Une fiscalité plus lourde dissuade les gestionnaires de recourir aux fonds propres apportés par les actionnaires. Le financement se fait par l’endettement, ce qui explique en partie les délocalisations. Telle est la conclusion d’une étude commandée par l’IREF au professeur Stefan Lutz, publiée sous le titre « Les effets de la taxation sur les financements et les profits des multinationales européennes » et dont voici la présentation.
Il est évident que les entreprises n’aiment pas les impôts, la raison principale étant qu’elles réduisent les profits : les actionnaires sont déçus et les perspectives d’investissements et de développement sont pénalisées.
Cette étude se concentre sur la manière dont les entreprises réagissent à la taxation en modifiant leur « gearing », c’est-à-dire la composition des ressources financières à leur disposition (le ratio endettement – fonds propres). La recherche a été réalisée sur un panel de 240.000 entreprises européennes pour la période 1985-2010.
Les études précédentes ont donné des résultats mitigés, du fait que certains auteurs ont soutenu que le ratio endettement-fonds propres ne change pas de manière significative sous l’effet de la fiscalité. Au contraire, certains autres auteurs ont soutenu que le gearing changeait, mais que la variation dépendait de la nature de l’imposition.
En analysant cette extraordinaire masse d’informations, Stefan Lutz est arrivé à deux conclusions importantes :
– indépendamment de la nature de l’imposition, la fiscalité pousse les entreprises à augmenter leurs emprunts (dette) et à réduire leur dépendance des fonds propres (capital-risque).
– une imposition plus forte a des effets mitigés sur la rémunération des fonds propres. Ceci est dû au fait qu’imposition et fort endettement amoindrissent les profits, mais puisque le montant des fonds propres aura diminué, le résultat net est ambigu.
Ainsi, les conclusions pour les zones à très forte imposition sont claires. Lorsqu’elles augmentent le niveau d’imposition, les autorités :
– affectent la profitabilité de l’entreprise, mais ne touchent pas nécessairement les “riches”, puisque les investisseurs (riches et pauvres) s’abstiennent de risquer leur argent et choisissent de partager un plus petit gâteau inscrit dans un plus petit capital ;
– encouragent les entrepreneurs à migrer vers des législations et des pays plus accueillants pour ceux qui veulent risquer leurs avoirs pour financer leurs idées ;
– perdent les industries innovantes, où le risque est élevé, mais où les perspectives de croissance et de retour sur investissement sont également élevées ;
– rendent le système financier plus fragile puisque les bailleurs (dont les banques) finissent par prendre des risques qu’ils n’auraient pas acceptés si la fiscalité avait été plus modérée.
Finalement, les délocalisations des entreprises prennent en compte non seulement le coût des facteurs et l’infrastructure, mais aussi le régime fiscal, qui fait varier la compétitivité et les profits. La fiscalité a certes un effet négatif sur les profits, mais pas nécessairement sur les dividendes des actionnaires, puisque les entreprises modifient leur ratio endettement-fonds propres, et que le nombre d’actionnaires diminue dans la zone considérée. Cela peut expliquer pourquoi les entreprises multinationales sont découragées d’investir dans des zones fortement fiscalisées ; elles sont au contraire incitées à investir n’importe où ailleurs, là où les fonds propres sont le mode de financement privilégié et où leur rémunération représente une part plus importante de la valeur ajoutée.
Stefan Lutz est professeur à l’Université de Manchester (UK) et à l’Université Complutense de Madrid, il est chercheur à l’IREF, Luxembourg.