A l’initiative du président Macron, a été constituée le 9 mai 2021 une Conférence sur l’avenir de l’Europe réunissant, par tirage au sort, huit cents citoyens européens répartis en quatre panels et accompagnés de représentants des institutions européennes. Le rapport produit par cette Conférence réclame, sans surprise, des mesures (325) de toutes sortes pour que l’Europe soit de plus en plus interventionniste dans la transition climatique, la santé, le social, mais aussi la fiscalité ou la politique étrangère. Il veut « établir des normes minimales communes [aux Vingt-Sept] en matière de soins » ….
L’unanimité entrave les rêves impériaux
Emmanuel Macron et Ursula Von der Leyen s’en sont réjouis ce 9 mai 2022, à Strasbourg, en recevant les conclusions idéologiques de cette Conférence. La présidente de la Commission s’est dite prête à réformer l’UE « en changeant les traités si nécessaire », ajoutant que « le vote à l’unanimité dans certains domaines-clés n’a tout simplement plus de sens ». Pour sa part, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté de changer les textes des traités et « généraliser le vote à la majorité qualifiée ». Mais aussitôt treize Etats membres (Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie, Suède) ont fait savoir leur opposition aux « tentatives inconsidérées et prématurées » de revoir les traités. « Nous avons une Europe qui fonctionne » ont-ils souligné. Avec la Hongrie, c’est donc une majorité de pays européens qui s’opposent à ce projet.
Certes, l’unanimité n’existe aujourd’hui qu’en matière sociale, fiscale et de politique étrangère. Mais ce sont les domaines de la souveraineté précisément. L’abolition de la règle de l’unanimité signifierait un transfert de fait, automatique, de la souveraineté des nations européennes à l’Union européenne. Ce serait la création de facto d’une confédération, sinon plus, à la place d’une union. C’est d’ailleurs ce que veut M. Macron qui dénature la démocratie et marginalise les élus en instrumentalisant sans cesse de fantasques conventions citoyennes.
En effet, les dirigeants européens aimeraient se passer de l’accord des récalcitrants et se permettre de morigéner certains pays sans retenue. Mais l’unanimité oblige au respect mutuel. C’est ce que rappelle aujourd’hui Viktor Orban. Le Premier ministre hongrois met son veto au sixième paquet de sanctions contre la Russie, qui prévoit un embargo sur le pétrole russe, en attendant peut-être que l’Europe lève les sanctions qu’elle a prononcées indûment contre la Hongrie.
Une Europe des libertés
Pour contourner l’obstacle à son rêve impérial, dans son discours, qu’il a baptisé lui-même « le serment de Strasbourg », M. Macron a proposé une Europe à deux vitesses. Il a appelé à la création d’une « communauté politique européenne », pour permettre « aux nations européennes démocratiques, adhérant à notre socle de valeurs, de trouver un nouvel espace de coopération, en matière de politique, de sécurité, d’énergie, de transport, d’investissement, d’infrastructures, de libre circulation des personnes ». Cette proposition se veut une ouverture pour admettre dans un cercle européen les pays de ses marges qui n’ont pas encore les standards pour rejoindre l’Union européenne : l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, mais aussi les Balkans. Elle est en même temps une façon de refuser l’entrée de ces pays dans L’Union. Il veut une Europe « plus efficace », « plus indépendante », plus inclusive aussi. En réalité, il dessine une Europe plus technocratique, plus centralisée, plus coûteuse autant que plus tentaculaire.
L’élargissement de l’Europe est souhaitable pour agréger les pays unis par des racines communes, pour défendre ensemble une culture de la diversité, intégrant une dimension transcendante, dans le respect des personnes et des biens. L’Europe et chacun de ses pays membres y seraient plus forts dans notre monde soumis aux tentations hégémoniques des communismes résurgents. Mais l’Europe s’affaiblit elle-même à vouloir s’ingérer dans tous les domaines économiques, sociaux, juridiques et désormais sociétaux. L’avenir de l’Europe ne peut pas se construire, comme le pense M. Macron, au détriment des souverainetés nationales mais à leur service. Les Etats-Unis ont pu édifier, non sans mal d’ailleurs, un pays unique parce qu’ils ont respecté les Etats tout en imposant peu ou prou une langue commune et parce qu’ils avaient ensemble conquis et bâti ces terres immenses. Comme les Américains d’alors, les Européens partagent des valeurs que source leur christianisme originel. Mais en Europe, nos traditions, nos langues, nos pratiques sont trop éloignées d’un pays à l’autre pour souhaiter les fondre dans un même moule. Voudrions-nous construire un nouveau pays dont, à l’image de la Belgique ou du Canada, les habitants se mépriseraient réciproquement à défaut d’une langue commune qui leur permettrait de se comprendre ?
Il ne faut pas pour autant écarter la proposition du « serment de Strasbourg », mais la transformer pour que l’Europe s’élargisse en revenant à ses fondements du traité de Rome de 1957 qui voulait construire une Europe qui soit celle de la libre circulation des personnes, des services, des capitaux et des marchandises. Il ne serait pas nécessaire d’avoir une Europe à deux vitesses, nécessairement déstabilisante. Cette Europe-là pourrait intégrer jusqu’à ses confins tous les pays qui ont contribué à édifier ce qu’on peut encore appeler avec fierté une civilisation européenne. Il ne serait pas exclu alors qu’un jour la Russie elle-même, débarrassée de ses nostalgies staliniennes, puisse y adhérer pour le bien de tous.
