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C’est l’État qui a contraint les entreprises à s’arrêter et il ne peut plaider la force majeure

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L’article de Jean-Philippe Delsol est publié dans Le Figaro (21/05). Lire.

En ordonnant un confinement qui n’était qu’un des choix possibles, les pouvoirs publics sont comptables du préjudice subi par chefs d’entreprise et travailleurs indépendants et ils leur doivent réparation.
«Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite». Telle a été la déclaration du président de la République le 16 mars 2020. Depuis lors, la crise s’est avérée beaucoup plus grave au plan économique qu’elle n’avait d’abord été estimée et de nombreux industriels, agriculteurs, commerçants, artisans et autres professionnels indépendants risquent de devoir déclarer «faillite». Certes, l’État a mis en place très rapidement des mesures d’aide aux entreprises en difficulté: reports d’échéances, secours et éventuels abandons de charges sociales pour les très petites entreprises, chômage technique, prêts garantis par l’État, aménagements de délais, recours facilité aux CDD et à l’intérim. Mais ça ne suffira pas toujours, notamment pour certains petits commerces et dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, de l’événementiel, en péril.

Face à cette catastrophe annoncée, au-delà des mesures d’urgence prises à juste titre, la solution n’est sans doute pas dans une accumulation progressive et vite discriminante d’aides improvisées selon les nécessités du moment, mais plutôt dans une mesure générale d’indemnisation de toutes les entreprises ayant subi un préjudice du fait des décisions de confinement.
Le rôle de l’État est de garantir aux citoyens l’exercice de leurs libertés fondamentales parmi lesquelles il y a celle d’aller et venir, de travailler, de commercer. La situation sanitaire s’est imposée à tous, mais la façon de la traiter a été un choix. D’autres États n’ont pas confiné ou pas aussi strictement, sans que, à ce jour, la crise sanitaire y ait été plus grave que chez nous.

Un dommage, un préjudice et un lien de causalité
La responsabilité de l’État est-elle engagée? Pour qu’elle le soit, il faut, cumulativement, un dommage, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Ces critères sont réunis. Le confinement a été un dommage créateur de préjudice pour les entreprises obligées de cesser leurs activités. Il ne s’agit pas de contester la décision de l’État qui pouvait avoir sa légitimité, mais d’indemniser ceux qui en subissent les effets. Depuis un vieil arrêt du Conseil d’État (Couitéas, 1923), on indemnise ainsi, par exemple, en général au-delà de deux mois de loyer perdu, les propriétaires bailleurs dans les cas, trop fréquents, où l’administration diffère les expulsions de locataires indélicats condamnés par la justice à évacuer.
À dire vrai, ça n’est pas si simple, car l’État français cherche toujours à limiter sa responsabilité selon l’ancienne tradition qui voulait que «le roi ne peut mal faire». Les juridictions administratives ont peiné à admettre la responsabilité de l’État du fait de la loi tant il leur apparaissait que c’était une manière de remettre en cause la souveraineté du peuple. Même si depuis 1938, le Conseil d’État a ouvert la voie à l’indemnisation d’un préjudice causé par la loi en décidant de l’indemnisation de l’entreprise La Fleurette qui avait été empêchée par la législation de poursuivre son activité, les décisions d’indemnisation restent habituellement limitées aux cas dans lesquels le dommage, spécial et particulièrement grave, a frappé une catégorie réduite de personnes.

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Certes, dans le cas du coronavirus, les questions juridiques sont nombreuses, de la qualification de cet ovni qu’est l’état d’urgence sanitaire à l’évaluation du respect du principe constitutionnel de précaution tant au regard de l’impréparation du système de santé français qu’à la nécessité de prendre des mesures aussi sévères pour y remédier. Le débat est complexe et il se heurtera d’abord au consensus actuel en faveur de la lutte contre l’épidémie, comme s’il n’était pas possible de la combattre tout en vivant avec elle contrairement à ce que montre le magnifique roman de Gabriel Garcia Marquez, L’Amour au temps du choléra. Mais avec le temps, la raison reviendra peut-être pour apprécier, discerner, faire la balance des avantages et des inconvénients. Il s’agirait cependant moins ici de se placer au plan judiciaire qu’au plan de la justice et du respect de la parole du chef de l’État.

Ainsi, dès à présent, il serait possible que l’État s’engage à indemniser amiablement toutes les entreprises ayant subi un préjudice du fait de cette crise. Ce serait sans doute le seul moyen de remettre le pays sans délai sur les pieds. Dans chaque département pourraient être instituées des commissions d’indemnisation, composées de représentants de l’administration, des milieux professionnels et des experts en évaluation, chargées, selon quelques principes simples, d’estimer les préjudices subis et d’attribuer sans délai un montant compensatoire, sous déduction éventuelle des aides et autres secours déjà reçus depuis le 16 mars dernier. Les montants accordés pourraient être plafonnés et limités par exemple à 80 % du dommage subi de façon à aligner les entrepreneurs sur l’indemnisation des salariés en chômage technique à 80 ou 84 %, selon les cas, de leur salaire net.

Ce serait coûteux certes, mais juste et moins coûteux sans doute que ce que sera sinon l’incroyable décroissance attendue. En accompagnement, les mesures déjà prises pour favoriser les CDD et l’intérim pourraient être pérennisées et élargies à d’autres dispositifs pour faciliter les plans de sauvegarde de l’emploi et autres procédures de licenciement et plus généralement libéraliser les assurances sociales, l’emploi, alléger mille et une contraintes de telle façon que le redressement soit durable. Ce serait juste et ce qui est juste est toujours profitable dans la durée.

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