Depuis de nombreuses années, les économistes s’intéressent aux effets de la fiscalité – de son poids tout comme de sa structure – sur la croissance économique. La plupart s’accordent sur le fait que l’aléa fiscal et sa complexité ont des conséquences néfastes sur la création de richesses. Dans ce contexte, la refonte de notre système fiscal- n’en est que plus urgente.
Instabilité et complexité, comme sources de distorsion économique et de destruction de valeurs
Il faut noter qu’en matière de fiscalité, l’instabilité de la politique fiscale est tout aussi hasardeuse que sa complexité. Cette incertitude sur notre fiscalité nuit à la prise de décision et à une bonne évaluation du lien entre le risque et sa rentabilité nette d’un projet. Sans compter que la multiplicité des prélèvements obligatoires a tendance à rendre l’impôt moins efficace. Telles sont les conclusions d’un rapport commandé à l’Inspection générale des finances par le gouvernement l’an dernier, qui identifiait jusqu’à 192 taxes dont le rendement était inférieur à 150 millions d’euros par an !
Quant à la complexité fiscale, le Sénat avait déjà fait part de son inquiétude dans un rapport en 2010 : « A l’image à certains égards de notre société dans son ensemble, la fiscalité française apparaît largement bloquée, comme empêtrée dans des rigidités de tous ordres tant micro que macro-économiques. Le système de prélèvements obligatoires s’est au fil des temps alourdi et complexifié, pour aboutir à une sédimentation de règles, d’autant plus illisibles qu’elle se double d’un enchevêtrement des circuits de financement entre l’Etat, d’une part, et les autres acteurs de ce qui constitue les administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, que sont les administrations locales et de sécurité sociale. »[[ Rapport disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r08-075/r08-0754.html]]
L’aléa inhérent- à la vie économique et à la croissance exponentielle de l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie n’a fait que renforcer la complexité de notre fiscalité. A tel point qu’elle en devient inefficace, voire destructive… Globalement, notre système fiscal n’étant pas neutre par rapport aux décisions d’épargne, de consommation ou d’investissement, il devient une source de distorsion pour l’ensemble de l’économie, que nous souhaitons illustrer de quelques exemples- pour mieux rendre compte de cette situation.
Quelques exemples d’une fiscalité peu efficace
Cette complexité est d’abord liée aux transferts au sein même de l’administration, c’est-à -dire à la façon dont les fonds collectés naviguent d’une administration à l’autre pour que celles-ci puissent boucler leurs budgets. En 2013, sur près de 1 000 milliards d’euros de recettes fiscales, près de 45 %, soit 433 Md€, ont été transférés entre les différentes administrations publiques, selon l’Insee. L’affectation des prélèvements obligatoires n’est donc pas directe. Déjà en 2010, Thomas Piketty le déplorait : « À l’instar de notre système fiscal, notre système de transferts est un empilement de dispositifs d’une grande complexité, illisible et coûteux dans son fonctionnement, tant pour les personnes que pour l’administration elle-même. »[[Landais C., Piketty T., Saez E., Pour une révolution fiscale, p.112 (Ed. du Seuil, 2011).]] Dans ces conditions, comment rendre compte de l’efficacité de l’action et de la dépense publiques !
Le graphique ci-dessous schématise l’affectation des – taxes et des impôts nouveaux pour l’année 2013, et la manière dont ils ont affecté- les comptes de la Sécurité sociale. Malheureusement, cette analyse peut être répétée à chaque niveau de l’administration publique.
Un autre exemple est l’impôt sur les sociétés : les sociétés sont taxées à 33 1/3[[A cela s’ajoute une contribution sociale de 3.3 % au-delà de 763 000 EUR de CA ; et une surtaxe temporaire de 5 % au-delà de 250 mil de CA. Il existe également un taux réduit à 15 % pour les PME, dans la limite de 7,63 milde CA, et sous condition qu’une personne physique (ou une entreprise) détienne l’entreprise à 75 % au moins, taux applicable aux premiers 38 120 EUR des profits taxables.]]. Malgré un taux statutaire parmi les plus élevé des pays de l’OCDE, les recettes fiscales sont relativement faibles. Pour expliquer ce fait, il est nécessaire de comparer ce taux nominal au taux implicite (c’est-à -dire le taux moyen effectivement payé par les entreprises), qui permet de constater un écart de plus de 5 points. En réalité, cet écart s’explique par la présence de nombreux abattements. En France, il existe plus de 5 000 aides aux entreprises… et il est difficile de se retrouver dans ce maquis ! Pour les seuls artisans, par exemple, nous avions répertorié plus de 400 dispositifs différents ! Un véritable maquis fiscal !
Enfin, il y a un décalage dans le temps entre l’annonce d’une nouvelle mesure et sa mise en application. En 2010, le Sénat relevait que 75 % des textes portant sur la fiscalité étaient mis en application par la publication des décrets, et autres, dans les 6 mois. En revanche, les 25 % des textes restants sont applicables plus de 6 mois après qu’ils ont été votés ! Ce décalage entre la décision politique et l’activité économique, totalement aléatoire, – ne peut que nuire à la compétitivité des entreprises, celles-ci étant obligées de mettre en place des dispositifs de veille, en même temps que de financer un département juridique, lui-même sans cesse plus important et plus couteux, afin de se plier aux règles mouvantes et incertaines qui nous gouvernent Il devient donc urgent de corriger cette complexité et de lever toutes les incertitudes sur la prochaine évolution de notre système fiscale, car la croissance et l’emploi en sont les premières victimes.