11 commentaires
Excellente analyse. Merci M. Delsol.
Ursula et son complice Emmanuel sont une calamité pour l’Europe.
Merci Monsieur de nous le rappeler et de citer le traité de Rome.
Comme pour la Constitution française dénaturée par ses pratiques successives, ce traité vaut mieux que ce qu’en fait la commission actuelle.
Merci pour cet article. En effet, deux problèmes dans la stratégie de M. Macron: d’une part, il a la volonté de faire abstraction des institutions en place (et c’est vrai aussi pour la France) en créant et utilisant des « conventions d’études » concurrentes des assemblées en place, et dont on peut se demander si leur management n’est pas partial. Par là , il veut se dédouaner en nous faisant croire à une approche démocratique, qui en fait ne l’est pas; tout ça est de la poudre aux yeux
D’autre part, vouloir limiter, sinon supprimer le vote à l’unanimité entre les états membres est manifestement un pied de nez aux récalcitrants. Il concède ainsi qu’il se sent incapable de convaincre, abaissant donc les contestataires au rang de vassaux. Pourtant, quoi de plus noble, et de plus sécurisant que de rechercher cette unanimité. Quoi de plus enrichissant que de rechercher le compromis qui aura l’adhésion de tous ? Certes, c’est difficile, contraignant, d’un processus lent, mais n’est-ce pas précisément pour ces pratiques qu’un chef d’état a été élu, et n’est-ce pas pour une organisation un gage de cohésion ? Comment les membres qui subiront le dictat majoritaire resteront-ils serein au sein d’une union, qui n’en est plus une ?
Et bien entendu il n’est pas question de nous demander notre avis. Un référendum serait trop dangereux pour nos « politiques ». Comme celui de 2005. Le peuple, décidément, n’est vraiment pas coopérant avec ses dirigeants, tellement plus intelligents que lui.
Si L’Angleterre demandait le rattachement de la Bretagne à son pays ?
Si l’Allemagne demandait le rattachement de l’Alsace et la Lorraine à son pays ?
• Que ferait le brillant géostratégie, monsieur MACRON, arbitre de l’Univers ?
Encore merci, M. Delsol, brillant, comme d’habitude. L’Europe qui se construit en ce moment n’est ni plus ni moins que l’UERSSS. C’est le même modèle qu’on nous propose. Des gens qui votent et des décisionnaires qui ne sont pas élus, mais cooptés. Karl Marx régale toi, ils sont plus cons que tu ne le pensais !!!
Une bonne part des divergences et incompréhensions résulte d’une confusion entretenue d’une part entre « pouvoir », expression d’une « souveraineté » essentielle et non révocable qui trouve sa source ontologique dans la nature du titulaire, respectivement un « être humain » (droits de l’individu) ou une « nation » (droits collectifs), et d’autre part « autorité » conférée par mandat à d’autres individus ou institutions dans les limites fixées par le mandant souverain. Le mandat pouvant résulter d’un traité (UE) ou d »une disposition constitutionnelle et légale (la justice par exemple, que ne peut être un réel « pouvoir », en dépit de Montesquieu) .
Les institutions européenne ne sont que des « autorités » mandatés, même si les mandataires aiment s’auto-instituer abusivement en « pouvoirs » souverains et étendre à ce titre leurs compétences propres sans mandat explicite. Il faudrait pour arriver à ce stade que l’UE soit devenue une « nation » souveraine, au sens plein du terme. Ce qui n’est pas encore le cas et qui ne peut se décréter.
Bjr Monsieur,
Merci pour cette analyse. Dommage qu’il soit peu probable que M. Macron et Mme Von der Leyen y accorde un quelconque crédit. Heureusement, que les pays cités ne soient pas prêts à nous embarquer dans cette aventure …
Quelle tristesse de lire un plaidoyer pour les nations dans ce si remarquable et si ouvert lieu de réflexion !
Quels que soient les défauts de l Eupope, ils sont peu de chose à côté de la calamiteuse gestion nationale française, et les français auraient tout à gagner à ce que notre pays se dissolve, au sens économique et fiscal dans une Europe unifiée ; les allemands ou d autres citoyens du nord, pas sûr ..
De grands régions culturelles et de gestion locale dans une Europe unifiée : ne serait ce pas le type d organisation vers lequel il faut tendre, l etat- nation ayant eu son utilité dans l histoire mais étant totalement inefficace et dépassé dans celle qui s ouvre .?
L’Europe dont rêve Macron serait celle dont il serait le roi, voire l’empereur car il trouve la France trop petite pour satisfaire ses ambitions. Je formule des voeux pour que rien de pareil n’arrive jamais, ce serait le triomphe de la technocratie dont l’Europe d’aujourd’hui est déjà assez chargée. Qui plus est, elle souffre d’un lobbyisme omniprésent qui autorise des arrangements petits et grands, les commissaires ne sont pas élus mais désignés ce qui pourrait induire certaines dérives. Rappelons l’embauche d’un ancien président de la commission par une grande banque américaine après avoir, certes respecté un délai de rigueur, mais qui donne à penser au plan de la morale.
Pardon, je me suis trompé. Milles excuses.