Au mois de mai 1979, le nouveau Premier ministre britannique, Margaret Thatcher, annonçait le programme de la « révolution conservatrice » s’appuyant en particulier sur la privatisation de nombreuses entreprises et l’introduction de la concurrence au sein même de l’Etat, tant au niveau des services publics qu’à l’intérieur de l’administration.
Il faut dire que la Grande-Bretagne de la fin des années 1970 était l’enfant malade de l’Europe avec un des taux d’imposition les plus élevés (83% de taux maximum), un chômage largement au-dessus de la moyenne européenne, une inflation galopante (de l’ordre de 20%) et un recul de l’investissement sans précédent. En 1980, le PIB britannique était inférieur de 25% au PIB français.
Face à cette situation catastrophique, aggravée par des grèves à répétition dans tous les secteurs d’activité, Thatcher change de cap et lance une vaste campagne de privatisations. En peu de temps, elle transfère au privé les télécommunications, les transports (routier, aérien et maritime), le gaz et l’électricité, les banques et de nombreuses autres entreprises se trouvant dans le giron de l’Etat. Les impôts baissent : en seulement 7 ans, le taux de 83% est descendu à 40%. Parallèlement, elle met en place la technique des marchés internes (internal markets) dans les services publics, qui offre l’avantage du choix au consommateur et met fin à la répartition du financement public par décision administrative (si les usagers ne sont pas contents des services d’une administration, celle-ci peut voir ses crédits coupés).
Une « ultralibérale » élue trois fois de suite
Pour mener à bien ces réformes, elle s’est attaquée à la rigidité et à la bureaucratie des relations sociales. Sa lutte contre Arthur Skargill, président des syndicats anglais, à l’occasion de la grève des mineurs qui a duré plus de deux ans (1983-1985), s’est terminée par un succès. Les syndicats ont perdu la contrôle du Labour Party (ce qui permettra plus tard l’émergence de Tony Blair). Margaret Thatcher a obligé les syndicats à utiliser le vote secret dans toutes les décisions concernant le déclenchement d’une grève. Elle a aussi mis un terme aux politiques antidémocratiques du « closed shop » (système suivant lequel seuls les travailleurs syndiqués peuvent être embauchés).
N’en déplaise à ses détracteurs, Margaret Thatcher a non seulement été élue trois fois de suite, mais elle est aussi devenue très populaire, bénéficiant, à chaque élection, de plus du tiers du vote ouvrier.
Suite à ces réformes, la Grande-Bretagne est méconnaissable. C’est le pays le plus dynamique d’Europe, avec une croissance moyenne de 3% par an, un chômage à 2,7% (en 20 ans, les Anglais ont créé 6 millions d’emplois marchands de plus que la France) et un PIB supérieur de 10% au PIB français.
Toutefois, ce n’est pas seulement dans ces statistiques impressionnantes que se trouve la grande victoire de Mme Thatcher. C’est aussi –et surtout– dans le fait que de nombreux pays ont suivi son exemple et ont mis en pratique des réformes qu’elle avait menées. De l’Irlande aux pays de l’Est en passant par les pays du Nord de l’Europe, les gouvernements ont privatisé et déréglementé.
Même la bureaucratie bruxelloise, sévèrement épinglée dans son fameux discours de Bruges comme une potentielle ennemie de la Grande-Bretagne, ne fait que prêcher la déréglementation économique, l’ouverture à la concurrence, la privatisation des entreprises et la baisse des dépenses publiques. C’est exactement ce que préconisait Miss Maggie « durant ces quelque onze années (qui) constituent probablement la révolution la plus féconde qui ait eu lieu dans l’Europe de ce siècle, et la plus contagieuse pour le reste du monde » (Mario Vargas Llosa : Les enjeux de la liberté, Gallimard, 1994).
La Grande-Bretagne a dépassé la France grâce à ses réformes
L’évolution comparative des PIB/habitant France-GB-Etats-Unis est révélatrice de la période thatchérienne. Si, en 1960, le PIB/habitant en France représentait environ 65% du PIB américain, si, en 1982, il est même monté jusqu’à 83%, à partir de 1983, la chute est impressionnante : en 2003, le ratio tombe à 70% et la baisse continue.
Sur la même période, l’écart entre les PIB britannique et américain est resté stable. En 1960, le PIB britannique/habitant était à 75% de celui des Etats-Unis, cette différence s’est creusée au milieu des années 1980 (jusqu’à 70%) pour se stabiliser à partir des années 1990 et se résorber depuis au fur et à mesure. La différence entre les deux PIB s’estompe tous les ans depuis 1990, ce qui démontre que, contrairement à ce qui se passe en France, la création de richesses en Grande-Bretagne est suffisamment importante pour se rapprocher des Etats-Unis. Et le PIB de la France qui était de 25% supérieur à celui de la Grande-Bretagne dans les années 1970, lui était devenu inférieur de 9% en 2002.
La période thatchérienne est l’exemple à suivre aujourd’hui.
Evolution du PIB/habitant par rapport aux Etats-Unis
France | Grande-Bretagne | |
1983 | 83% | 70% |
2003 | 70% | 78% |
Source : OCDE (2005)
Et maintenant ?
Il est certain que le Thatchérisme a été écorné par les premiers ministres qui se sont succédés au 10 Downing Street, à commencer par John Major lui-même.
Mais Tony Blair, pourtant travailliste, a eu la sagesse de ne pas remettre en cause ses acquis les plus importants.
En sera-t-il de même avec Gordon Brown ? L’Angleterre a été fortement secouée par la crise, parce que la part de son produit provenant des activités financières y est particulièrement élevée. Le mal a été accentué par la politique laxiste menée par le gouvernement travailliste actuel. Pire encore : la réaction de Gordon Brown depuis quelques mois accumule de graves fautes. Il a sacrifié la Livre Sterling pour alimenter la trésorerie des banques britanniques imprudentes. Périsse la monnaie pourvu que survivent les banquiers ! D’autre part Gordon Brown lance l’idée d’accroître drastiquement la progressivité de l’impôt. On retourne à un keynésianisme agressif. Sans doute les conservateurs vont-ils balayer les travaillistes au cours des prochaines élections générales (dans moins d’un an). Mais vont-ils revenir aux principes qui ont inspiré Margaret Thatcher ?