieux, des pancartes ou une ligne distinguent souvent le grand du petit bain. De même et pour rester dans le domaine de la natation, la définir doctement comme « la capacité à traverser l’eau avec le moins de résistance en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête » n’est pas davantage approprié, puisque l’on peut parfaitement nager, notamment dans des eaux boueuses ou douteuses, en gardant constamment la tête hors de l’eau ( au prix c’est vrai, d’une horizontalité plus « cambrée ») et que nombre de nageurs (et pas seulement novices) affichent longtemps et parfois définitivement une répugnance marquée à plonger leur tête sous l’eau.

On s’aperçoit donc qu’à gratter à peine du bout de l’ongle ces textes abscons, le vernis de la cuistrerie apparaît très tôt en réalité. Pas besoin d’aller plus loin pour mettre en évidence un défaut de maîtrise sidérant, un manque de compétence impardonnable sur les disciplines, sur les mots que ces « petits maîtres » entendent si doctement définir. Et tous ceux qui ont pu aborder de manière critique ce genre de textes savent qu’en réalité, la complexité de la présentation, l’emphase dans le vocabulaire, les formules alambiquées et vaines signent le plus souvent une profonde médiocrité qu’on tente de masquer à grand renfort d’expressions ronflantes et incompréhensibles du commun, comme pour tétaniser, pour paralyser d’avance le lecteur éventuel, ce « minus habens » (cet homme de peu) qu’on méprise ouvertement, en croyant qu’il n’aura jamais les moyens, ni la volonté d’aller au fond des choses.

Certes on pourrait, et la presse l’a fait, conserver un ton aimablement badin pour dénoncer ces dérives. Pourtant à y bien réfléchir, elles sont à la fois graves et préoccupantes. Pour deux raisons au moins. La première concerne toutes les questions que les parents, et même plus largement les citoyens, sont fondés à se poser quant au mode de sélection, à l’efficacité, à l’expérience et à la compétence de ceux qui trônent tout en haut de l’organigramme de l’Education Nationale et de ses satellites et qui, en détenant le pouvoir insigne d’orienter et de définir les programmes des collèges, ont la main sur l’avenir immédiat de nos enfants ou petits-enfants. La seconde, pas moins pressante, c’est de se demander comment entre la Ministre en charge de l’Education Nationale et qui n’est pas illettrée, son Cabinet, la haute hiérarchie du Ministère et les conseillers de tout poil qui assistent les précédents, il ne se soit trouvé personne de suffisamment avisé pour pointer et dénoncer à temps tous les travers et risques que faisait courir cette « outrance langagière ». Inspirée uniquement par l’égoïste vanité et la profonde fatuité de leurs auteurs isolés dans une sphère où nul ne parle que pour s’écouter, elle les montre rigoureusement incapables de virer leur cuti « pédago » et d’anticiper les inévitables réactions du public auquel ils sont censés s’adresser.

Mais, même si elle est proprement affligeante, cette brève plongée en apnée dans la communication du Ministère est pourtant hautement révélatrice. En effet, elle explique sans peine pourquoi dans toutes les matières ou presque depuis plus d’une dizaine d’années la France ne cesse de descendre une à une les marches d’un classement européen, dont elle va bientôt fermer le ban. Et ce, en dépit du discours convenu de tous nos politiques dont les promesses constamment martelées d’excellence, de priorité et de réussite tiennent au mieux du pieux mensonge et au pire…Chut! un reste de courtoisie m’interdit d’en dire plus!

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1 commenter

Rosalie 26 mai 2015 - 2:03 pm

Tellement vrai!
Superbe et si vrai, mais cela dure depuis plus longtemps que ce que vous signalez. Une trentaine d'années serait plus approprié. Cependant, comme pour le reste en France, on ferme les yeux, on attend que les dégâts soient irréparables et on en est là aujourd'hui.

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