Châtier les Français qui quittent le pays pour des raisons fiscales : les candidats s’en occupent activement ! Leur préoccupation n’est pas seulement financière, puisqu’il existe avec des pays comme la Suisse des accords de remboursement des impôts. Leur volonté est d’imposer une morale d’Etat : cette menace contre la liberté individuelle est dénoncée par Maître Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste administrateur de l’IREF.
Le sentiment général de cette campagne présidentielle est celle d’un dévoiement de la justice fiscale en morale d’Etat. Il faut taxer les riches par patriotisme, même si ça ne rapporte rien, dit François Hollande, comme si l’amour de la patrie consistait à régir la situation patrimoniale et les revenus de chacun. Madame Pécresse demande pour sa part que la France poursuive sa guerre contre les Français ayant des comptes occultes à l’étranger, non pas pour qu’ils payent leurs impôts, mais pour les empêcher de préserver la confidentialité de leurs avoirs.
Les accords Rubik : les Suisses proposent une solution acceptable
Dans le cadre des accords dits Rubik, la Suisse propose aux Etats européens de taxer elle-même leurs ressortissants, tout en préservant leur anonymat de telle façon que les contribuables puissent préserver la confidentialité de leurs avoirs tout en payant leurs impôts normalement. Au-delà d’un coût de régularisation qui peut représenter 20 à 25% de la « fortune », prélevé en une fois pour régulariser le passé, la Suisse s’engage à percevoir ensuite une taxe annuelle (26,375 % en Allemagne; entre 27 et 48 % en Grande-Bretagne) reversée aux Etats de résidence des contribuables concernés. En échange, l’anonymat des comptes est préservé et les titulaires des comptes sont exonérés de toute poursuite pénale ou fiscale dans leur pays de résidence. Cette taxe est imposée sur les revenus des comptes suisses de ces résidents et elle est calculée à un taux fixé par convention et correspondant au taux moyen des impôts qui seraient dus dans l’Etats de résidence. Ainsi, l’intérêt du Trésor est-il préservé autant que le secret bancaire et la liberté des contribuables de le conserver. Après l’Angleterre, l’Allemagne a signé cet accord que lui proposait la Suisse le 21 septembre 2011.
Mais la Commission européenne est vent debout contre ces accords dont elle craint qu’ils empiètent sur ses prérogatives et notamment sur les renégociations relatives à la révision de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne ainsi que des accords que l’UE a conclus dans ce domaine avec la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et Monaco. Les accords Rubik n’auront-ils pas « pour effet de freiner l’évolution vers un échange automatique de renseignements à des fins fiscales? » s’inquiète-t-elle. Bien que Berne pour sa part se soit engagée, à l’occasion de la signature de tels accords, à améliorer les possibilités d’assistance administrative, à la demande, sur les cas d’évasion fiscale, la France s’oppose à ce système comme sur une question de principe. Elle a dit NON haut et fort à la Suisse le 21 novembre dernier. « Nous ne vendrons pas notre âme pour un milliard » aurait déclaré Valérie Pécresse.
La France négocie ces accords
Pourtant, la vertueuse France a déjà accepté ce genre de deal avec la Suisse, justement dans le cadre de la directive épargne de l’UE. La Suisse perçoit un impôt de 35% sur les intérêts des avoirs des Français, s’en garde 25% et donne le reste au Trésor français. Et à jouer les pudibonds effarouchés, la France risque d’être marginalisée. Après le Royaume-Uni et l’Allemagne, la Grèce et l’Italie s’apprêtent à signer des accords Rubik. Les Belges et les Néerlandais ont été approchés par le gouvernement helvète. De leur côté, d’autres paradis fiscaux européens, comme le Luxembourg et le Liechtenstein, s’en trouvent inspirés et veulent mettre en place des traités semblables.
Certes, l’histoire n’a pas dit son dernier mot, car l’Allemagne n’a pas encore ratifié le traité Rubik avec la Suisse, et des voix se font entendre en Allemagne pour s’y opposer. Et par ailleurs, il se dit à Genève que la France continue de négocier avec la Suisse.
Menaces sur la vie privée et la liberté
Mais la question est surtout de savoir ce qui est juste. Les Etats ont-ils pour vocation de faire la morale, d’imposer l’égalité au forceps, de s’ingérer dans la gestion des biens des individus ; ont-ils le droit de tout savoir des citoyens et d’exiger d’eux une transparence totale de leurs avoirs même s’ils payent normalement leurs impôts ?
Notre réponse est évidemment non. Non seulement une telle attitude est financièrement mauvaise pour la France, mais elle est dangereuse pour les Français. La liberté, qui est la condition de tout développement humain, requiert que chacun puisse placer son argent comme il l’entend, pour autant qu’il paye ses justes impôts et ne commette pas d’infraction pénale, que chacun ait le droit de conserver la confidentialité de son patrimoine, que chacun puisse voter avec ses pieds, y compris pour gérer ailleurs ses actifs. Différemment, c’est Big Brother qui s’annonce, un Etat qui commence à prétendre que ses contribuables lui appartiennent avant de vouloir entièrement les contrôler, qui utilise son monopole de la contrainte pour imposer une morale d’Etat, pour pervertir la loi au profit d’une idéologie assénée au nom de fausses bonnes intentions dont chacun sait que l’enfer est pavé.
Réaction salutaire des juges
La justice existe pourtant, qui nous protège encore. Des clients de HSBC l’ont rencontrée. L’administration fiscale avait obtenu d’un juge l’autorisation de perquisitionner le domicile d’un contribuable français sur la base des informations fournies par le fichier HSBC volé par un agent de cette banque en Suisse et transmis par lui à l’administration. « C’est à bon droit, a décidé la Cour de cassation (31 janvier 2012, n° 11.13.097) qu’après avoir constaté que des documents produits par l’administration au soutien de sa requête avaient une origine illicite, en ce qu’ils provenaient d’un vol, le premier président a annulé les autorisations obtenues sur la foi de ces documents, en retenant qu’il importait peu que l’administration en ait eu connaissance par la transmission d’un procureur de la République ou antérieurement ».
Et la justice existe encore qui nous permet de nous exprimer. Dans un arrêt trop peu commenté, le Conseil constitutionnel a eu pour une fois du courage et a heureusement jugé contraire à la constitution, le 28 février dernier, la loi visant à réprimer la contestation des génocides reconnus par la loi. Non pas qu’il s’agisse de nier le génocide des Arméniens comme celui des Vendéens ou des Juifs…, mais le Conseil estime que, « en réprimant la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression ». Ouf, nous avons, dans un autre registre, encore le droit de dire que la morale d’Etat que voudraient nous imposer les candidats à la Présidence est une parodie de justice fiscale.