Dans un rapport sans concessions publié (mais bizarrement ignoré par les médias) par la commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité de l’Assemblée nationale, l’Etat, la Commission européenne, et EDF sont tour à tour mis en cause dans la mauvaise gestion des tarifs de l’électricité, qui « sont à la fois source de confusion pour les usagers et de perturbations graves pour la survie de notre système électrique […] ». Ce rapport relève trois problèmes majeurs : d’abord l’augmentation des prix, ensuite une concurrence imposée par Bruxelles mais difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel des prix réglementés, et enfin la transition énergétique qui complexifie la situation.
Des hausses de tarif provenant surtout des taxes
Entre 2010 et 2013, les tarifs réglementés ont augmenté de près de 12 % pour les consommateurs particuliers. Depuis 2003, alors que le taux d’inflation moyen s’élève à 1,7 % l’an, les tarifs ont eux augmenté de 2 % par an.
Si le tarif français hors taxe de l’électricité reste l’un des plus bas en Europe, les constantes hausses ne satisfont nullement les ménages, qui voient leur facture grossir du fait de l’accroissement des taxes. Comme le rappelle Henri Proglio, le président-directeur général d’EDF, à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale : « La facture du client ne se limite cependant pas au tarif hors taxes ; c’est l’accroissement de celles-ci – dont la TVA et la contribution au service public de l’électricité (CSPE) – qui explique l’essentiel de l’augmentation de la facture des consommateurs depuis 2009. Pour un client résidentiel typique, 63 % de la hausse du prix, toutes taxes comprises, observée entre janvier 2009 et janvier 2013 a pour origine l’évolution de la CSPE et de la TVA. »
A l’origine, le tarif réglementé avait pourtant pour objectif de préserver le pouvoir d’achat, en protégeant les consommateurs de la volatilité des prix. Cette hausse touche particulièrement les personnes les plus fragiles économiquement, malgré la mise en place de dispositifs d’aide, comme le Tarif de première nécessité (TPN) depuis 2005. En 2014, l’aide apportée concerne 2,6 millions de foyers, mais celle-ci reste très modeste, environ 90 € par an et par ménage. Ce montant est à comparer avec la facture moyenne, qui s’élève à 787 € pour un particulier. Le TPN est financé par la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), dont la charge moyenne par facture est de 96 € (cf. graphique ci-dessous). Lorsqu’on étudie la décomposition de cette facture, on s’aperçoit que le montant moyen de l’aide équivaut en réalité au montant du prélèvement obligatoire (ici la CSPE), dont une partie sert justement à alléger la facture EDF des plus démunis. Une simple déduction fiscale eut été moins coûteuse pour la puissance publique en charge de collecter ce prélèvement…
Une concurrence limitée par la tutelle de l’Etat et le maintien des prix réglementés
La complexité de la facture EDF d’un particulier est en réalité le miroir de la complexité du calcul du Tarif réglementé de vente (TRV), qui ne correspond ni aux contraintes de coûts du fournisseur historique EDF, ni aux problématiques des nouveaux entrants, qui ne peuvent pas réellement jouer sur les volumes pour casser les prix, comme c’est le cas dans le secteur des télécommunications. « Excepté dans le cas des plus gros consommateurs, 60 % du montant de la facture moyenne correspond en effet aux charges de réseau et aux taxes, qui sont les mêmes quelle que soit l’offre », selon le rapport de l’Assemblée nationale. Les arrêtés tarifaires ont été contestés de nombreuses fois par les fournisseurs privés, qui demandent une marge de manœuvre plus importante sur les prix pour pouvoir continuer leur activité.
De son côté, « EDF a longtemps vécu à l’abri d’une réelle contrainte. En l’absence de concurrence, l’entreprise n’a pas été poussée dans ses retranchements, contrairement à d’anciens monopoles d’État, dont l’exemple le plus frappant est celui d’ Orange, qui a dû s’adapter face à des concurrents sérieux. En l’absence de véritable concurrence, à quoi bon réduire ses coûts d’exploitation ? Les pouvoirs publics ont une part de responsabilité dans cet état de fait. La tutelle s’est montrée trop peu pressante. Sans doute rassurée par des prix de l’électricité française perçus comme les plus bas d’Europe, alors même qu’ils avaient été tenus artificiellement à ce niveau par un manque d’investissements, elle a laissé la direction de l’entreprise gérer cette question. Au demeurant, la méthode « comptable » de couverture des coûts par les tarifs n’était pas en mesure de favoriser un réel effort de rationalisation des coûts. Jusqu’à un certain point, elle pouvait même encourager l’augmentation de ces derniers. »
La transition énergétique gaspille les aides publiques
Enfin, le rapport note que la transition énergétique, telle qu’elle a été conçue, est un nouveau poids pour le marché de l’électricité, qui fait face à une demande en baisse et des coûts en hausse, alors que de nouvelles technologies, dont les énergies renouvelables, « tirent parti des aides publiques au détriment des activités traditionnelles dont l’existence est purement et simplement menacée. » Et l’impact négatif de cette politique tarifaire ne s’arrête pas aux seuls ménage. Les industries françaises ont en effet un désavantage compétitif majeur, dans la mesure où la concurrence est désormais mondiale et les industries, grandes consommatrices d’électricité, qui bénéficient de conditions favorables et de prix stables s’en sortent mieux. Des centaines de milliers d’emplois sont concernés par ces sombres perspectives. Or, rien n’est fait pour sortir de cette politique de prix d’un ancien temps, au détriment des consommateurs, des ménages et des entreprises. Ce rapport de l’Assemblée nationale a le mérite de poser le problème d’un marché complexe et où les enjeux sont importants, tout en essayant d’être force de proposition. Espérons que la commission d’enquête débouche sur de vraies réformes du tarif de l’électricité.
2 commentaires
Augmentation des taxes
Article très intéressant et bien explicite.
Un seul regret c'est qu'en regard du tableau de l'augmentation du tarif réglementé il n'y ai pas eu un tableau de l'augmentation du total des taxes. Ces dernières ayant augmenté certainement plus vite que le coût du kWh.
Dans quelles "poches" vont les taxes ?
Merci pour cet article qui fait ressortir, en effet, que, sur chaque facture, le montant des taxes est supérieur à celui de la consommation réelle ! Le descriptif de ces taxes est incompréhensible et on se demande à quoi elles sont destinées. L'Etat n'est pas "clair" sur le sujet et on pourrait penser qu'il y a une partie qui serait un impôt "déguisé" ! (je suis mauvaise langue). Quand l'Etat va-t-il gérer "ses" entreprises" comme celles du privé ? On subit mais jusqu'à quand ? Hélas, on ne peut pas faire la grève de l'électricité. Merci.